«En dehors de l’Irak, on ne peut pas parler d’un exode des chrétiens d’Orient»
(RV) Entretien - Alors que le pèlerinage du Pape François en Terre Sainte arrive
à sa fin, il n’est pas inutile de se poser la question du futur des chrétiens d’Orient.
Doit-on craindre leur diminution inexorable ? Leur situation se pose-t-elle dans les
mêmes termes que l’on soit en Irak, en Syrie, au Liban, en Egypte ou en Terre Sainte
? Nous avons posé la question à Antoine Fleyfel, théologien et philosophe franco-libanais,
maître de conférences à l'Université catholique de Lille. Il a publié Géopolitique
des chrétiens d'Orient (L’Harmattan 2013). Il est interrogé par Bernard Decottignies
:
Il y a
beaucoup de crainte autour de l'avenir des chrétiens dans la région. On évoque aussi
souvent les discriminations. Est-ce aussi simple ?
On parle toujours de
la mort des chrétiens d’Orient, de la disparition des chrétiens d’Orient. Un chrétien
d’Orient est un générique qui ne veut rien dire parce que s’il faut comprendre la
situation des chrétiens de cette région, il faut aller voir dans chaque pays ce qui
se passe.
L’Irak est le pays où la situation est la plus difficile pour les
chrétiens de la région et c’est peut-être le seul pays où nous pouvons craindre une
certaine disparition d’ici quelques années, si la situation sécuritaire ne change
pas. Mais en dehors de l'Irak, loin de là, en Égypte, il y a une grande population
de chrétiens, six ou sept millions qui sont loin de disparaître mais certes, ils vivent
des situations que nous souhaitons largement meilleures et qui ont trait au manque
de citoyenneté. C’est à ce plan que les chrétiens d’Égypte sont discriminés.
Certes,
en Syrie, les chrétiens vivent aussi des situations très difficiles à cause des événements
mais ils vivent des situations difficiles comme les autres Syriens. Après cette guerre,
qui je l’espère va finir le plus vite possible, ils auront à rebâtir la Syrie avec
les autres. Il y a des difficultés mais ces difficultés, ces chrétiens les vivent
depuis plusieurs décennies, même depuis plusieurs siècles.
Selon vous,
il est bon de rappeler que les chrétiens, la plupart du temps, souffrent autant que
les populations locales lors de conflits, de soulèvements ou de turbulences.
Ils
souffrent parfois moins que les populations locales. En Irak, pour chaque chrétien
qui meurt à cause d’un acte de violence, il y a plusieurs dizaines de musulmans qui
meurent à cause des actes de violence, notamment des chiites. En Syrie aussi, il ne
faut pas croire que les chrétiens sont pris pour cibles. Ils l’ont peut-être été dans
certaines circonstances très particulières mais la violence qu’il y a en Syrie touche
tout le monde et il y a largement plus de musulmans qui sont morts. Alors qu’en Egypte,
nous ne pouvons pas parler d’une telle situation puisque le pays n’est pas en guerre,
même si çà et là, il y a des violences qui coûtent la vie à certains.
Concrètement,
si on veut aider les chrétiens, qu’est-ce que ça veut dire ?
Du point
de vue de l’Occident, une aide est possible. Premièrement, c’est certainement la solidarité
morale et la prière. Et là, je parle d'un langage de foi mais l’aide peut-être aussi
une aide financière, en appuyant des missions, en appuyant des institutions scolaires,
des institutions humanitaires, des universités et aussi en exerçant une certaine pression
auprès des pouvoirs politiques, occidentaux qui ont comme partenaires des pouvoirs
politiques arabes et de faire en sorte que ces pressions occidentales poussent les
partenaires arabes à respecter les minorités chrétiennes qui vivent dans leurs pays.
Et ceci afin de leur garantir plus de liberté, assurer plus de droits aux minorités
et plus de respect des droits de l’homme et surtout, là je rejoins l’un des points
majeurs de la politique du Saint-Siège, pour la liberté de confiance qui reste l’un
des problèmes majeurs qu’affronte une grande partie de ces chrétiens d’Orient.
Depuis
une dizaine d’années, on s’inquiète beaucoup de l’exode des chrétiens. On peut imaginer
que cet exode n’est finalement pas inexorable.
Alors, le terme exode est
un peu fort. Nous pouvons penser à cette situation dramatique qu’il y a en Irak. Effectivement,
en Irak, nous pouvons parler d’un exode, d’un grand départ puisque de plus d’un million
de chrétiens qui existaient en Irak dans les années 90, il y en a guère plus de 300
ou 400 000 actuellement. Et je suis optimiste en avançant ces chiffres. En dehors
de l’Irak, on ne peut pas parler d’un exode des chrétiens d’Orient. Il n’y a pas d’exode
des chrétiens d’Orient en Égypte. Sept millions de chrétiens sont là. Certes, ils
vivent une situation que nous souhaitons meilleure mais ils sont là. Il n’y a pas
d’exode au Liban et il paraitrait qu’actuellement, il y a plus de musulmans qui émigrent
que de chrétiens pour des raisons purement économiques.
En Syrie, on ne peut
pas bien se prononcer parce qu’il y a un exode syrien. Tous les Syriens partent. Les
chrétiens faisant partie de cette population, ils partent en Jordanie. On en parle
pas ou presque pas parce que ça se passe très bien ou disons au moins bien. Il n’existe
pas d’exode. Alors, il y a une saignée en Terre Sainte qui dure depuis plusieurs décennies.
Effectivement, la démographie des chrétiens, soit en Palestine soit en Israël, atteint
des proportions très petites. Presque 1% de chrétiens en Palestine et un peu plus
de 2% en Israël. Mais il paraitrait aussi que cela se stabilise. C’est pour cela que
je refuse de parler d’exil des chrétiens d’Orient mais je veux bien en parler lorsqu’il
s’agit d’évoquer le cas de l’Irak.
Photo : une femme tient une croix
durant la messe célébrée par François à Amman en Jordanie le 24 mai