2014-05-06 08:19:28

Elections en Afrique du Sud : victoire assurée de l'ANC ?


(RV) Entretien- Elections générales en Afrique du Sud, ce mercredi 7 mai, cinquième scrutin depuis l’instauration de la démocratie, en 1994.

Vingt ans après les premières élections démocratiques multiraciales, et la fin de l’Apartheid, l’Afrique du Sud semble jouir aujourd’hui d’une indépendance politique sûre ; mais si certaines avancées sont à noter, comme le droit à l’instruction pour tous, ou l’amélioration des services de santé, force est de constater que les inégalités sociales et économiques sont criantes. Le mécontentement de certaines couches de la population, lassées de l’ impéritie des classes dirigeantes pour la plupart corrompues, est également bien réel.

Aux commandes du pays depuis vingt ans, l’ANC, le congrès national africain, auréolé d’un prestige certain, est pratiquement assuré de l’emporter, même si certaines ombres sont apparues au tableau.

Décryptage des principaux enjeux de ces élections avec Nicolas Pons-Vignon, chercheur à l'université du Witwatersrand, à Johannesburg : RealAudioMP3

En effet, l’ANC est le grand favori. Je pense que la raison, c’est le fait que c’est le mouvement qui a libéré le pays de l’apartheid et qui est perçu par la majorité des Sud-africains et bien sûr, les Sud-africains noirs comme étant celui qui a réussi à mettre fin au régime d’apartheid. À mon avis, c’est sans doute la dernière élection où on peut dire avant autant de certitude que c’est l’ANC qui va l’emporter parce que cette fois-là, je pense que le crédit de l’ANC est très entamé après 20 ans au pouvoir.

Il y a donc des ombres au tableau, par exemple, la corruption très présente, donc, très problématique.
Ce qui est un problème, c’est quand la corruption devient un obstacle à la croissance, un obstacle à la réduction de la pauvreté et des inégalités. Et c’est le cas en Afrique du Sud où pour donner un exemple qui illustre ce que j’essaye de dire, la politique de renforcement de responsabilisation des noirs, le Black Economic Empowerment qui est une des grandes politiques qui, comme beaucoup de politiques en Afrique du Sud, vient de l’époque de l’apartheid, a été crée dans les années’80 par des grandes entreprises, notamment des entreprises minières et qui a été poursuivi par le gouvernement de Thabo Mbeki. Cette politique, au lieu de promouvoir l’émergence d’entrepreneurs productifs ou de gens qui travaillent dans l’industrie ou qui créent de la valeur pour l’économie, est surtout centrée sur le fait de faire rentrer certaines personnes, généralement très connectées politiquement avec des gens de l’ANC ou du gouvernement au sein de grands groupes blancs existants pour évidemment donner à ces groupes un appui politique. Le résultat, c’est que les possibilités pour une population noire de trouver un emploi ou de faire créer une entreprise sont très limitées parce que la grande majorité des opportunités sont appropriées par un petit groupe de gens.

Le taux de chômage est très élevé en Afrique du Sud. En quoi ce véritable problème peut-il peser sur ces élections ?
Autour de cette question du chômage, il y a deux approches qui s’affrontent. D’une part, une approche très néolibérale, un peu ce que l’on voit en Europe en ce moment qui dit qu’il faut précariser le travail, flexibiliser le marché du travail afin de permettre aux employeurs de pouvoir recruter plus de gens. Mais ça, ça se heurte évidemment à une réalité : les gens qui travaillent déjà en Afrique du Sud dans des métiers peu qualifiés sont déjà payés à des taux extrêmement bas. Donc, la question c’est : Est-ce qu’on peut vraiment les payer moins ?
L’autre approche qui s’est beaucoup développée ces dernières années, c’est de dire qu’il faut des politiques économiques beaucoup plus interventionnistes que les politiques que l’ANC a mis en œuvre depuis le milieu des années ’90 qui dans l’ensemble, ont été des politiques très néolibérales. C’est une des questions essentielles. La mesure dans laquelle les élections vont changer grand-chose de ce point de vue-là ne semble pas évidente parce que l’ANC étant assuré de gagner les élections, les vrais débats politiques ou les vrais débats d’orientation en Afrique du Sud sont des débats qui se passent à l’intérieur de l’ANC. Alors, évidemment, ils sont influencés parce qui se passe à l’extérieur. Mais néanmoins, ce n’est pas le débat électoral en lui-même qui va décider de l’orientation d’une politique pour réduire le chômage qui est soit de type libéral ou de type interventionniste.

Quel est l’état d’esprit de la population, vingt ans après l’instauration de la démocratie ?
Je pense que la majorité est très déçue. Cependant, cette déception ne se traduit pas encore par une volonté de lâcher l’ANC, en tout cas électoralement, mais on voit évidemment un mécontentement croissant. D’ailleurs, ce mécontentement se manifeste assez clairement par la croissance de la violence politique. C’est particulièrement visible dans les mouvements de protestation qui contestent par exemple les problèmes de fourniture d’eau ou d’électricité dans les townships et qui se terminent souvent par des gens qui attaquent les maisons des conseillers municipaux des townships en leur reprochant de ne pas avoir fait leur travail. Il y a évidemment des grèves violentes, ça a culminé au moment de Marikana en août 2012 avec le massacre de 36 mineurs par la police. Donc, il y a vraiment une montée de cette contestation qui révèle très clairement qu’il y a une frustration et elle a une raison assez évidente d’être, c’est que si vous regardez l’évolution du revenu par tête en fonction des races en Afrique du Sud depuis 1994, vous voyez que ce sont toujours les blancs qui, de très loin, ont le plus de revenus. Il n’y a pas vraiment de redistribution et surtout, il n’y a pas vraiment eu d’amélioration substantielle pour la majorité de la population africaine en Afrique du Sud.




Photo : Certains bureaux de vote ont déjà ouvert pour permettre aux personnes handicapées de pouvoir voter, avant le jour officiel du scrutin, le mercredi 7 mai.







All the contents on this site are copyrighted ©.