Elections en Afrique du Sud : victoire assurée de l'ANC ?
(RV) Entretien- Elections générales en Afrique du Sud, ce mercredi 7 mai, cinquième
scrutin depuis l’instauration de la démocratie, en 1994.
Vingt ans après les
premières élections démocratiques multiraciales, et la fin de l’Apartheid, l’Afrique
du Sud semble jouir aujourd’hui d’une indépendance politique sûre ; mais si certaines
avancées sont à noter, comme le droit à l’instruction pour tous, ou l’amélioration
des services de santé, force est de constater que les inégalités sociales et économiques
sont criantes. Le mécontentement de certaines couches de la population, lassées de
l’ impéritie des classes dirigeantes pour la plupart corrompues, est également bien
réel.
Aux commandes du pays depuis vingt ans, l’ANC, le congrès national africain,
auréolé d’un prestige certain, est pratiquement assuré de l’emporter, même si certaines
ombres sont apparues au tableau.
Décryptage des principaux enjeux de ces élections
avec Nicolas Pons-Vignon, chercheur à l'université du Witwatersrand, à Johannesburg
:
En
effet, l’ANC est le grand favori. Je pense que la raison, c’est le fait que c’est
le mouvement qui a libéré le pays de l’apartheid et qui est perçu par la majorité
des Sud-africains et bien sûr, les Sud-africains noirs comme étant celui qui a réussi
à mettre fin au régime d’apartheid. À mon avis, c’est sans doute la dernière élection
où on peut dire avant autant de certitude que c’est l’ANC qui va l’emporter parce
que cette fois-là, je pense que le crédit de l’ANC est très entamé après 20 ans au
pouvoir.
Il y a donc des ombres au tableau, par exemple, la corruption très
présente, donc, très problématique. Ce qui est un problème, c’est quand la
corruption devient un obstacle à la croissance, un obstacle à la réduction de la pauvreté
et des inégalités. Et c’est le cas en Afrique du Sud où pour donner un exemple qui
illustre ce que j’essaye de dire, la politique de renforcement de responsabilisation
des noirs, le Black Economic Empowerment qui est une des grandes politiques qui,
comme beaucoup de politiques en Afrique du Sud, vient de l’époque de l’apartheid,
a été crée dans les années’80 par des grandes entreprises, notamment des entreprises
minières et qui a été poursuivi par le gouvernement de Thabo Mbeki. Cette politique,
au lieu de promouvoir l’émergence d’entrepreneurs productifs ou de gens qui travaillent
dans l’industrie ou qui créent de la valeur pour l’économie, est surtout centrée sur
le fait de faire rentrer certaines personnes, généralement très connectées politiquement
avec des gens de l’ANC ou du gouvernement au sein de grands groupes blancs existants
pour évidemment donner à ces groupes un appui politique. Le résultat, c’est que les
possibilités pour une population noire de trouver un emploi ou de faire créer une
entreprise sont très limitées parce que la grande majorité des opportunités sont appropriées
par un petit groupe de gens.
Le taux de chômage est très élevé en Afrique
du Sud. En quoi ce véritable problème peut-il peser sur ces élections ? Autour
de cette question du chômage, il y a deux approches qui s’affrontent. D’une part,
une approche très néolibérale, un peu ce que l’on voit en Europe en ce moment qui
dit qu’il faut précariser le travail, flexibiliser le marché du travail afin de permettre
aux employeurs de pouvoir recruter plus de gens. Mais ça, ça se heurte évidemment
à une réalité : les gens qui travaillent déjà en Afrique du Sud dans des métiers peu
qualifiés sont déjà payés à des taux extrêmement bas. Donc, la question c’est : Est-ce
qu’on peut vraiment les payer moins ?
L’autre approche qui s’est beaucoup développée ces dernières années, c’est de
dire qu’il faut des politiques économiques beaucoup plus interventionnistes que les
politiques que l’ANC a mis en œuvre depuis le milieu des années ’90 qui dans l’ensemble,
ont été des politiques très néolibérales. C’est une des questions essentielles. La
mesure dans laquelle les élections vont changer grand-chose de ce point de vue-là
ne semble pas évidente parce que l’ANC étant assuré de gagner les élections, les vrais
débats politiques ou les vrais débats d’orientation en Afrique du Sud sont des débats
qui se passent à l’intérieur de l’ANC. Alors, évidemment, ils sont influencés parce
qui se passe à l’extérieur. Mais néanmoins, ce n’est pas le débat électoral en lui-même
qui va décider de l’orientation d’une politique pour réduire le chômage qui est soit
de type libéral ou de type interventionniste.
Quel est l’état d’esprit
de la population, vingt ans après l’instauration de la démocratie ? Je pense
que la majorité est très déçue. Cependant, cette déception ne se traduit pas encore
par une volonté de lâcher l’ANC, en tout cas électoralement, mais on voit évidemment
un mécontentement croissant. D’ailleurs, ce mécontentement se manifeste assez clairement
par la croissance de la violence politique. C’est particulièrement visible dans les
mouvements de protestation qui contestent par exemple les problèmes de fourniture
d’eau ou d’électricité dans les townships et qui se terminent souvent par des gens
qui attaquent les maisons des conseillers municipaux des townships en leur reprochant
de ne pas avoir fait leur travail. Il y a évidemment des grèves violentes, ça a culminé
au moment de Marikana en août 2012 avec le massacre de 36 mineurs par la police. Donc,
il y a vraiment une montée de cette contestation qui révèle très clairement qu’il
y a une frustration et elle a une raison assez évidente d’être, c’est que si vous
regardez l’évolution du revenu par tête en fonction des races en Afrique du Sud depuis
1994, vous voyez que ce sont toujours les blancs qui, de très loin, ont le plus de
revenus. Il n’y a pas vraiment de redistribution et surtout, il n’y a pas vraiment
eu d’amélioration substantielle pour la majorité de la population africaine en Afrique
du Sud.
Photo : Certains bureaux de vote ont déjà ouvert pour
permettre aux personnes handicapées de pouvoir voter, avant le jour officiel du scrutin,
le mercredi 7 mai.