« Le Pape François apparaît comme une autre voix dans le dialogue avec l'Islam »
(RV) Entretien - Le pèlerinage du Pape François en Terre Sainte se veut avant
tout un voyage œcuménique, pour marquer le 50e anniversaire de la rencontre à Jérusalem
entre le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras. Il n’en reste pas moins que le
déplacement du Pape en cette terre fondatrice des monothéismes entretiendra aussi
la flamme du dialogue avec les juifs et avec les musulmans.
Pour cela, le
Pape François a même innové : il sera accompagné pratiquement de bout en bout de ce
voyage par un rabbin et un professeur musulman, Abraham Skorka et Omar Abboud, vieux
amis de Buenos Aires. On attend des trois hommes des signes forts, pour marquer les
esprits, des signes de paix pour rapprocher des communautés aujourd’hui encore enferrées
dans la suspicion, la haine et le rejet.
Il ne nous a pas semblé inutile de
jeter notre regard sur les relations islamo-chrétiennes. Qu’en est-il du dialogue,
de sa qualité ? Comment aussi est perçu le Pape François ? Des questions posées
par Gabriele Palasciano au théologien et islamologue Jean-Claude Basset, professeur
à l’Université de Lausanne
Où
en est le dialogue entre Islam et chrétienté ? Il ne faut pas oublier que c’est
du côté chrétien et en particulier avec Nostra Aetate que le dialogue a été
lancé et repris aussi dans le milieu du Conseil Œcuménique des Églises. Au fond, pendant
longtemps, du côté musulman, on l’accueillait, on suivait. Et puis après, on a vu
apparaître des initiatives, beaucoup de paroles et finalement, peu d’actions. Il me
semble que c’est une des difficultés actuelles du dialogue : il y a toujours des rencontres
officielles et des programmes de continuité qui malheureusement, ne débouchent pas
sur d’authentiques réalisations. Deux remarques à ce sujet : si on regarde du côté
du dialogue œcuménique entre chrétiens, là aussi, il faut dire qu’il y a beaucoup
de rencontres. Il y a un certain nombre de progrès et en même temps, des blocages.
Si je reviens du côté musulman, il y a eu plusieurs initiatives et je dirais qu’il
faut, aujourd’hui, les reformuler, se réengager dans un dialogue qui n’est pas seulement
au niveau de la parole mais des actions communes et des prises de position communes.
Maintenant, dans une société déchirée, divisée, il est difficile de dialoguer paisiblement.
Deux exceptions pour moi : quand existent des contacts à un niveau plus personnel,
là où il y a un lien d’amitié, un vivre-ensemble, alors il y a de réels efforts qui
sont faits. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, ils restent très minoritaires parce que
ça s’inscrit sur un fond de méfiance voire de rejet à l’égard de l’Occident. Donc,
quand on parle du dialogue islamo-chrétien, il faut le lier au dialogue, au rapport
entre Orient et Occident. Le fameux choc des civilisations est passé par là et rend
les choses réellement difficiles. Je crois qu’il y a très peu de dialogue islamo-chrétien
en tant que tel. Il y a toujours une dimension politique voire économique et certainement
sociale.
Récemment, les islamologues Marie-Thérèse et Dominique Urvoy ont
publié La mésentente (Editions du Cerf, avril 2014), un livre
qui a suscité pas mal de discussions. Ils y expriment leurs préoccupations quant à
l’efficacité et l’honnêteté intellectuelle du dialogue islamo-chrétien. Quel est votre
point de vue à ce sujet ? Je crois qu’il y a une réelle difficulté. Ce livre
met le doigt de manière assez critique mais aussi lucide par rapport à une sorte de
dialogue assez superficiel. Dans le dialogue organisé, on entend des gens qui se rencontrent,
qui vont dire des choses plutôt gentilles mais où il y a un profond manque de volonté
de réellement changer. Il me semble que c’est le dialogue lui-même qui est apparu
comme la solution. Je crois qu’il reste préférable à la confrontation mais en même
temps, on a besoin d’une sorte de sérieux. Le dialogue manque malheureusement de sérieux.
Les gens sont souvent en représentation. Il manque au fond que la base des communautés
elles-mêmes soit impliquée. Il y a un effort à faire de manière à ce qu’on n’ait pas
une rencontre de dialogue et puis après, on oublie ce qui s’est passé mais que les
participants, à leur tour, de retour dans leurs communautés respectives, fassent rejaillir
les éléments de réflexion. Maintenant là aussi, je crois qu’il faut le réinscrire
dans un contexte politique. Si des rencontres sur le plan religieux sont possibles,
il ne faut pas en attendre de grands changements dans la mesure où on s’inscrit sur
un arrière-plan sociopolitique, oppositionnel. C'est donc tout un travail qui est
à faire et qui doit être muri. Je prends un exemple simple : la déclaration musulmane
qui invitait à une parole commune. On sait aujourd’hui qu’elle a suscité un large
débat, d’importantes discussions mais du côté musulman, elle est très peu discutée
et certainement pas, comme on dit dans la tradition chrétienne, reçue au niveau des
communautés elles-mêmes. Il faut donc remettre le sujet sur la table. On ne peut pas
se satisfaire, ni d’un échec des dialogues parce que nous vivons ensemble sur la même
planète, ni continuer sur la même voie s'il n’y a pas ce souci de changement.
On
a contextualisé le voyage du Pape en Terre Sainte en parlant du monde musulman, du
développement des idées, du dialogue islamo-chrétien. En tant qu’islamologue, j’aimerais
savoir comment on perçoit le Pape François dans ce monde arabo-musulman et surtout
en Palestine ? Je crois qu’il faut dire d’abord qu’on s’inscrive dans une
ambiance générale de rejet ou de méfiance à l’égard de l’Occident en général. Je crois
qu’il y a eu des blessures profondes. Alors, bien sûr, on mentionne volontiers les
croisades, toute la période coloniale et puis, quand je parle de l’Occident, on revient
souvent sur l’invasion et la guerre menée par l’Occident en Irak, la première et la
deuxième guerre. En particulier, la deuxième guerre menée selon des faux prétextes,
aujourd’hui reconnus et il n’y a jamais personne qui va faire un travail critique.
Il y a donc un profond ressentiment à l’égard de l’Occident en général. C’est vrai
que les contacts que j’ai eus montrent que le Pape et en particulier le Pape François
apparaît un peu comme une autre voix, comme la possibilité d’une attitude plus ouverte
pour ne pas dire plus généreuse, en tout cas moins arbitraire et soucieuse exclusivement
de son propre intérêt dans l’Occident. Cependant, il reste un fond de blessure, de
frustration profonde et au fond, je pense que ce sont des actes et je me réjouis de
la visite du Pape François au Proche-Orient. Je ne crois pas qu’il faut en attendre
de grands changements dans l’immédiat mais être conforté dans cette idée qu’il est
possible d’être occidental et d’être ailleurs que dans cet affrontement souvent mis
en avant. Je ne peux pas parler pour les Palestiniens, du fait que ça se mêle à un
autre niveau de conflit qui est le conflit israélo-palestinien qui ne voit pas d’aboutissement
et là aussi, on est sur une frustration. Tout ça, c’est pour les musulmans. Pour les
chrétiens palestiniens dont le nombre a diminué du fait de l’immigration, le Pape
représente un réel espoir parce que souvent, ils se sentent isolés et donc, pour eux,
ce voyage revêt certainement davantage d’importance.
Photo : Des banderoles
à Bethléem où figurent le Pape François et le président de l'Etat palestinien Mahmoud
Abbas, avant le voyage du Pape en Terre Sainte