(RV) Témoignage - Dans le nord de la Syrie, la journée de lundi fut particulièrement
sombre. Au moins 30 militaires loyalistes syriens ont été tués dans l'explosion d'une
très grande quantité d'explosifs placés dans un tunnel creusé sous leur poste de contrôle
au nord-est de la ville de Maaret al-Noomane dans la province nord-ouest d'Idleb.
Selon un source rebelle de la ville, il a fallu 50 jours et 60 combattants pour creuser
ce tunnel, long de 290 mètres. Selon le directeur de l'Observatoire syrien des droits
de l’homme, cette position faisait partie de la ligne de défense de l'énorme base
militaire de Wadi Deif, un des derniers bastions du régime dans la région d'Idleb.
Mais
les rebelles se battent aussi entre eux. Lundi les combats entre groupes djihadistes
rivaux dans l'est de la Syrie ont fait plus de 70 morts, malgré le rappel à l'ordre
adressé par le chef d'Al-Qaïda à la branche syrienne du réseau.
Près d’Alep,
le front Al Nosra se bat avec le front islamique en Irak et au Levant, tout deux cherchant
à l’emporter sur les forces de l’Armée syrienne libre et sur les troupes de Bachar
El Assad. Mgr Jean-Clément Jeanbart est l’évêque melkite d’Alep. Il nous en
parle.
Nous avons
un grand problème, c’est la présence des fondamentalistes et des rebelles dans la
vieille ville d’Alep. Maintenant, les fondamentalistes sont dans des zones qui sont
un peu coupées de la zone où vivent les citadins. Par exemple, les quartiers où vivent
aussi des musulmans, il n’y a pas de fondamentalistes mais c’est dans les banlieues
et la périphérie de la ville qu’il y a des fondamentalistes. Alors, nous, nous subissons
les conséquences des combats parce qu’il y a beaucoup de mortiers et de projectiles
qui causent la mort de beaucoup d’innocents et malheureusement, de beaucoup de civils.
Concernant les fondamentalistes dans les banlieues, avez-vous des échos
sur ce qui se passe, et comment ils essayent de faire appliquer leurs lois ? Oui,
nous avons des nouvelles de ce genre. Par exemple, nous avons vu dans une ville qui
est à 120-140km d’Alep, à Raqa, ils ont un tribunal coranique qui a décrété la crucifixion
d’un certain nombre de personnes. À Alep aussi, ils essayent d’appliquer la loi musulmane
fondamentaliste, ce qui exclut toute possibilité d’être différent. C’est ça qui est
préoccupant. Autrement, nous n’avons pas de problème à vivre avec les musulmans. Nous
vivons avec eux depuis 1400 ans et nous avons beaucoup d’amis musulmans, de cheiks
musulmans. Hier, un cheik musulman m’écrivait une très belle lettre. Je lui ai répondu
et puis, je lui ai envoyé la lettre du Pape François pour la journée de la paix qui
est merveilleuse. Lui, il parlait de charité et d’amour. Je lui ai dit « Écoutez,
la fraternité, comme le dit le Pape, est la seule voie pour la pacification et la
réconciliation ». Nous essayons d’avoir de bonnes relations avec tout le monde
et nous avons de très bonnes relations avec les musulmans.
D’ailleurs,
il y a des musulmans qui eux aussi, ont été crucifiés. Oui, effectivement.
Le malheur, c’est qu’il y a des étrangers qui sont là, qui n’ont aucune idée de ce
qu’est vraiment l’Islam et qui ne savent même pas lire l’arabe, c’est-à-dire qu’ils
n’ont même pas lu le Coran. Le Coran leur a été transmis, traduit ou présenté par
des Oulémas qui eux aussi ne connaissent peut-être pas l’arabe et qui ont pris leur
enseignement de certains maîtres fondamentalistes qui les orientent. C’est ça le malheur,
c’est qu’ils ont faussé l’Islam et le Coran. Mais le Coran n’appelle pas à toutes
ces violences. La majorité de ceux qui font la guerre, des rebelles sont des chichans,
des turcs, des gens qui viennent du Pakistan, d’un peu partout. Il y a un grand nombre
de pays où le recrutement se fait.
On a l’impression, vu de l’étranger,
qu’en ce moment, à Alep, les seules forces en présence sont des fondamentalistes qui
se font la guerre, des fondamentalistes islamistes. L’État islamique en Irak et au
Levant, le front Al Nosra et en face d’eux, l’armée syrienne libre. Est-ce qu’il y
a encore une présence de l’armée de Bachar Al-Assad ? L’armée gouvernementale
est là, autrement, nous aurions été envahis dans toute la ville. En fait, ce qu’était
la ville il y a 30-40 ans est entièrement sous le contrôle du gouvernement. Par exemple,
nos quartiers musulmans récents, c’est le gouvernement qui en a le contrôle. Autrement,
s’il n’y avait pas les forces de l’armée syrienne officielle, nous aurions été dans
une situation vraiment pénible.
A plusieurs reprises, le Pape a appelé
toutes les parties à dialoguer, à trouver une solution négociée. Là, on a l’impression
que c’est tellement morcelé, que chaque ville a un sort, une histoire bien particulière.
Aujourd’hui, un accord inédit a été conclu entre le régime et les rebelles pour qu’ils
se retirent de la vieille ville de Homs. Est-ce que vous avez le sentiment que c’est
ce genre de solution qui pourrait finalement garantir un début de paix en Syrie ?
Oui, ça peut être cela mais il faut en même temps une paix globale, une entente
globale. Il faut les deux. Il faut que le général continue ses efforts pour arriver
à une entente et à une solution. Il faut aussi des ententes partielles, là où il y
a des tensions et le plus de malheurs que les gens subissent.
Vous n’avez
pas l’impression que cela peut provoquer un morcellement du pays ? On a peur
de cela mais je ne pense pas parce que finalement, tous les gens dans toutes les zones,
ils ont besoin les uns des autres, ils sont reliés à des organismes d’État ou des
organismes de service qui sont unifiés. Ils vivent du salaire qui provient de la caisse
du budget national. Bien sûr, il y a des gens qui veulent créer ce morcellement mais
je souhaite que ça n’ait pas lieu parce qu’autrement, ça finirait par anéantir le
pays.
Ce serait la fin de l’identité syrienne ? Oui, de l’entité
syrienne mais aussi de la viabilité du pays. Ça sera malheureux... De toute façon,
on ne sait pas comment les choses vont évoluer. Nous espérons quand même que de plus
en plus de personnes réalisent que la meilleure solution, c’est la réconciliation,
l’entente et la paix. La paix qui est à l’avantage de tout le monde parce que vous
ne pouvez pas imaginer le nombre de morts, qui est plus important que ce que l’on
déclare, et aussi, les destructions, l’anéantissement du pays.
Photo
: inspection d'un site bombardé dans la ville d'Azaz, au nord d'Alep, près de la frontière
turque, le 5 mai 2014