2014-06-06 08:15:16

Le Débarquement dans la mémoire collective


(RV) Entretien - Les grands du monde se réunissent vendredi sur les plages de Normandie pour honorer les soldats ayant participé au Débarquement il y a 70 ans, un anniversaire assombri par le bras de fer entre Russes et Occidentaux qui se joue à l'autre bout de l'Europe, en Ukraine.

Près de 1800 vétérans des plages d'Omaha ou Utah Beach, les chefs d'Etat et de gouvernement d'une vingtaine de pays, dont Barack Obama, David Cameron, Angela Merkel et François Hollande en maître de cérémonie, participent aux commémorations qui commencent dans la matinée au mémorial de Caen.

Le Débarquement a fait l’objet de nombreuses adaptations au cinéma, qui ont inscrit cet événement dans la mémoire collective. Vous vous souvenez sûrement du Jour le plus long, réalisé en 1962 avec John Wayne et Henry Fonda, une superproduction hollywoodienne réalisée en pleine Guerre Froide. Ou encore de Il faut sauver le soldat Ryan signé Steven Spielberg en 1998, où la violence crue de la guerre s’affichait sur grand écran.

Le cinéma est le reflet d’une époque. Quelles empreintes ont donc laissé les films sur le Débarquement dans la mémoire collective ? Ont-ils inscrit cet événement de la guerre au point de la résumer ? L’historien Marc Ferro, auteur de Le Cinéma, une vision de l'histoire (Le Chêne, Paris, 2003) est interrogé par Jean-Baptiste Cocagne RealAudioMP3

Tout se passait comme si les russes n’avaient pas gagné la bataille de Stalingrad, la bataille de Koursk et comme si les allemands n’étaient pas à moitié écrasés puisque précisément, ils avaient moins de forces que prévues pour s’opposer au débarquement. À cette époque, on disait que si les russes avaient gagné la guerre contre la Wehrmarcht, c’est grâce au matériel américain, ce qui est absolument faux. Dans le soldat Ryan, c’est aussi une glorification de la société américaine parce que vous vous rappelez que dans le soldat Ryan, comme souvent d’ailleurs dans les films américains sur la guerre (mais là, c’était très visible), il y a toujours un italien, un anglo-saxon, un juif, un noir pour montrer que la société américaine tient bon et qu’elle incarne la cohabitation entre différents peuples d’Europe. C’est donc comme un film à la gloire de la réussite de ce quoi doit être la société américaine autant que le débarquement mais ça montre que c’est une société qui doit accomplir des exploits fantastiques. Les américains tirent la couverture à eux grâce à ce cinéma. Le rôle des anglais pendant la guerre a quand même été assez sensationnel. N’oubliez pas qu’en 1940, ce sont les seuls qui ont résisté, qui ont repoussé la Luftwaffe et que tout le long de la guerre, ils ont quand même tenus alors qu’ils avaient peu de moyens face à la Wehrmarcht ou les forces allemandes. Et puis surtout, on n’a pas cité tous les films qui ridiculisent les allemands à l’heure du débarquement. C’est quand même assez extraordinaire que la France ait fait une dizaine de films où les allemands apparaissent ridicules alors que, comme nous le savons, c’est l’époque où ils ont commis le plus de crimes dans le pays. Et ces films, vous les connaissez puisque c’est « la grande vadrouille », « Papy fait de la résistance », c’est « Babette s’en va t’en guerre ». Tous les films qui se passent à l’heure du débarquement et qui font des allemands des pantins.

Il y a aujourd’hui de moins en moins de survivants de cette guerre. Est-ce que selon vous, ces films vont remplacer peu à peu dans la mémoire collective les témoignages des survivants ? C’est peut-être déjà le cas.
On ne les efface pas parce que ce sont les films qui vont s’effacer. Les autres films dont nous n’avons pas parlé, français ou autres, « Au cœur de l’orage », « le maquis du Vercors », «La libération de Paris », « Le bataillon du ciel ». Ces films, on les a oubliés. Souvent, les films s’effacent plus vite de la mémoire que les textes. C’est ce qu’on oublie souvent. Contrairement à ce qu’on croit, les films ont une vie qui est plus courte que les textes. Regardez par exemple pour la première guerre, on se rappelle encore toujours tout ce qu’ont pu écrire les combattants qui sont maintenant morts alors que les films sur la grande guerre, on les a oubliés. Le cinéma a une force de frappe sans doute vingt fois plus forte que tout le reste mais il meurt beaucoup plus vite.

Est-ce que la commémoration, le 6 juin 2014 sera un nouveau film avec cette omniprésence sur tous les écrans télévisuels ?
En ce moment, l’Europe est dans une crise. Le monde occidental et même une grande partie du monde entier est dans une crise globale et se remémorer les moments de libération est quelque chose de réconfortant. La nouveauté, c’est l’omniprésence sur tout les écrans grâce à la télévision, ce qui va sans doute uniformiser la mémoire et redonner vie aux films, aux extraits de films ou aux quelques scènes qu’on risque d’avoir oubliés depuis que ces films ont été faits il y a 10,20 ou 30 ans. Donc la télévision va jouer ce rôle de régénérescence mais ça va aussi s’effacer. On oublie encore plus ce qu’on a vu à la télévision l’avant-veille parce qu’une émission efface l’autre. Par conséquent, je pense que de ce côté-là, l’avenir n’est pas prévisible.

Photo : la plage d'Arromanches, en Normandie, le 5 juin 2014









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