2014-03-25 18:16:07

Centrafrique : les leaders religieux au service de la paix


(RV) Entretien- L'archevêque, l'imam et le chef de la communauté protestante de Centrafrique œuvrent ensemble en faveur de la concorde religieuse et d’une cohabitation pacifique dans le pays. Ils sont mobilisés sur place, et auprès des dirigeants de la communauté internationale, depuis décembre 2012, le début du chaos avant la prise du pouvoir à Bangui par la coalition rebelle de la Séléka et la chute du gouvernement Bozizé.

Accueillis par la communauté catholique de Sant’ Egidio à Rome, les trois dignitaires religieux étaient la semaine dernière aux Etats Unis. Ils y ont rencontré des responsables américains et le secrétaire général de l'ONU, plaidant auprès de Ban Ki-Moon pour le déploiement rapide d'une force de l'ONU avant septembre. Ils évaluent à environ 15.000 à 18.000 hommes les effectifs d'une force de pacification efficace.

S’ils parcourent le monde pour faire entendre leur voix à Paris, Washington ou aujourd’hui auprès de la Caritas ou la FAO, l’organisation onusienne pour l’agriculture et l’alimentation à Rome, c’est parce qu’ils pensent « être la voix des sans voix ». C’est ce que nous explique l'archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga : RealAudioMP3


Qui sont les sans-voix dont vous parlez ?
Les sans-voix ce sont des hommes centrafricains ou des femmes centrafricaines qui sont dans la brousse éparpillés, terrés, qui n’arrivent plus à s’exprimer ou qui lorsqu’ils parlent dans la rue, ils ont l’impression que personne ne les écoute. En leur nom, j’ai fait le choix, avec les autres, de partir rencontrer les autorités, les décideurs pour qu’ils puissent entendre de vive voix la préoccupation et la souffrance, la peine pour ne pas dire la misère de ce peuple qui crie et qui monte de part le monde. Tel est le sens de notre mission auprès des autorités de ce monde.

Ce cri, qu’est-ce qu’il demande ? D’abord la sécurité ?
Ce qu’ils demandent actuellement, c’est la sécurité car sans la sécurité, on ne pourra pas reprendre les écoles, on ne pourra pas non plus reprendre les activités hospitalières, les activités agricoles et les activités administratives. Tout sera paralysé comme il en est actuellement. Il n’y a pas de sécurité et nous voyons les conséquences. Tout est au point zéro. Donc, il est nécessaire pour que la sécurité revienne étant donné que ni la Séléka, ni les anti-balakas ne peuvent protéger le peuple centrafricain. Nous avons fait appel pour que la communauté internationale vienne protéger le peuple centrafricain parce que la Centrafrique fait partie des concerts des nations. Et il est hors de question de voir indifféremment des hommes et des femmes mourir comme des bêtes et ne rien faire. Il est temps d’agir pour ne pas que demain, l’histoire nous condamne en disant « Qu’avez-vous fait de votre frère ? ».

Est-ce que vous avez une réponse favorable de l’ONU et des dirigeants que vous avez rencontrés ?
Nous avons des réponses qui nous laissent croire que demain sera meilleur parce que le Secrétaire Général de l’ONU lui-même, dans sa déclaration nous a dit qu’il est en train de préparer une résolution allant dans le sens de la présence des casques bleus. Nous avons aussi rencontré d’autres responsables qui nous ont laissé entendre qu’ils sont tous en train de s’allier pour que demain, il y ait une opération de maintien de la paix. Et nous espérons que le plus tôt sera le mieux parce que chaque jour qui passe, il y a des centrafricains qui meurent.



Le chaos loin des villes, dans la campagne, mais aussi dans les villes, et même au cœur de la capitale. Bangui a connu un pic de violence. Depuis samedi, la Croix rouge a dénombré 15 morts aux abords du quartier commerçant PK-5, où des musulmans sont assiégés depuis des semaines par des anti-balaka et des pillards. Les musulmans sont menacés par les anti-balakas, des groupements d’hommes qui ne sont pas vraiment des milices chrétiennes, rappelle le révérend Nicolas Guerekoyame-Gbangou, président de l'Alliance des évangéliques : RealAudioMP3


Peut-on parler de milices anti-balakas comme milices chrétiennes ?
Il n’y a jamais eu de milices chrétiennes en Centrafrique. Les anti-balakas sont des groupements d’auto-défense au niveau des villages qui, par la force des choses, se sont constitués en une milice. Maintenant, pour contrecarrer ou contre-attaquer le mouvement Séléka, ils sont là sur le terrain en train de les affronter. On ne peut pas parler d’une milice chrétienne.

Est- ce que vous essayez de parler directement avec ces gens-là ?
Ils sont parsemés dans les quartiers où nous sommes et on essaye de parler avec ceux que nous trouvons sur notre passage pour les ramener à la raison, pour qu’ils comprennent qu’au fait, c’est la vie de la population qui est mise à mal et qu’ils ont intérêt à se ressaisir pour arrêter les hostilités.

Il y a évidemment une situation sécuritaire qui est critique, il y a aussi une situation alimentaire qui va l’être ou qui l’est déjà avec la saison des pluies qui va arriver. Quel est votre espoir de ce point de vue-là ?
Nous pensons que la Communauté Internationale va entendre nos cris et les cris de ces personnes qui se trouvent en détresse pour pouvoir vite intervenir parce que la saison des pluies a déjà commencé en Centrafrique et qu’il va falloir sauver la situation de ces personnes qui sont déplacées, de celles qui sont chez elles mais qui sont en situation en détresse. Donc, nous disons que la sécurité doit être rétablie assez rapidement à travers les Nations-Unies, à travers toutes les personnes de bonne volonté mais aussi ceux qui sont en charge de venir au secours des personnes en détresse doivent le faire assez rapidement.



Craignant pour leurs vies, les musulmans de Centrafrique ont fui par milliers, mais certains sont encore là, réfugiés dans des mosquées ou des églises, assiégés par les groupes d’autodéfense, à travers le pays. Quel est aujourd’hui leur état d’esprit ? Comment éviter un esprit de vengeance ou de représailles ? C’est la question posée par Marie Duhamel à l'imam de Bangui, Oumar Kobine Layama : RealAudioMP3


N'y a-t-il pas un sentiment de colère chez vos fidèles ?
Le croyant, quelque soit la circonstance, ne doit pas perdre sa foi devant les difficultés. Nous devons garder notre foi et nous poser les questions » Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que nous avons fait ? » C’est peut-être par nos comportements que Dieu nous a éprouvés pour nous faire vivre ce drame ou c’est peut-être nous donner une leçon pour savoir ce que nous pouvons accepter de Dieu en toute circonstance. La foi n’est pas seulement le bonheur, il y a aussi le malheur. Donc, le message que j’ai à donner à ces frères, même s’ils pensent que l’extrémisme n’est pas religieux c’est que ce sont la foi, l’endurance, la patience et la tolérance qui sont les caractères, les vertus d’un véritable croyant. C’est ce que je demande à nos frères musulmans : la tolérance, la patience pour que Dieu puisse rétablir la paix et la cohésion sociale.

Vous avez remarqué qu’il y a eu plusieurs appels aux djihads, notamment sur des sites maliens.
Le djihad sur des sites maliens, je suis au courant de tout ça... Mais les djihads contre qui ? C’est la question que moi-même je me pose. Protéger les musulmans contre qui ? Parce qu’en ce moment, les musulmans sont protégés par les chrétiens dans les Églises. Les musulmans sont protégés par les religieux chrétiens : protestants comme catholiques (la grande majorité est catholique). Mais où aller jeter les bombes ? Dans ces mêmes Églises qui ont accordé la protection aux musulmans ? Ou inquiéter les leaders religieux chrétiens qui ont protégé les musulmans ? Ça, ce n’est pas l’Islam que Dieu nous a légué. Dieu nous a légué un Islam de paix, de tolérance et de patience, d’endurance dans toutes les épreuves. Et je pense que nous, musulmans, nous sommes confrontés aujourd’hui à des difficultés parce que nous avons opté pour un silence complice. Nous n’avons pas pu dénoncer en communauté des exactions, le comportement de nos frères qui étaient dans la Séléka. Nous n’avons pas assumé nos responsabilités. Voilà aujourd’hui les conséquences que Dieu nous a données. Donc, il faut que nous fassions toutes ces analyses de nos comportements pour pouvoir agir, demander pardon à Dieu en ce qui nous concerne aussi afin que Dieu puisse nous aider avec les autres à rétablir la cohésion sociale. Si nous perdons notre foi dans cette situation, la situation ne pourra plus s’améliorer pour nous. Nous risquons d’aller de désastre en désastre, malgré les efforts de la Communauté Internationale. C’est d’abord nous-mêmes qui devons reprendre nos consciences, nous mettre ensemble pour nous réconcilier et aider la Communauté Internationale qui se préoccupe de notre situation.




Photo : De gauche à droite, l'archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, le révérend Nicolas Guerekoyame-Gbangou, président de l'Alliance des évangéliques, et l'imam de Bangui, Oumar Kobine Layama.







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