2014-05-20 12:42:01

La théologie de la rencontre chez le Pape François


(RV) Entretien - Le pèlerinage du Pape François en Terre Sainte approche, axé sur l’œcuménisme et la commémoration du 50 ème anniversaire de la rencontre à Jérusalem entre le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras. C’est son successeur que François retrouvera au Saint Sépulcre, le Patriarche Bartholomée, pour une prière commune, entourés des représentants de toutes les confessions chrétiennes. Une première absolue.

Paul VI en 1964 était venu en Terre Sainte dans un esprit d’humilité et de pénitence. Et c’est dans ce même esprit qu’arrivera le Pape François. C’est du moins ce que pense Shafique Keshavjee, écrivain très engagé dans le dialogue interconfessionnel et interreligieux et les rapprochements œcuméniques contemporains. Il commence par nous dire combien est fondamentale cette rencontre du Pape François avec le Patriarche Bartholomée, avant de nous parler de la théologie de la rencontre chez ce Pape RealAudioMP3

Cette rencontre entre l’évêque de Rome et le patriarche de Constantinople, c’est fondamental pour la vie de l’Église chrétienne à travers le monde. Bien sûr, il y a eu cet évènement historique de Paul VI et du patriarche Athénagoras en 1964. Et ce que je trouve magnifique dans la rencontre qui vient, c’est qu’au-delà des conflits de l’histoire, nous avons une nouvelle belle rencontre qui va se vivre entre le Pape François et le patriarche Bartholomée. Et c’est un très grand sujet de joie parce que ce n’est pas sur l’orgueil, ce n’est pas sur l’extension du pouvoir mais c’est sur l’humilité. Et quand deux hommes, deux chefs d’Église se rencontrent dans l’humilité, ça change le visage de l’Église.

Quelle prière peut-on attendre de l’Église et du Pape François pour la paix dans cette situation actuelle ?
Le Pape François a demandé dès le départ qu’on prie pour lui. Et je crois que pour ce voyage, c’est très important que toutes les personnes des Églises chrétiennes et les personnes d’autres traditions religieuses prient pour ce voyage parce que ce n’est pas d’abord un être humain qui peut changer les choses, c’est la vie de l’esprit d’humilité, la vie qui va permettre un autre regard sur la situation. Lorsque Paul VI s’était rendu en 1964 en Israël ou en Palestine, c’est parce qu’il y avait un prêtre ouvrier qui était établi en Palestine qui l’avait invité et il voulait que Paul VI vienne voir.
Je trouve intéressantes les raisons pour lesquelles Paul VI voulait, à l’époque, partir en Palestine.
Il avait utilisé quatre mots : simplicité, piété, pénitence et charité. Et là, on voit bien que c’était cette attitude-là de simplicité, de piété, donc de prière, de pénitence, de demande de pardon et d’amour qui l’avait motivé. Et c’est pour ça qu’il y a eu un tel impact de cette rencontre. Et je suis persuadé que le Pape François et le patriarche Bartholomée vont aussi se rencontrer dans cette attitude. Donc, la prière, c’est aussi vraiment une manière d’enraciner dans une ouverture de cœur et d’humilité, pour que l’Esprit Saint puisse permettre quelque chose de nouveau dans cette situation qui est bloquée.

Qui dit prière dit aussi rencontre et dialogue. Professeur Keshavjee, quel rôle joue actuellement dans les Églises le paradigme conceptuel et l’attitude du dialogue.
Le dialogue, c’est quelque chose de très fondamental dans beaucoup d’Églises. On voit qu’au niveau de l’évolution des Églises, la dimension du dialogue a été intégrée. On le voit très bien depuis Vatican II. On le voit aussi dans le Conseil Œcuménique des Églises, dans les fédérations mondiales de différentes Églises à travers le monde. On le voit aussi dans ce mouvement qui grandit extrêmement vite, c’est-à-dire le mouvement évangélique. On voit qu’eux aussi, dans leur théologie, ils ont intégré beaucoup plus le dialogue. Le mouvement de Lausanne qui est ce grand mouvement d’évangélisation du monde qui s’était retrouvé à Lausanne, à Manille et à Cape Town rassemble des centaines de millions d’évangéliques et on voit qu’eux aussi tiennent compte du dialogue. Donc, l’idée du dialogue s’est beaucoup développée.
En même temps, il faut être très réaliste. Il faut bien se rendre compte qu’aujourd’hui, nous vivons une période de crispation parce que les gens ont peur, il y a la mondialisation économique mais aussi culturelle et les gens ont peur de perdre leur identité. Donc il y a aussi une réaffirmation forte des catholiques, des protestants, des musulmans, des juifs et des hindous. On le voit avec les élections toutes récentes en Inde avec le PJB et l’affirmation de la philosophie de l’hindouisme qui prédomine. Donc, il y a une ouverture au dialogue et en même temps, on voit qu’il y a des crispations et des peurs. Et c’est pour cela que l’importance de la rencontre, telle que la vit le Pape François, est très importante parce qu’on voit que dans son attitude, il est chrétien catholique, il a cette ouverture de cœur. Donc, on peut avoir une identité claire et on peut aussi rencontrer et dialoguer. Je crois que ce modèle-là, c’est un modèle qui doit se développer à travers la planète.

Et en ce qui concerne les grandes traditions religieuses de l’humanité ?
Je crois qu’on voit le même processus. On voit l’extraordinaire complexité. Lorsqu’on voit l’Islam, il y a des courants très ouverts et il y a des courants beaucoup plus fermés, plus agressifs, plus militants. On le voit aussi au sein du judaïsme. Donc, lorsqu’on parle des traditions religieuses, il faut être extrêmement prudent pour ne pas projeter quelque chose qui soit uniformisant. Il y a une très grande diversité. Donc, dans le voyage qui vient du Pape, je crois que là aussi, c’est très précieux parce qu’il va prendre le temps de rencontrer les plus grands responsables du côté juif
ou du côté musulman mais il rencontre aussi les responsables politiques des deux côtés et ça, c’est fabuleux.
Par rapport aux crispations d’avoir un homme qui vient avec humilité à la rencontre, je crois que ça va favoriser des changements en profondeur. Je trouve très important aussi que le Pape, lorsqu’il se rend en Israël fasse ce que Jean-Paul II avait fait en l’an 2000, c’est-à-dire visiter le Yad Vashem, ce musée qui rappelle les horreurs de la Shoah, de cette catastrophe, de cette destruction. C’est aussi une façon de dire qu’on écoute ceux qui souffrent. On ne doit pas d’abord faire de grandes théories. On écoute ceux qui souffrent et ceux qui souffrent des deux côtés. Les juifs ont souffert à travers l’histoire, ils continuent de souffrir aujourd’hui. Et aujourd’hui, l’antisémitisme se répand, se développe. Donc, c’est très important que les juifs soient rassurés en disant : « nous écoutons votre souffrance et nous ne voulons pas que cette souffrance redevienne ce qu’elle a été ». Donc, il faut limiter cela.
Et en même temps, nous savons bien que beaucoup de Palestiniens souffrent car il y a une partie de leurs terres qui est colonisée. Voilà, il y a une vraie souffrance de part et d’autre. Écouter les deux souffrances, les écouter avec humilité et dans la prière et essayer de faire avancer les choses. Je pense que c’est à partir de cette attitude que l’on peut ouvrir les cœurs et favoriser le dialogue qui existe mais qui peut se replier quand on a peur.

Face à l’affirmation d’un athéisme militant qui perçoit les religions comme un mal radical qu’il faut bien extirper pour garantir le progrès de l’humanité avec un nombre d’adeptes de plus en plus élevés, quel devrait être la réaction des grandes traditions religieuses ?
Face aux éléments négatifs des institutions religieuses, face aux violences qui ont existé des chrétiens à l’égard des juifs, des chrétiens à l’égard des musulmans, des musulmans à l’égard des juif, des musulmans à l’égard des chrétiens, etc. Donc, il y a eu de terribles violences à travers l’Islam et face à cette violence, cela donnait beaucoup d’arguments pour les athées en disant : « regardez, tous parlent de compassion, de miséricorde, d’amour mais dans les faits, ils s’entretuent ». Et c’est vrai, il faut bien le reconnaître, il y a eu des horreurs dans le passé et parfois dans le présent. Donc, les athées ont eu ce rôle de dire : « voyez, vous n’êtes pas à la hauteur des enseignements que vous prêchez ». Il y a quelque chose à entendre de positif.
Et en même temps, ce qui est problématique, c’est qu’ils généralisent. On voit bien que l’athéisme du 20°siècle qui s’est répandu dans le marxisme, le stalinisme, le maoïsme, ça a eu des dégâts bien plus catastrophiques encore que ce que les Églises ont fait. Face au matérialisme, à l’athéisme militant aujourd’hui, c’est fondamental de rappeler que l’histoire de l’humanité a été marquée par des hommes comme Jésus jusqu’à Gandhi aujourd’hui, à des personnalités comme cela dans ces dernières décennies qui ont été des hommes de foi. On ne peut pas remettre tout le monde dans le même paquet en disant que c’est la faute à la foi, la faute au monothéisme.
Non, il y a une manière tragique de vivre le monothéisme qui tue mais lorsque le monothéisme est vécu à la suite des grands sages et en particulier, des prophètes de Jésus, c’est un ministère de réconciliation, de paix et de justice. C’est ça qui est très important et c’est ce témoignage qui compte aujourd’hui.

En Terre Sainte, juifs, musulmans et chrétiens de différentes confessions vivent ensemble. C’est à eux que le Pape François adressera son message. Comme on l’ a dit, cela aura lieu dans une période de l’histoire où les monothéismes posent une question herméneutique qui concerne leur genèse et leur développement. Le monothéisme est-il intrinsèquement porteur d’une charge de violence ?
Une fois de plus, on voit bien que le monothéisme peut être extrêmement exclusif ou alors, il peut être source de rapprochement. Cela dépend de la manière d’interpréter les textes fondateurs. Il y a une manière autosuffisante de lire ces textes et cette manière autosuffisante a été source de très grandes violences. Il y a aussi une manière d’ouverture qui fait qu’il y a une attitude de cœur qui va faire qu’on est beaucoup plus humble, tout en étant clair dans sa foi mais une attitude d’humilité.
Il y a une attitude schismatique qui fait qu’on affirme « j’ai raison », « l’autre a tort ». Et il y a une attitude symphonique qui dit « l’autre a ses raisons et j’ai aussi mes torts ». Et lorsqu’on rentre dans une attitude symphonique, à partir de cette attitude, on peut écouter les arguments des autres sans forcément les approuver et tout en reconnaissant aussi que nous avons des torts qui doivent être changés. Et je crois que c’est cette attitude symphonique qui va faire qu’on peut être en lien. Il est vrai que très souvent, le monothéisme ou le matérialisme aujourd’hui, a une attitude très carrée, très schismatique au lieu d’avoir une attitude symphonique.

Vous avez parlé d’une attitude symphonique. Il y a-t-il une véritable théologie de la rencontre chez le Pape François ?
Selon ce que je perçois, oui. Je crois qu’il y a cette attitude de rencontre, d’écoute, d’être très attentif à la situation des personnes fragilisées, des réfugiés, des personnes qui vivent dans une situation difficile. Et je crois que dans ce sens-là, le Pape François est un exemple parce qu’il va à la rencontre dans une attitude d’humilité. Donc, prendre l’initiative de rencontrer, prendre l’initiative d’être auprès de ceux qui souffrent. C’est une attitude fondamentale.
Je pense aussi à un très vieux texte de la Bible. Si nous remontons dans un texte fondateur, le Livre des Actes, il y a cette attitude où Pierre et Jean se rendent au temple. Je trouve que ce texte est aussi très éclairant par rapport à la rencontre qui aura lieu parce que Pierre est la figure de l’apôtre Pierre et de tout ce qui va être donné par la suite ou vécu dans l’Église catholique. Et puis, Jean. Souvent les orthodoxes s’y réfèrent. Et dans ces textes, on voit que Pierre et Jean sont attentifs à la souffrance d’un homme qui est paralysé. Et c’est parce qu’ils sont attentifs à cette souffrance que Pierre va pouvoir prendre la parole et grâce à sa foi, à son ouverture au Christ, cet homme qui était paralysé va pouvoir se mettre à marcher. Et pour moi, c’est une parabole et c’est aussi vraiment ma prière, cette attitude de rencontre, d’être à l’écoute de ceux qui souffrent.
Actuellement, un des endroits sur la planète où la souffrance est extrêmement grande, c’est entre Juifs et Palestiniens. Ce conflit se répercute dans le monde entier parce que les tensions entre chrétiens, juifs et musulmans à travers la planète viennent aussi beaucoup de ce qui se passe en Israël et Palestine. Donc, dans le texte biblique, on voit Pierre et Jean, figures du Pape et du patriarche qui sont à l’écoute de la souffrance. Et dans la situation d’un homme paralysé, grâce à la foi, grâce à l’Esprit Saint, cet homme se met en route. C’est ma prière pour que cette situation bloquée puisse vivre un déblocage, que quelque chose soit remis debout. Donc, je mets beaucoup d’espoir dans cette attitude de théologie de la rencontre que le Pape François met en œuvre.


Un entretien signé Gabriele Palasciano







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