Centrafrique : les leaders religieux au service de la paix
(RV) Entretien- L'archevêque, l'imam et le chef de la communauté protestante
de Centrafrique œuvrent ensemble en faveur de la concorde religieuse et d’une cohabitation
pacifique dans le pays. Ils sont mobilisés sur place, et auprès des dirigeants de
la communauté internationale, depuis décembre 2012, le début du chaos avant la prise
du pouvoir à Bangui par la coalition rebelle de la Séléka et la chute du gouvernement
Bozizé.
Accueillis par la communauté catholique de Sant’ Egidio à Rome, les
trois dignitaires religieux étaient la semaine dernière aux Etats Unis. Ils y ont
rencontré des responsables américains et le secrétaire général de l'ONU, plaidant
auprès de Ban Ki-Moon pour le déploiement rapide d'une force de l'ONU avant septembre.
Ils évaluent à environ 15.000 à 18.000 hommes les effectifs d'une force de pacification
efficace.
S’ils parcourent le monde pour faire entendre leur voix à Paris,
Washington ou aujourd’hui auprès de la Caritas ou la FAO, l’organisation onusienne
pour l’agriculture et l’alimentation à Rome, c’est parce qu’ils pensent « être la
voix des sans voix ». C’est ce que nous explique l'archevêque de Bangui, Dieudonné
Nzapalainga :
Qui
sont les sans-voix dont vous parlez ? Les sans-voix ce sont des hommes centrafricains
ou des femmes centrafricaines qui sont dans la brousse éparpillés, terrés, qui n’arrivent
plus à s’exprimer ou qui lorsqu’ils parlent dans la rue, ils ont l’impression que
personne ne les écoute. En leur nom, j’ai fait le choix, avec les autres, de partir
rencontrer les autorités, les décideurs pour qu’ils puissent entendre de vive voix
la préoccupation et la souffrance, la peine pour ne pas dire la misère de ce peuple
qui crie et qui monte de part le monde. Tel est le sens de notre mission auprès des
autorités de ce monde.
Ce cri, qu’est-ce qu’il demande ? D’abord la
sécurité ? Ce qu’ils demandent actuellement, c’est la sécurité car sans
la sécurité, on ne pourra pas reprendre les écoles, on ne pourra pas non plus reprendre
les activités hospitalières, les activités agricoles et les activités administratives.
Tout sera paralysé comme il en est actuellement. Il n’y a pas de sécurité et nous
voyons les conséquences. Tout est au point zéro. Donc, il est nécessaire pour que
la sécurité revienne étant donné que ni la Séléka, ni les anti-balakas ne peuvent
protéger le peuple centrafricain. Nous avons fait appel pour que la communauté internationale
vienne protéger le peuple centrafricain parce que la Centrafrique fait partie des
concerts des nations. Et il est hors de question de voir indifféremment des hommes
et des femmes mourir comme des bêtes et ne rien faire. Il est temps d’agir pour ne
pas que demain, l’histoire nous condamne en disant « Qu’avez-vous fait de votre frère
? ».
Est-ce que vous avez une réponse favorable de l’ONU et des dirigeants
que vous avez rencontrés ? Nous avons des réponses qui nous laissent croire
que demain sera meilleur parce que le Secrétaire Général de l’ONU lui-même, dans sa
déclaration nous a dit qu’il est en train de préparer une résolution allant dans le
sens de la présence des casques bleus. Nous avons aussi rencontré d’autres responsables
qui nous ont laissé entendre qu’ils sont tous en train de s’allier pour que demain,
il y ait une opération de maintien de la paix. Et nous espérons que le plus tôt sera
le mieux parce que chaque jour qui passe, il y a des centrafricains qui meurent.
Le
chaos loin des villes, dans la campagne, mais aussi dans les villes, et même au cœur
de la capitale. Bangui a connu un pic de violence. Depuis samedi, la Croix rouge a
dénombré 15 morts aux abords du quartier commerçant PK-5, où des musulmans sont assiégés
depuis des semaines par des anti-balaka et des pillards. Les musulmans sont menacés
par les anti-balakas, des groupements d’hommes qui ne sont pas vraiment des milices
chrétiennes, rappelle le révérend Nicolas Guerekoyame-Gbangou, président de l'Alliance
des évangéliques :
Peut-on
parler de milices anti-balakas comme milices chrétiennes ? Il n’y a jamais
eu de milices chrétiennes en Centrafrique. Les anti-balakas sont des groupements d’auto-défense
au niveau des villages qui, par la force des choses, se sont constitués en une milice.
Maintenant, pour contrecarrer ou contre-attaquer le mouvement Séléka, ils sont là
sur le terrain en train de les affronter. On ne peut pas parler d’une milice chrétienne.
Est- ce que vous essayez de parler directement avec ces gens-là ? Ils
sont parsemés dans les quartiers où nous sommes et on essaye de parler avec ceux que
nous trouvons sur notre passage pour les ramener à la raison, pour qu’ils comprennent
qu’au fait, c’est la vie de la population qui est mise à mal et qu’ils ont intérêt
à se ressaisir pour arrêter les hostilités.
Il y a évidemment une situation
sécuritaire qui est critique, il y a aussi une situation alimentaire qui va l’être
ou qui l’est déjà avec la saison des pluies qui va arriver. Quel est votre espoir
de ce point de vue-là ? Nous pensons que la Communauté Internationale va
entendre nos cris et les cris de ces personnes qui se trouvent en détresse pour pouvoir
vite intervenir parce que la saison des pluies a déjà commencé en Centrafrique et
qu’il va falloir sauver la situation de ces personnes qui sont déplacées, de celles
qui sont chez elles mais qui sont en situation en détresse. Donc, nous disons que
la sécurité doit être rétablie assez rapidement à travers les Nations-Unies, à travers
toutes les personnes de bonne volonté mais aussi ceux qui sont en charge de venir
au secours des personnes en détresse doivent le faire assez rapidement.
Craignant
pour leurs vies, les musulmans de Centrafrique ont fui par milliers, mais certains
sont encore là, réfugiés dans des mosquées ou des églises, assiégés par les groupes
d’autodéfense, à travers le pays. Quel est aujourd’hui leur état d’esprit ? Comment
éviter un esprit de vengeance ou de représailles ? C’est la question posée par Marie
Duhamel à l'imam de Bangui, Oumar Kobine Layama :
N'y
a-t-il pas un sentiment de colère chez vos fidèles ? Le croyant, quelque
soit la circonstance, ne doit pas perdre sa foi devant les difficultés. Nous devons
garder notre foi et nous poser les questions » Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que
nous avons fait ? » C’est peut-être par nos comportements que Dieu nous a éprouvés
pour nous faire vivre ce drame ou c’est peut-être nous donner une leçon pour savoir
ce que nous pouvons accepter de Dieu en toute circonstance. La foi n’est pas seulement
le bonheur, il y a aussi le malheur. Donc, le message que j’ai à donner à ces frères,
même s’ils pensent que l’extrémisme n’est pas religieux c’est que ce sont la foi,
l’endurance, la patience et la tolérance qui sont les caractères, les vertus d’un
véritable croyant. C’est ce que je demande à nos frères musulmans : la tolérance,
la patience pour que Dieu puisse rétablir la paix et la cohésion sociale.
Vous
avez remarqué qu’il y a eu plusieurs appels aux djihads, notamment sur des sites maliens. Le djihad sur des sites maliens, je suis au courant de tout ça... Mais les
djihads contre qui ? C’est la question que moi-même je me pose. Protéger les musulmans
contre qui ? Parce qu’en ce moment, les musulmans sont protégés par les chrétiens
dans les Églises. Les musulmans sont protégés par les religieux chrétiens : protestants
comme catholiques (la grande majorité est catholique). Mais où aller jeter les bombes
? Dans ces mêmes Églises qui ont accordé la protection aux musulmans ? Ou inquiéter
les leaders religieux chrétiens qui ont protégé les musulmans ? Ça, ce n’est pas l’Islam
que Dieu nous a légué. Dieu nous a légué un Islam de paix, de tolérance et de patience,
d’endurance dans toutes les épreuves. Et je pense que nous, musulmans, nous sommes
confrontés aujourd’hui à des difficultés parce que nous avons opté pour un silence
complice. Nous n’avons pas pu dénoncer en communauté des exactions, le comportement
de nos frères qui étaient dans la Séléka. Nous n’avons pas assumé nos responsabilités.
Voilà aujourd’hui les conséquences que Dieu nous a données. Donc, il faut que nous
fassions toutes ces analyses de nos comportements pour pouvoir agir, demander pardon
à Dieu en ce qui nous concerne aussi afin que Dieu puisse nous aider avec les autres
à rétablir la cohésion sociale. Si nous perdons notre foi dans cette situation, la
situation ne pourra plus s’améliorer pour nous. Nous risquons d’aller de désastre
en désastre, malgré les efforts de la Communauté Internationale. C’est d’abord nous-mêmes
qui devons reprendre nos consciences, nous mettre ensemble pour nous réconcilier et
aider la Communauté Internationale qui se préoccupe de notre situation.
Photo
: De gauche à droite, l'archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, le révérend
Nicolas Guerekoyame-Gbangou, président de l'Alliance des évangéliques, et l'imam de
Bangui, Oumar Kobine Layama.