La prière du Pape à Yad Vashem : « jamais plus Seigneur, jamais plus ! »
(RV) Envoyé spécial - Après la visite au Mur Occidental ce lundi matin, c’est
la visite du Pape François au Mémorial de l’Holocauste, qui a retenu l’attention.
Un moment particulier, intense, dans ce lieu de la mémoire du génocide de six millions
de Juifs. Une cérémonie ponctuée de gestes lents, de paroles prononcées avec lenteur,
de chants de souffrance.
Le Pape, entouré du président Peres et du Premier
ministre Netanyahou, a d’abord écouté très recueilli un chœur de jeunes filles pour
un chant d’une tristesse inouïe. Il a ensuite allumé la flamme du souvenir, puis a
écouté une responsable du Mémorial lui rappeler l’horreur du génocide, mais aussi
l’espoir que l’on doit mettre dans l’avenir. De jeunes catholiques hébréophones ont
alors déposé une couronne de fleurs jaunes et blanches avec le Pape qui s’est recueilli
en prière.
Une lettre, d’une roumaine de 22 ans morte dans les camps, a ensuite
été lue. Une lettre qui exprime toute la terreur de savoir que la mort est proche,
le retour désormais impossible. D’autres chants, comme autant de pleurs et de
lamentations, ont été entonnés. Au Pape ont été présentés six survivants des camps.
Quatre hommes et deux femmes. Le Pape leur a embrassé les mains et les a écoutés un
par un.
Il a ensuite pris la parole, très ému, pour un discours très beau sous
forme de prière. Un texte rempli d’interrogations face la « tragédie incommensurable
de l’Holocauste », dont voici le texte intégral :
« Adam, où es-tu
? » (cf. Gn 3, 9)
Où es-tu, homme ? Où es-tu passé ?
En
ce lieu, mémorial de la Shoah, nous entendons résonner cette question de Dieu : «
Adam, où es-tu ? ».
En cette question il y a toute la douleur du Père
qui a perdu son fils. Le Père connaissait le risque de la liberté ; il
savait que le fils aurait pu se perdre. Mais peut-être, pas même le Père ne pouvait
imaginer une telle chute, un tel abîme !
Ce cri : « Où te trouves-tu
? », ici, en face de la tragédie incommensurable de l’Holocauste, résonne comme une
voix qui se perd dans un abîme sans fond.
Homme, qui es-tu ? Je ne te
reconnais plus. Qui es-tu, homme ? Qu’est-ce que tu es devenu ? De
quelle horreur as-tu été capable ? Qu’est-ce qui t’a fait tomber si bas
? Ce n’est pas la poussière du sol, dont tu es issu. La poussière du sol
est une chose bonne, œuvre de mes mains. Ce n’est pas l’haleine de vie que
j’ai insufflée dans tes narines. Ce souffle vient de moi, c’est une chose très bonne
(cf. Gn 2, 7).
Non, cet abîme ne peut pas être seulement ton œuvre,
l’œuvre de tes mains, de ton cœur… Qui t’a corrompu ? Qui t’a défiguré ? Qui t’a inoculé
la présomption de t’accaparer le bien et le mal ? Qui t’a convaincu que
tu étais dieu ? Non seulement tu as torturé et tué tes frères, mais encore tu les
as offerts en sacrifice à toi-même, parce que tu t’es érigé en dieu.
Aujourd’hui,
nous revenons écouter ici la voix de Dieu : « Adam, où es-tu ? ».
Du
sol s’élève un gémissement étouffé : Prends pitié de nous, Seigneur ! A
toi, Seigneur notre Dieu, la justice, à nous le déshonneur au visage, la honte (cf.
Ba 1, 15). Un mal jamais survenu auparavant sous le ciel s’est abattu sur
nous (cf. Ba 2, 2). Maintenant, Seigneur, écoute notre prière, écoute notre supplication,
sauve-nous par ta miséricorde. Sauve-nous de cette monstruosité.
Seigneur
tout-puissant, une âme dans l’angoisse crie vers toi. Écoute, Seigneur, prends pitié. Nous
avons péché contre toi. Tu règnes pour toujours (cf. Ba 3, 1-2).
Souviens-toi
de nous dans ta miséricorde. Donne-nous la grâce d’avoir honte de ce que, comme hommes,
nous avons été capables de faire, d’avoir honte de cette idolâtrie extrême, d’avoir
déprécié et détruit notre chair, celle que tu as modelée à partir de la boue, celle
que tu as vivifiée par ton haleine de vie.
Jamais plus, Seigneur, jamais
plus !
« Adam, où es-tu ? ».
Nous voici, Seigneur, avec
la honte de ce que l’homme, créé à ton image et à ta ressemblance, a été capable de
faire.
Souviens-toi de nous dans ta miséricorde.
Le
Pape a ensuite signé le Livre d’or et a reçu la reproduction d’une peinture « Prayer
» d’un garçon de 14 ans du ghetto de Lodz en Pologne qui est mort à Auschwitz, et
qui avait dessiné son rêve, celui de s’envoler de cet enfer. Un ultime chant a été
entonné, « Mi Ha ‘Ish » pour un dernier moment de grande émotion.
François
a ensuite signé le Livre d'Or du mémorial, écrivant : « avec la honte de ce que
l'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, a été capable de faire; avec
la honte de l'homme qui s'est fait maître du mal; avec la honte de l'homme, se croyant
Dieu, qui a sacrifié à lui-ême ses propres frères. Plus jamais, plus jamais ! »
Et
avant cette visite au Yad Vashem, le Pape s'est rendu au Mont Herzl, là où se trouve
le cimetière national d’Israël, où il a déposé une couronne de fleurs sur la tombe
de Théodore Herzl, le fondateur du sionisme. Une étape protocolaire là encore ajoutée
assez récemment dans les visites de chefs d’Etat, et qui n’était pas au programme
des visites de Jean-Paul II et Benoît XVI. A la demande du Premier ministre israélien,
Benjamin Netanyahu, le Pape a également rendu hommage aux victimes israéliennes du
terrorisme, en faisant une halte devant le monument qui leur est consacré.
(Bernard
Decottignies, envoyé spécial à Jérusalem)
Photo : Le Pape, se
recueillant avant de déposer une gerbe de fleurs, Salle du Souvenir à Yad Vashem.