La réconciliation doit être une priorité pour l'Église au Rwanda
(RV) Alors que le Rwanda commémore le génocide de 1994, le Pape François a salué dimanche
lors de l'Angélus les efforts de réconciliation menés dans ce pays qui panse encore
ses plaies.
« Je désire exprimer au peuple rwandais ma proximité paternelle
» a déclaré le Pape. Rappelant que ce lundi 7 avril on commémore « le 20ème
anniversaire du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994 », le Saint-Père a
encouragé le peuple rwandais à « continuer avec détermination et espérance le processus
de réconciliation qui a déjà porté des fruits et à poursuivre l’engagement en faveur
de la reconstruction humaine et spirituel du pays ».
« N’ayez pas peur
» a lancé le Pape aux Rwandais, « construisez votre société sur le rocher de
l’Evangile, dans l’amour et la concorde, c’est seulement de cette façon que peut se
construire une paix durable ». Le Pape a dit se souvenir avec affection de la
visite, cette semaine au Vatican, des évêques rwandais, puis il a récité un « Je
vous salue Marie » pour le peuple rwandais, avec les dizaines de milliers de fidèles
présents place Saint-Pierre.
Prière pour des communautés « déchirées »
Lors
de son message délivré jeudi matin aux évêques rwandais en visite ad limina
au Vatican, le Saint-Père disait prier pour les « communautés souvent déchirées,
pour les victimes et leurs familles, pour tout le peuple rwandais, sans distinction
de religion, d’ethnie ou d’option politique ».
Ce sont les évêques d’un
pays meurtri que le Pape François avait rencontré ce jeudi. Un pays, a-t-il souligné,
ayant connu un « épouvantable génocide qui a provoqué tant de souffrances et de
blessures qui sont encore loin d’être refermées ». 20 ans après, « la réconciliation
et la guérison des blessures restent la priorité de l’Église au Rwanda » rappelle
le Pape. « Le pardon des offenses et la réconciliation authentique, qui pourraient
sembler impossibles à vue humaine après tant de souffrances, sont cependant un don
qu’il est possible de recevoir du Christ, par la vie de foi et la prière, même si
le chemin est long et demande patience, respect réciproque et dialogue ».
Un
dialogue constructif et authentique avec les autorités
Mais pour œuvrer
à la reconstruction d’une société rwandaise réconciliée l’Eglise doit, « dépassant
les préjugés et les divisions ethniques », parler « d’une seule voix »,
manifester « son unité et raffermir sa communion avec l’Église universelle et avec
le successeur de Pierre ». Une Église unifiée donc mais aussi une Église qui entretient
des relations de confiance avec l’État. « Un dialogue constructif et authentique
avec les Autorités ne pourra que favoriser l’œuvre commune de réconciliation et de
reconstruction de la société autour des valeurs de dignité humaine, de justice et
de paix ».
Le Saint-Père encourage ensuite l’Église rwandaise à poursuivre
l’œuvre accomplie « dans les domaines de l’éducation et de la santé auprès de tous
ceux que la guerre a blessés dans leur âme ou dans le corps » et il rappelle que
« l’éducation de la jeunesse est la clé de l’avenir ». « Une vigilance toute
particulière » doit également être accordée aux familles, « cellules vitales
de la société et de l’Eglise ». Encouragement mais aussi vives recommandations,
c’est en quelque sorte une boussole, que le Pape François vient de livrer aux évêques
rwandais, chargés d’être en première ligne dans le processus de reconstruction du
pays.
Fin d'une visite de deux semaines
Cette rencontre avec
le Pape François intervenait au terme de deux semaines passées à Rome durant lesquelles
les évêques rwandais ont pu rencontrer plusieurs membres de différents dicastères
de la curie romaine. Mgr Smaragde Mbonyintege, Président de la Conférence épiscopale
rwandaise s’attarde sur l’accueil qu’il ont reçu au Vatican et sur le contenu
de leur entretien avec le Pape. Il évoque également le rôle de l’Eglise dans le pays,
20 ans après le génocide, au micro de Hélène Destombes
Comment
avez-vous été accueillis au Vatican ? Ce qui nous a frappés moi et mes collègues,
c’est l’esprit avec lequel nous avons été reçus. Et nous l’avons dit même au Saint
Père, quand nous sommes passés : l’esprit de François est visible, on le voit. C était
simple, on allait directement aux questions qui se posent. En arrivant chez le Saint-Père,
il nous a très bien reçus, très simplement, fraternellement, assis autour de lui.
Pas de discours. Il nous a posé beaucoup de questions. La question du processus de
réconciliation, de paix, a été un point très fort, sur lequel nous avons beaucoup
échangé en évoquant comment le Pape Jean-Paul II a été très proche de nous dans ces
moments par des mots très forts qui nous ont aidé, qui nous ont édifié. A partir de
là il nous a encouragé à continuer ce processus de réconciliation. Nous avons parlé
aussi de la reconstruction de l’Église, où amener l’Église. Nous avons dit nous faisions
un bilan qui sera publié dans deux ou trois semaines quand nous retournerons dans
le pays.
Le Pape vous a appelé à être une Église unie. On sait que durant
le génocide certains religieux ont été critiqués pour leur part de responsabilité.
D’autres au contraire ont été salués pour leur action contre ce drame. Où en êtes-vous
aujourd’hui, très concrètement ? Est-ce que vous pouvez déjà nous dévoiler les grandes
lignes de ce bilan que vous avez fait ? Pour nous, le bilan est positif. Les
Rwandais vivent en paix. Ils ont vraiment compris les méfaits du malheureux ethnisme.
Et je crois que la leçon que nous en avons tirée comme Église et comme peuple est
de ne plus jamais retomber dans des erreurs de ce genre. Et le gouvernement actuel,
qui pointe sur l’unité nationale, la paix et la justice, nous donne un cadre comme
Église catholique au Rwanda. Nous croyons que là où nous allons, avec des progrès
économiques qui sont palpables, -ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas de blessures,
il y en a, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des pauvres, il y en a, et sur lesquels
nous prêtons notre attention-, mais nous croyons que le chemin que nous faisons avec
l’expérience que nous avons tirée de ces moments tragiques nous aidera à nous construire
comme peuple et comme Église.
Dans quelle mesure l’Église rwandaise aujourd’hui
contribue-t-elle à la reconstruction du pays, à la réconciliation ? C’est toute
notre mission, parler d’unité, de paix, de réconciliation. C’est vrai que l’Église
a été pointée mais parfois c’est une mauvaise compréhension. Ce qu’on attendait de
l’Église, ce n’est pas ce qu’on a trouvé : autrement dit, des chrétiens qui ont sombré
dans le génocide. Il y a des chrétiens qui ont sombré dedans. Qu’il y en ait un, dix
ou vingt, c’est l’église. Et nous nous disons : non. L’Église perdait ses enfants.
Elle a doublement perdu. Elle a perdu parmi les victimes, des innocents ont été tués.
Elle a perdu parmi les bourreaux qui ont perdu leur foi, leurs repères chrétiens.
Et cela c’est notre souffrance comme Église catholique au Rwanda.
20 ans
après le génocide, la France vient de condamner pour la première fois un Rwandais,
quelle est la signification pour ce pays de cette condamnation ? Je n’aime
pas qu’on fasse de ce génocide une question politique, où le jeu des intérêts continue.
Le génocide a été commis pour le jeu des intérêts. Et même la justice qu’on fait maintenant,
c’est pour le jeu des intérêts économiques. Pour nous le problème n’est pas là, le
problème c’est l’intérêt de notre pays. Qu’ils fassent justice ou qu’ils ne le fassent
pas, pour nous l’essentiel est ce que nous vivons comme peuple rwandais. C’est comme
une sorte de dramatisation. Ce n’est pas cela qui nous sauvera. Nous serons sauvés
par ce que nous sommes, par ce que nous vivons.
Quels sont aujourd’hui
les signes d’espérance dans le pays ? De l’espérance il y en a, c’est que les
gens peuvent vivre ensemble. Après Les Gacaca, les tribunaux populaires, certains
ont avoué. ils ont demandé pardon, ou il vivent avec les autres, et malgré les blessures
qui sont là. Mais vous voyez qu’ils parviennent à travailler ensemble, à se mettre
ensemble pour une activité commune. Cela c’est quand même signe d’espoir. Et puis
dans nos Eglises, surtout à partir des communautés ecclésiales de base, nous essayons
de mettre tous les chrétiens ensemble pour réfléchir à une vie chrétienne. Ce sont
des signes d’espoir.