2014-05-20 17:44:36

« Le Pape François apparaît comme une autre voix dans le dialogue avec l'Islam »


(RV) Entretien - Le pèlerinage du Pape François en Terre Sainte se veut avant tout un voyage œcuménique, pour marquer le 50e anniversaire de la rencontre à Jérusalem entre le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras. Il n’en reste pas moins que le déplacement du Pape en cette terre fondatrice des monothéismes entretiendra aussi la flamme du dialogue avec les juifs et avec les musulmans.

Pour cela, le Pape François a même innové : il sera accompagné pratiquement de bout en bout de ce voyage par un rabbin et un professeur musulman, Abraham Skorka et Omar Abboud, vieux amis de Buenos Aires. On attend des trois hommes des signes forts, pour marquer les esprits, des signes de paix pour rapprocher des communautés aujourd’hui encore enferrées dans la suspicion, la haine et le rejet.

Il ne nous a pas semblé inutile de jeter notre regard sur les relations islamo-chrétiennes. Qu’en est-il du dialogue, de sa qualité ? Comment aussi est perçu le Pape François ? Des questions posées par Gabriele Palasciano au théologien et islamologue Jean-Claude Basset, professeur à l’Université de Lausanne RealAudioMP3


Où en est le dialogue entre Islam et chrétienté ?
Il ne faut pas oublier que c’est du côté chrétien et en particulier avec Nostra Aetate que le dialogue a été lancé et repris aussi dans le milieu du Conseil Œcuménique des Églises. Au fond, pendant longtemps, du côté musulman, on l’accueillait, on suivait. Et puis après, on a vu apparaître des initiatives, beaucoup de paroles et finalement, peu d’actions. Il me semble que c’est une des difficultés actuelles du dialogue : il y a toujours des rencontres officielles et des programmes de continuité qui malheureusement, ne débouchent pas sur d’authentiques réalisations. Deux remarques à ce sujet : si on regarde du côté du dialogue œcuménique entre chrétiens, là aussi, il faut dire qu’il y a beaucoup de rencontres. Il y a un certain nombre de progrès et en même temps, des blocages. Si je reviens du côté musulman, il y a eu plusieurs initiatives et je dirais qu’il faut, aujourd’hui, les reformuler, se réengager dans un dialogue qui n’est pas seulement au niveau de la parole mais des actions communes et des prises de position communes. Maintenant, dans une société déchirée, divisée, il est difficile de dialoguer paisiblement. Deux exceptions pour moi : quand existent des contacts à un niveau plus personnel, là où il y a un lien d’amitié, un vivre-ensemble, alors il y a de réels efforts qui sont faits. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, ils restent très minoritaires parce que ça s’inscrit sur un fond de méfiance voire de rejet à l’égard de l’Occident. Donc, quand on parle du dialogue islamo-chrétien, il faut le lier au dialogue, au rapport entre Orient et Occident. Le fameux choc des civilisations est passé par là et rend les choses réellement difficiles. Je crois qu’il y a très peu de dialogue islamo-chrétien en tant que tel. Il y a toujours une dimension politique voire économique et certainement sociale.

Récemment, les islamologues Marie-Thérèse et Dominique Urvoy ont publié La mésentente (Editions du Cerf, avril 2014), un livre qui a suscité pas mal de discussions. Ils y expriment leurs préoccupations quant à l’efficacité et l’honnêteté intellectuelle du dialogue islamo-chrétien. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Je crois qu’il y a une réelle difficulté. Ce livre met le doigt de manière assez critique mais aussi lucide par rapport à une sorte de dialogue assez superficiel. Dans le dialogue organisé, on entend des gens qui se rencontrent, qui vont dire des choses plutôt gentilles mais où il y a un profond manque de volonté de réellement changer. Il me semble que c’est le dialogue lui-même qui est apparu comme la solution. Je crois qu’il reste préférable à la confrontation mais en même temps, on a besoin d’une sorte de sérieux. Le dialogue manque malheureusement de sérieux. Les gens sont souvent en représentation. Il manque au fond que la base des communautés elles-mêmes soit impliquée. Il y a un effort à faire de manière à ce qu’on n’ait pas une rencontre de dialogue et puis après, on oublie ce qui s’est passé mais que les participants, à leur tour, de retour dans leurs communautés respectives, fassent rejaillir les éléments de réflexion. Maintenant là aussi, je crois qu’il faut le réinscrire dans un contexte politique. Si des rencontres sur le plan religieux sont possibles, il ne faut pas en attendre de grands changements dans la mesure où on s’inscrit sur un arrière-plan sociopolitique, oppositionnel. C'est donc tout un travail qui est à faire et qui doit être muri. Je prends un exemple simple : la déclaration musulmane qui invitait à une parole commune. On sait aujourd’hui qu’elle a suscité un large débat, d’importantes discussions mais du côté musulman, elle est très peu discutée et certainement pas, comme on dit dans la tradition chrétienne, reçue au niveau des communautés elles-mêmes. Il faut donc remettre le sujet sur la table. On ne peut pas se satisfaire, ni d’un échec des dialogues parce que nous vivons ensemble sur la même planète, ni continuer sur la même voie s'il n’y a pas ce souci de changement.

On a contextualisé le voyage du Pape en Terre Sainte en parlant du monde musulman, du développement des idées, du dialogue islamo-chrétien. En tant qu’islamologue, j’aimerais savoir comment on perçoit le Pape François dans ce monde arabo-musulman et surtout en Palestine ?
Je crois qu’il faut dire d’abord qu’on s’inscrive dans une ambiance générale de rejet ou de méfiance à l’égard de l’Occident en général. Je crois qu’il y a eu des blessures profondes. Alors, bien sûr, on mentionne volontiers les croisades, toute la période coloniale et puis, quand je parle de l’Occident, on revient souvent sur l’invasion et la guerre menée par l’Occident en Irak, la première et la deuxième guerre. En particulier, la deuxième guerre menée selon des faux prétextes, aujourd’hui reconnus et il n’y a jamais personne qui va faire un travail critique. Il y a donc un profond ressentiment à l’égard de l’Occident en général. C’est vrai que les contacts que j’ai eus montrent que le Pape et en particulier le Pape François apparaît un peu comme une autre voix, comme la possibilité d’une attitude plus ouverte pour ne pas dire plus généreuse, en tout cas moins arbitraire et soucieuse exclusivement de son propre intérêt dans l’Occident. Cependant, il reste un fond de blessure, de frustration profonde et au fond, je pense que ce sont des actes et je me réjouis de la visite du Pape François au Proche-Orient. Je ne crois pas qu’il faut en attendre de grands changements dans l’immédiat mais être conforté dans cette idée qu’il est possible d’être occidental et d’être ailleurs que dans cet affrontement souvent mis en avant. Je ne peux pas parler pour les Palestiniens, du fait que ça se mêle à un autre niveau de conflit qui est le conflit israélo-palestinien qui ne voit pas d’aboutissement et là aussi, on est sur une frustration. Tout ça, c’est pour les musulmans. Pour les chrétiens palestiniens dont le nombre a diminué du fait de l’immigration, le Pape représente un réel espoir parce que souvent, ils se sentent isolés et donc, pour eux, ce voyage revêt certainement davantage d’importance.


Photo : Des banderoles à Bethléem où figurent le Pape François et le président de l'Etat palestinien Mahmoud Abbas, avant le voyage du Pape en Terre Sainte







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