Les retrouvailles œcuméniques de Jérusalem vues par le Métropolite Emmanuel
(RV) Entretien - L’œcuménisme sera célébré dans quelques jours par la visite
du Pape François en Terre Sainte. Il y retrouvera le Patriarche de Constantinople
Bartholomée pour commémorer la rencontre il y a cinquante ans à Jérusalem entre Paul
VI et Athénagoras. Une rencontre historique qui a donné une impulsion fondamentale
et déterminante au chemin œcuménique avec les Eglises orthodoxes, comme l’affirmé
jeudi le cardinal Pietro Parolin. Pour le secrétaire d’Etat du Saint Siège, c’est
pour raviver cette flamme que le pape est en Terre Sainte.
Pour parler de ces
retrouvailles dimanche à Jérusalem, un invité de marque : le Métropolite Emmanuel,
le président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France et directeur du Bureau
de l’Eglise orthodoxe auprès de l’Union Européenne.
Il est pour le monde orthodoxe,
l’un des organisateurs de ce pèlerinage auquel il participera. Avec lui, dressons
un tour d’horizon des relations entre catholiques et orthodoxes, sans esquiver la
question épineuse de la primauté. Bernard Decottignies lui a demandé s’il pensait
que cette rencontre entre le Pape François et Bartholomée en Terre Sainte allait ouvrir
de nouveaux horizons
Je ne peux
pas prévoir ce qu’il va se passer mais de toute façon, une rencontre, c'est un pas
en avant. Nous avons les deux primats d’Église qui se rencontrent. C’est une rencontre
symbolique, 50 ans après la première rencontre entre le Pape Paul VI et le patriarche
œcuménique Athënagoras en 1964. C’était une autre époque. Ils ont brisé le silence
qui a duré pendant des siècles entre les deux Églises. Maintenant, on est 50 ans après.
Donc, il y a tout de même du progrès. Il y a un dialogue qui a été établi suite à
cette rencontre à Jérusalem. Il y a une dernière étape qui a été considérée comme
la période du dialogue de la charité et ensuite, le dialogue théologique a commencé.
C’était le dialogue de la vérité et de l’ouverture. Je pense que dans cette période
où nous vivons, nous avons déjà franchi un pas. Nous ne sommes plus considérés comme
des Églises schismatiques mais des Églises sœurs. Nous travaillons ensemble. Le dialogue
et le contact qui ont été établis, les visites pour les fêtes patronales de Rome et
de Constantinople qui ont continué pendant de nombreuses années ont quand même donné
des fruits. Et alors, je pense que cette nouvelle rencontre de Jérusalem va donner
l’élan et je pense que le Saint Esprit sera là pour nous guider afin d’aller encore
de l’avant pour retrouver la pleine communion entre nos deux Églises. Au-delà du caractère
du jubilé et du caractère symbolique de cette rencontre, il y aura une rencontre avec
un contenu. Nous savons très bien qu’aussi bien le Pape que le patriarche Bartholomée
sont convaincus de la nécessité du rapprochement des Églises. Ils ont les mêmes caractères.
Je vois beaucoup de similitudes dans leurs actions et aussi dans l’ouverture et je
pense que c’est vraiment un moment qui pourra marquer le mouvement œcuménique, pas
seulement les relations entre les deux Églises mais les relations avec toutes les
Églises chrétiennes.
Est-ce qu’on pourrait être surpris ? Est-ce que la
déclaration commune qui émanera de cette rencontre pourrait réserver des surprises
? Je ne peux pas vous en dire le contenu. Je ne connais pas en détail le contenu
de la déclaration commune. Mais je pense que cette déclaration va porter certainement
sur des questions d’actualité et c’est un signe concret qui va sortir de la rencontre
de Jérusalem. Je crois qu’il ne faudrait pas s’attendre à des évènements spectaculaires.
On ne peut pas du jour au lendemain établir la communion entre les deux Églises. Il
y a tout un travail qui doit être fait en amont et qui est le travail de la Commission
Théologique Internationale. Il ne faudrait pas cacher qu’il y a encore des obstacles
à franchir et des difficultés. Et ce n’est pas avec une rencontre que ces difficultés
seront effacées. Il y a certainement encore du pain sur la planche. Il y a encore
du travail à faire pour avancer mais comme je le dis, avec une rencontre de deux hommes
d’Église comme le Pape François et le patriarche Bartholomée, je pense qu’ils ont
la possibilité de nous donner un encouragement dans le travail qui est fait pour le
dialogue œcuménique. Je ne pense pas qu’il y aura une décision spectaculaire. Ça serait
bien si, suite à cette rencontre, on pouvait communier au même calice. C’est notre
désir et c’est notre but. Le but du dialogue, c’est ça. Mais je crois qu’il faut être
réaliste et il faut surtout nous encourager dans ce travail concret, dans ce pas que
nous faisons vers l’unité.
Alors, il reste bien sûr cette grande question
de la primauté, une question délicate au niveau du dialogue théologique. Oui,
bien sûr. D’ailleurs, c’est la question que nous étudions : comment la primauté a
été vue au premier millénaire. Évidemment, après les schismes, il y avait des difficultés.
Ça, c’est sûr. Il y a tout un travail qui est fait. Il faut encourager ce travail
théologique. Les théologiens, les évêques, les laïcs et les prêtres qui travaillent
dans ce domaine ne perdent certainement pas leur temps mais c’est à la fois utile
et nécessaire pour arriver à des pas concrets. Donc, je crois que la primauté, c’est
une question. Il y a d’autres questions qui doivent être également traitées dans le
cadre de notre dialogue.
Cette question de la primauté, est-ce qu’elle
pourrait peut-être un jour (peut-être qu’elle l’est déjà par certaines personnes)
être considérée non plus comme une pierre d’achoppement mais comme une opportunité
entre les deux Églises ? La question de la primauté, c’est l’interprétation
de la primauté en tant que tel. On n’a pas le temps d’approfondir et d’entrer dans
les détails. Mais évidemment, c’est l’interprétation que nous donnons à la primauté
qui peut aussi nous donner la solution dans ce domaine. Ce n’est pas que nous voulons
mettre de côté la question de la primauté comme elle était vécue au premier millénaire
ou il y avait la pentarchie, où Rome avait la première place. Personne ne nie ce fait
mais c’est l’interprétation qui a été donnée par la suite qui a posé des problèmes
pour l’Église orthodoxe. Donc, il faudrait aussi voir de quelle façon cette primauté
est vécue et de quelle façon cette primauté est appliquée dans l’Église. Et je crois
que le Pape François, dès le début de son pontificat, a déjà donné des signes et lui-même,
il s’appelle l’évêque de Rome. Il a voulu aussi donner un rôle plus important à la
synodalité. Donc, je crois que ce sont des signes encourageants pour le dialogue et
pour nous dire que nous avons quelqu’un qui nous soutient dans cette perspective.
En
tout cas, comme vous l’avez-vous-même souligné, on sait que les deux hommes sont très
charismatiques et qu’ils ont des visions claires de ce dont ce monde a besoin. Ils
se connaissent déjà bien et on peut imaginer qu’ils discuteront à nouveau de l’avenir
des chrétiens au Proche-Orient. Tous les chrétiens qui sont en Occident ou
en Orient pensent à leurs frères qui vivent au Moyen-Orient, notamment avec la question
de la Syrie et tout ce qui se passe aussi en Égypte et dans d’autres pays de la région.
Je pense que personne ne reste insensible à cette question. Nous voulons que les chrétiens
restent sur place puisqu’on ne peut pas considérer le Moyen-Orient sans la présence
chrétienne. Donc, les chrétiens doivent rester et doivent aussi revenir. Mais la difficulté,
c’est de les faire revenir. Je crois qu’il est nécessaire de souligner qu’en tant
que chrétien, catholique, orthodoxe et pourquoi pas protestant, anglican, nous soutenons
tous la présence et la protection des chrétiens au Moyen-Orient et partout dans le
monde où les chrétiens souffrent.
Un autre sujet qui unit les deux hommes,
François et Bartholomée, c’est bien la question de la défense de l’environnement.
On sait le travail énorme qui est fait par Bartholomée depuis des années et des années,
je dirais même des dizaines d’années. Et on sait aussi l’intérêt qu’a porté à cette
question le Pape François depuis son élection. C’est également votre avis ? Absolument,
vous savez, c’est une question qui est chère au patriarche œcuménique, Bartholomée.
Et c’est un engagement que le patriarche a pris dès le début pour la défense de
l’environnement, pour la création et pour le respect de la création. Mais ce n’est
pas une question simple, il faudrait que tout le monde contribue pour éviter le changement
climatique. Tout le monde a une responsabilité et chacun de nous est responsable pour
l’avenir de la planète.
Autre sujet probablement fort intéressant de discussion
entre les deux hommes, c’est la question de la famille. On sait que du côté catholique,
on discute pas mal de ce qui concerne la possibilité pour les divorcés-remariés de
communier. Oui, bien sûr. On savait que la question de la famille nous suit
et nous unit puisque nous avons évidemment la même vision et je sais bien que l’Église
catholique se prépare pour le synode qui sera justement consacré à la question de
la famille. Sur ce que vous avez dit à propos de la possibilité des divorcés de communier,
nous avons une interprétation beaucoup plus large que l’Église catholique dans ce
domaine du divorce. Bien que nous reconnaissions le mariage qui est "Un", nous donnons
la possibilité pour beaucoup de gens qui, pour une raison ou une autre, ont eu des
difficultés dans leur mariage, à demander le divorce à l’Église et à pouvoir aussi
faire un deuxième, voire un troisième mariage. L’Église pense aux difficultés du chrétien
et le soutient dans les moments difficiles. On ne peut pas l’exclure de la communauté
ecclésiale. On lui donne une chance et on reste près de lui. Je crois que c’est une
interprétation et une attitude plus humaine que d’exclure l’autre. C’est une approche
pastorale et je crois que dans ce domaine, sans vouloir donner de leçons à personne,
l’Église catholique pourrait peut-être adopter cette pratique de l’Église orthodoxe
dans le domaine du mariage.
Mgr. Emmanuel, ces derniers mois, on a beaucoup
parlé de l’Ukraine et on sait que certains activent des susceptibilités religieuses
pour finalement soutenir des visées politiques. On peut imaginer que le patriarche
Bartholomée et le Pape François puissent avoir une position très ferme sur ces questions
là ? En ce qui nous concerne et en ce qui concerne le patriarcat œcuménique,
nous sommes très prudents vis-à-vis des déclarations politiques. Le patriarche ne
s’occupe pas et ne se penche pas sur les questions politiques. Le Pape est à la fois
un chef d’État et un chef d’Église. Donc, il a un rôle tout à fait différent dans
ce domaine. En ce qui concerne les questions de l’Ukraine, vous savez que le patriarcat
œcuménique comme l’Église orthodoxe en général est très sensible à cette question
puisque la majorité de la population en Ukraine est constituée de chrétiens orthodoxes.
On sait évidemment que malheureusement, tous ne sont pas dans l’Église canonique.
Donc, il y a des problèmes que nous souhaitons pouvoir résoudre. Nous souhaitons que
l’Église orthodoxe soit aussi capable de porter ce message d’une Église unie en Ukraine.
Nous sommes aussi très sensibles à toutes les difficultés que le pays traverse actuellement.
Nous attendons vraiment avec impatience le résultat des élections. La paix en Ukraine,
c’est le souhait qui a aussi été émis par le patriarche Bartholomée dans un message
qu’il avait adressé au peuple ukrainien avant la Semaine Sainte. Donc, je pense que
c’est une question qui pourrait être discutée mais nous, en tant que patriarcat œcuménique,
nous n’entrons pas dans les questions politiques. Nous essayons d’aider, si c’est
possible.
Alors, je m’hasarde à une toute dernière question. Est-ce que
toutes les Églises orthodoxes se réjouissent de cette prochaine rencontre à Jérusalem
pour fêter les 50 ans d’une autre rencontre, celle entre Athénagoras et Paul VI ?
Est-ce que tout le monde est heureux que ce 50° anniversaire soit célébré à Jérusalem
? Le patriarche avait déjà annoncé cela depuis plusieurs mois. Il avait aussi
annoncé et il avait parlé lors de la rencontre de tous les primats d’Églises orthodoxes
qui a eu lieu au Phanar, à Constantinople, au mois de mars. Et je crois que c’est
en qualité de premier évêque et de l’orthodoxie puisqu’il ne s’engage pas par cette
rencontre ou de tout ce qu’il fait au nom de l’Église orthodoxe. Il s’engage en tant
que premier évêque dans l’Église orthodoxe. Comme je l’ai dit, c’est une rencontre
symbolique. La première rencontre a eu lieu aussi entre le Pape Paul VI et Athënagoras
I. Maintenant, cette rencontre sera entre le Pape François et le patriarche œcuménique
Bartholomée. C’est quelque chose de continu, il ne pourrait pas en être autrement.
Donc, je ne pense pas qu’il y aurait des voix qui seraient contraires à cette rencontre
de Jérusalem. De toute façon, cette rencontre se fait à Jérusalem où il y a le patriarcat
gréco-orthodoxe. Le patriarche Théophile sera également au Saint-Sépulcre. Je crois
qu’il y a la volonté de toute l’Église orthodoxe de voir ce dialogue continué, de
voir l’aboutissement de ce dialogue et l’aboutissement n’est rien d’autre que les
retrouvailles autour du même calice. Toutes nos Églises orthodoxes participent à ce
travail théologique et je crois que c’est une nécessité et c’est un devoir que nous
avons pour que tous soient un.
Photo : le pape François et Bartholomée,
patriarche de Constantinople, en mars 2013 au Vatican