Afghanistan : la présidentielle se joue sans les femmes
(RV) Entretien- C’est un scrutin sous pressions locales et étrangères. Un vote
menacé par la fraude, et qui se déroulera dans des conditions de sécurité élevées,
mais trop peu pour permettre à tous de se rendre aux urnes sans faire l’objet de violences,
essentiellement talibanes dans les régions du sud et de l'est du pays.
Ce
samedi, les Afghans sont appelés à élire leur président parmi huit candidats. Le vainqueur
succèdera à Hamid Karzaï qui après deux mandats, soit 12 ans de pouvoir, ne peut plus
se représenter. Il s’agit dans ce pays du premier passage démocratique de pouvoir
d’un président élu à un autre et ainsi d'une échéance majeure à quelques mois du retrait
des troupes de l’Otan, arrivée sur place dans la foulée du 11 septembre 2001.
Eliminées
de la sphère publique par les talibans, quel furent les progrès accomplis ces 13 dernières
années pour les femmes ? Chékéba Hachemi préside l'association Afghanistan
libre, fondée en 2001 pour promouvoir le droit des femmes grâce à la création
d'écoles et de coopératives de femmes. Elle fut également la première femme à être
nommée diplomate par le gouvernement d'Hamid Karzaï en 2002 :
Je
pense que le régime des talibans est le pire régime que connaisse l’humanité de notre
époque. Et c’est vrai que comparé à ce régime-là, ça n’a pas de sens. Ils avaient
simplement interdit les femmes d’exister, y compris de se faire soigner. Elles mourraient
devant la porte des hôpitaux parce qu’elles n’avaient pas le droit de se faire soigner
par des hommes. Bien évidemment, on a beaucoup progressé depuis la chute des talibans
en 2001. Il y a plus de deux millions de petites filles et de jeunes filles qui ont
été scolarisées. On a fait une constitution afghane où elles ont dans la loi, les
mêmes droits que les hommes. On a imposé la discrimination positive, si on peut dire
cela, au niveau des élections parlementaires pour qu’il y ait au moins une femme par
province, ce qui fait à peu près 23-24% du parlement. Donc, c’est vrai que tout ça,
ce sont des progrès. On a eu des femmes ministres, on a eu une fenêtre d’espoir vers
l’avenir pour les femmes et les hommes. On est simplement en train de perdre ces acquis-là
et c’est pour cela que c’est une année charnière pour les femmes en Afghanistan.
Avant
de revenir sur ces difficultés, ces femmes qui sont au parlement, est-ce qu’elles
y ont le même poids que les hommes ? Dans un pays où il y a autant d’analphabétisme
et d’illettrisme, ces femmes qui sont députées, elles n’ont pas suivi de formation.
La plupart ne savait même pas ce que c’était un parlement, ce qu’était une commission
au sein d’un parlement. Comme elles n’ont pas été suivies ni formées, ces femmes n’ont
pas compris, aujourd’hui, ce qu’est le poids d’être ensemble. Même ne serait-ce que
27%, ensemble, on peut peser. Donc, elles se font manipuler par des groupes d’hommes,
plus en jouant sur le coté ethnique, la langue, etc.
Cette élection
présidentielle représente un test pour évaluer la stabilité du pays et pour la démocratie.
Pourtant, l'avenir de l'Afghanistan se jouera sans la participation des femmes, ou
presque.Chékéba Hachemi
Pour
revenir à la présidentielle, il n’y aucune femme parmi les huit candidats. Est-ce
qu’il y a quand même des femmes clefs qui comptent pour cette élection ? Par rapport à il y a cinq ans, ces élections prouvent bien comment on a
évolué dans nos desseins, c’est qu’il n’y a aucune candidate femme. Il y en avait
deux et pour des raisons mystérieuses, -une soi-disant était trop jeune et l’autre,
je ne sais plus pourquoi-, on n’a pas accepté leurs candidatures. Donc, il n’y a pas
de candidates femmes. Et chaque candidat doit présenter un « trio gagnant » : un candidat
plus deux-vices présidents. Et un seul candidat sur les huit a présenté une femme
comme vice-président potentiel dans son équipe.
Vous faites allusion
à Habiba Sarabi. Cette femme est-elle représentative ? Qui est-elle exactement ? C’est
une femme que j’admire beaucoup parce que ca a été la seule femme gouverneure dans
mon pays. Mais la province de Bamian, c’était la province qui avait le moins de budget
de fonctionnement parce qu’on avait dit à l’époque que comme il n’y avait pas la présence
de talibans, il n’y avait pas de budget de sécurité, il n’y a pas de production de
pavot. Donc, elle n’avait pas de budget, ni pour développer sa ville, ni pour faire
une route digne de ce nom. C’est-à-dire que pendant cinq ans où elle a été gouverneure
de cette province, elle n’a pas pu montrer aux gens qu’elle pouvait réussir. Donc,
c’est comme si on l’avait mise à un poste pour montrer qu’une femme gouverneure ne
pouvait rien réussir alors que les hommes gouverneurs des autres provinces obtenaient
des budgets colossaux, même s’ils étaient corrompus, mais au moins, ils faisaient
des choses pour leurs provinces. Mais c’est une femme pour qui j’ai beaucoup de respect,
qui représente effectivement la population parce qu’elle a toujours été là, elle a
toujours aidé. Avant, elle avait une ONG. Elle a toujours été dans le gouvernement.
Elle a continué à croire mais malheureusement, vu l’exemple de sa présence en tant
que gouverneur et sans budget, je suis un peu pessimiste. Si elle est vice-présidente,
je ne vois pas ce qu’on va lui donner comme possibilité pour faire des choses.
Vous
voulez dire que c’est un peu un faire-valoir ? Oui, bien sûr. Mais au
moins, elle est là et elle est dans le trio du candidat Zalmaï Rassoul. J’espère que
n’importe quel candidat qui sera élu tiendra compte que dans la nouvelle constitution
du gouvernement, il faut un pourcentage de femmes et il faut des femmes ministres.
Zalmaï
Rassoul qui est quand même un des trois favoris du scrutin ? Vous savez,
moi, je ne me prononce absolument pas parce que je connais bien mon pays et je connais
très bien tous les candidats. Je sais très bien qu’au dernier moment, il y aura des
espèces d’accords de bisbille entre les uns et les autres et que finalement, peu importe
quel candidat va être président, les mêmes se retrouveront au gouvernement.
Cette
désillusion par rapport à l’élite politique, est-ce que c’est un avis partagé par
les femmes ? Bien sûr que c’est un avis partagé. Bien sûr qu’aujourd’hui,
elles sont déçues et bien sur qu’elles ont peur pour leur futur, parce qu’avec le
départ de la communauté internationale, est-ce que le nouveau régime, est-ce que sans
la pression, on ne va pas continuer à voter des lois contre les femmes ? Il ne faut
quand même pas oublier que les deux ou trois dernières années, le président Karzai,
pour faire plaisir aux fondamentalistes, a fait passer des lois allant jusqu’à officialiser
la polygamie ou le viol d’une femme par son mari... Pour faire plaisir à certains
groupes fondamentalistes, il a quand même fait passer beaucoup de lois à l’encontre
des femmes. Et on voit de plus en plus qu’on n’est pas très présente. Ce départ de
la communauté internationale nous fait très peur parce que tant qu’ils étaient là,
il y avait une pression pour qu’il y ait une présence des femmes. Après, est-ce que
ca va continuer ou pas ? On sait aussi, nous, les afghanes, qu’à chaque fois qu’il
y a un changement de régime, il y a une révolution, il y a un changement. La première
question est de savoir si la speakerine à la télé, il faut lui couvrir la tête. C’est
comme si on n’avait déjà reconstruit tout le pays et qu’il ne manquait plus que le
sujet du foulard de la speakerine à la télé. Donc, nous, les afghanes, on est bien
conscientes qu’à chaque changement, le deal va être : qu’est-ce qu’on va enlever comme
droits aux femmes pour faire plaisir à untel ou untel ?
Du coup,
est-ce qu’on peut s’attendre à ce qu’elles aillent voter ? Il y a certaines
régions où il fait encore très froid et ça gèle donc, ca m’étonnerait qu’elles aillent
faire quatre ou cinq heures de route pour aller voter. Ou alors, elles le feront et
j’espère voir ces images-là car ça me fera très plaisir. Et aussi parce qu’elles prennent
le risque sur leurs vies car il y a des réelles menaces dans toutes les provinces
frontalières au Pakistan pour les femmes qui iraient voter, ne serait-ce que pour
aller travailler. Donc, aller voter, c’est encore un geste politique. Elles savent
qu’elles prennent le risque sur leurs vies. Je ne sais pas si vous mesurez ce que
je veux dire. Ca veut dire que là aujourd’hui, si je serais à Kaboul, en Afghanistan,
je sais qu’en allant mettre ma voie dans cette petite urne, je sais que je peux ne
pas rentrer vivante chez moi. Et aussi, politiquement, il n’y a aucun candidat qui
a proposé un réel programme pour les femmes. S’il y avait un candidat qui se prononçait
pour une meilleure présence des femmes dans la politique, au niveau sociétal, je pense
qu’elles iraient massivement voter. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Est-ce
que c’est parce que finalement, la femme n’est pas un sujet intéressant et qu’elle
doit de toute les façons être à la maison…même si je caricature ? Non
malheureusement, vous ne caricaturez pas, c’est exactement ça. Il y a le régime taliban,
le pire régime que l’humanité connaisse et il y a l’Afghanistan avec 95%-98% d’analphabétisme,
l’ignorance des hommes, l’ignorance des femmes de leurs droits et une société patriarcale,
clanique. Une femme est avant tout la fille de quelqu’un, la femme de quelqu’un, la
sœur de quelqu’un et elle devient la mère de quelqu’un. Elle n’existe pas vraiment.
Vous
disiez au début de notre entretien que les avancées de ces dernières années en ce
qui concerne les femmes pourraient être mises à mal. Pourquoi ? Par qui ? Est-ce que
vous pouvez nous expliquer ? Aujourd’hui, la situation des femmes afghanes
s’empirent pour deux raisons. D’abord, parce que les talibans commencent à revenir
par les régions du sud, c’est-à-dire toutes les provinces frontalières au Pakistan.
Ils ont toujours été là au Pakistan, ils ont simplement étés repoussés dans ce pays
où ils continuent d'œuvrer. Donc, ils rentrent à nouveau en Afghanistan par la terreur.
Comme par hasard et comme partout dans le monde, les premières cibles sont les femmes.
Elles sont brulées, les écoles sont fermées, elles sont assassinées juste parce qu’elles
travaillent. Dans toutes ces provinces frontalières au Pakistan, les femmes sont déjà
les premières cibles des talibans qui arrivent dans le pays. Les hommes sont aussi
les cibles mais simplement, quand ils arrivent, pour bien manifester leur présence
et terroriser, ils commencent par assassiner toutes les femmes qui sortent de chez
elles ou ils les brûlent ou bien on leur jette de l’acide.
Deuxièmement,
c’est le gouvernement actuel. C’est-à-dire que tant que la Communauté Internationale
était présente sur le terrain, une des bonnes choses qu’elle faisait, c’était une
pression pour que les femmes soient présentes en politique ou dans la vie sociale
de l’Afghanistan et il y avait des projets pour les femmes. Et là, je parle concrètement.
J’ai une ONG qui s’occupe de l’éducation des femmes depuis treize ans maintenant «
Afghanistan libre ». Au début, on avait des budgets, on avait des subventions pour
l’éducation des petites filles. Aujourd’hui, on nous dit clairement que l’éducation
des petites filles n’est pas une priorité pour la Communauté Internationale. Donc,
on a carrément plus de budget pour les écoles que nous avons mises en place. Je suis
en train de voir pour une solution pour que ces écoles continuent. Au moment où la
Communauté Internationale part, il n’y a plus de pression sur le gouvernement. Même
si ce n’est pas un gouvernement taliban et un gouvernement fondamentaliste, c’est
un pays à 98% d’analphabètes et les femmes sont les premières cibles. S’il n’y a pas
de pression sur le gouvernement, les femmes ne sont pas une priorité.
Photo
: le 31 mars dernier à Kaboul, des petites filles chantent l'hymne national afghan
lors du meeting de campagne de Zalmai Rassoul, le candidat du président sortant, le
seule à avoir choisi une femme comme vice-présidente.