2014-05-06 15:53:01

Mgr Jeanbart témoigne sur la situation d'Alep


(RV) Témoignage - Dans le nord de la Syrie, la journée de lundi fut particulièrement sombre. Au moins 30 militaires loyalistes syriens ont été tués dans l'explosion d'une très grande quantité d'explosifs placés dans un tunnel creusé sous leur poste de contrôle au nord-est de la ville de Maaret al-Noomane dans la province nord-ouest d'Idleb. Selon un source rebelle de la ville, il a fallu 50 jours et 60 combattants pour creuser ce tunnel, long de 290 mètres. Selon le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l’homme, cette position faisait partie de la ligne de défense de l'énorme base militaire de Wadi Deif, un des derniers bastions du régime dans la région d'Idleb.

Mais les rebelles se battent aussi entre eux. Lundi les combats entre groupes djihadistes rivaux dans l'est de la Syrie ont fait plus de 70 morts, malgré le rappel à l'ordre adressé par le chef d'Al-Qaïda à la branche syrienne du réseau.

Près d’Alep, le front Al Nosra se bat avec le front islamique en Irak et au Levant, tout deux cherchant à l’emporter sur les forces de l’Armée syrienne libre et sur les troupes de Bachar El Assad. Mgr Jean-Clément Jeanbart est l’évêque melkite d’Alep. Il nous en parle. RealAudioMP3

Nous avons un grand problème, c’est la présence des fondamentalistes et des rebelles dans la vieille ville d’Alep. Maintenant, les fondamentalistes sont dans des zones qui sont un peu coupées de la zone où vivent les citadins. Par exemple, les quartiers où vivent aussi des musulmans, il n’y a pas de fondamentalistes mais c’est dans les banlieues et la périphérie de la ville qu’il y a des fondamentalistes. Alors, nous, nous subissons les conséquences des combats parce qu’il y a beaucoup de mortiers et de projectiles qui causent la mort de beaucoup d’innocents et malheureusement, de beaucoup de civils.

Concernant les fondamentalistes dans les banlieues, avez-vous des échos sur ce qui se passe, et comment ils essayent de faire appliquer leurs lois ?
Oui, nous avons des nouvelles de ce genre. Par exemple, nous avons vu dans une ville qui est à 120-140km d’Alep, à Raqa, ils ont un tribunal coranique qui a décrété la crucifixion d’un certain nombre de personnes. À Alep aussi, ils essayent d’appliquer la loi musulmane fondamentaliste, ce qui exclut toute possibilité d’être différent. C’est ça qui est préoccupant. Autrement, nous n’avons pas de problème à vivre avec les musulmans. Nous vivons avec eux depuis 1400 ans et nous avons beaucoup d’amis musulmans, de cheiks musulmans. Hier, un cheik musulman m’écrivait une très belle lettre. Je lui ai répondu et puis, je lui ai envoyé la lettre du Pape François pour la journée de la paix qui est merveilleuse. Lui, il parlait de charité et d’amour. Je lui ai dit «
Écoutez, la fraternité, comme le dit le Pape, est la seule voie pour la pacification et la réconciliation
». Nous essayons d’avoir de bonnes relations avec tout le monde et nous avons de très bonnes relations avec les musulmans.

D’ailleurs, il y a des musulmans qui eux aussi, ont été crucifiés.
Oui, effectivement. Le malheur, c’est qu’il y a des étrangers qui sont là, qui n’ont aucune idée de ce qu’est vraiment l’Islam et qui ne savent même pas lire l’arabe, c’est-à-dire qu’ils n’ont même pas lu le Coran. Le Coran leur a été transmis, traduit ou présenté par des Oulémas qui eux aussi ne connaissent peut-être pas l’arabe et qui ont pris leur enseignement de certains maîtres fondamentalistes qui les orientent. C’est ça le malheur, c’est qu’ils ont faussé l’Islam et le Coran. Mais le Coran n’appelle pas à toutes ces violences. La majorité de ceux qui font la guerre, des rebelles sont des chichans, des turcs, des gens qui viennent du Pakistan, d’un peu partout. Il y a un grand nombre de pays où le recrutement se fait.

On a l’impression, vu de l’étranger, qu’en ce moment, à Alep, les seules forces en présence sont des fondamentalistes qui se font la guerre, des fondamentalistes islamistes. L’État islamique en Irak et au Levant, le front Al Nosra et en face d’eux, l’armée syrienne libre. Est-ce qu’il y a encore une présence de l’armée de Bachar Al-Assad ?
L’armée gouvernementale est là, autrement, nous aurions été envahis dans toute la ville. En fait, ce qu’était la ville il y a 30-40 ans est entièrement sous le contrôle du gouvernement. Par exemple, nos quartiers musulmans récents, c’est le gouvernement qui en a le contrôle. Autrement, s’il n’y avait pas les forces de l’armée syrienne officielle, nous aurions été dans une situation vraiment pénible.

A plusieurs reprises, le Pape a appelé toutes les parties à dialoguer, à trouver une solution négociée. Là, on a l’impression que c’est tellement morcelé, que chaque ville a un sort, une histoire bien particulière. Aujourd’hui, un accord inédit a été conclu entre le régime et les rebelles pour qu’ils se retirent de la vieille ville de Homs. Est-ce que vous avez le sentiment que c’est ce genre de solution qui pourrait finalement garantir un début de paix en Syrie ?
Oui, ça peut être cela mais il faut en même temps une paix globale, une entente globale. Il faut les deux. Il faut que le général continue ses efforts pour arriver à une entente et à une solution. Il faut aussi des ententes partielles, là où il y a des tensions et le plus de malheurs que les gens subissent.

Vous n’avez pas l’impression que cela peut provoquer un morcellement du pays ?
On a peur de cela mais je ne pense pas parce que finalement, tous les gens dans toutes les zones, ils ont besoin les uns des autres, ils sont reliés à des organismes d’État ou des organismes de service qui sont unifiés. Ils vivent du salaire qui provient de la caisse du budget national. Bien sûr, il y a des gens qui veulent créer ce morcellement mais je souhaite que ça n’ait pas lieu parce qu’autrement, ça finirait par anéantir le pays.

Ce serait la fin de l’identité syrienne ?
Oui, de l’entité syrienne mais aussi de la viabilité du pays. Ça sera malheureux... De toute façon, on ne sait pas comment les choses vont évoluer. Nous espérons quand même que de plus en plus de personnes réalisent que la meilleure solution, c’est la réconciliation, l’entente et la paix. La paix qui est à l’avantage de tout le monde parce que vous ne pouvez pas imaginer le nombre de morts, qui est plus important que ce que l’on déclare, et aussi, les destructions, l’anéantissement du pays.


Photo : inspection d'un site bombardé dans la ville d'Azaz, au nord d'Alep, près de la frontière turque, le 5 mai 2014








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