Au Paraguay, une forte croissance en trompe-l'oeil
(RV) Entretien - Petit Etat enclavé d’Amérique du Sud, le Paraguay est devenu
en quelques années le quatrième producteur mondial de soja transgénique. Depuis plusieurs
années, la culture du maïs et du soja transgénique n’a cessé de progresser, en même
temps que la taille des exploitations agricoles n’a cessé de croître. Le Paraguay
a clairement misé sur un modèle de production agricole intensive tournée vers l’exportation.
Première ressource du pays, l’agriculture s’industrialise et fait progresser le PIB.
Mais au Paraguay, la forêt a quasiment disparu, mais ce choix n’a pas que
des conséquences sur l’environnement. Il a aussi une incidence sur la société dans
son ensemble. Les petits paysans ne peuvent pas suivre le rythme et vendent leurs
terres quand ceux qui servaient de main d’œuvre se retrouvent au chômage.
Dominique
Demelenne, sociologue à l’université catholique d’Asuncion, revient sur les évolutions
sociales induites par le développement de la culture du maïs et du soja transgéniques.
Il répond à Xavier Sartre.
Ce n’est pas
tellement le soja ou le maïs transgénique qui est le problème en soi, bien que ce
soit un problème écologique et dépendant des grandes entreprises. Mais c’est plutôt
la façon de produire, la transformation de la production agricole au Paraguay qui
est en train de poser un gros problème. Ces 10 ou 15 dernières années, on est en train
de passer d’un système de production de petits paysans qui avaient chacun 10, 15 hectares
et qui produisaient quelques produits pour vendre à un système de monoculture et surtout
un système de culture industriel mécanisé. Donc, ce qui fait que les petits paysans
sont en train de vendre de façon massive leurs terres à de gros producteurs qui possèdent
plusieurs milliers d’hectares. On calcule aujourd’hui que 5 millions d’hectares des
terres paraguayennes sont aux mains de colons brésiliens. Parmi ces colons, un seul
propriétaire possède 1,5 million d'hectares. Donc, c’est une concentration assez forte
et qui ne génère pas de main d’œuvre. Cette concentration fait que les petits paysans
doivent vendre leurs terres et sont expulsés vers la ville. Le Paraguay n’est pas
un pays industriel et donc n’engage pas de main d’œuvre au niveau de l’industrie.
Ces petits paysans viennent et ils ne trouvent pas d’emploi en ville. Ce qui fait
que de façon paradoxale, le Paraguay a un bon niveau économique. Les indicateurs
économiques au niveau macro sont assez bons puisque le Paraguay a une croissance économique
plus importante que les autres pays de la région. Mais cette richesse au niveau du
produit national brut n’a pas d’impact social ou au contraire, a un impact social
négatif puisque la différence entre les riches et les pauvres ne cessent de s’agrandir.
La pauvreté ne diminue pas au Paraguay. Au contraire, la pauvreté grandit et grandit
dans les secteurs urbains. Donc, c’est aussi une transformation au niveau de la culture
sociale du Paraguay. Comme le Paraguay est encore un pays assez peu peuplé avec une
petite concentration urbaine, il y avait encore une vie sociale et communautaire assez
importante et cette vie sociale et communautaire est en train de disparaître pour
une vie urbaine mais qui n’est pas encore très structurée et pas très institutionnalisée.
Cela pose des problèmes assez forts. Comme les institutions ne fonctionnent pas, l’école
est de très mauvaise qualité, la santé est de mauvaise qualité. Donc, il y a un peu
une détérioration du système de la société paraguayenne.
Si je vous comprends
bien, le maïs ou le soja transgénique ne sont pas vraiment la cause des problèmes
de la société paraguayenne, c’est plutôt un épiphénomène ? C’est un indicateur
d’un style de gestion que l’État paraguayen est en train d’installer. On a un nouveau
président depuis moins d’un an qui est du secteur des entreprises. On a un système
néolibéral qui laisse place à de grandes entreprises et à des entreprises multinationales.
De cette façon, ils reconnaissent le maïs transgénique et le soja transgénique. Mais
pour moi, le plus gros problème du Paraguay, c’est le système de production en soi.
Le fait que l’État n’organise pas un système de production qui permet de développer
de la main d’œuvre pour tous, qui n’a pas un plan de développement social. Donc, c’est
la libre concurrence et la concurrence des entreprises, les programmes de lutte contre
la pauvreté se réduisent à des affirmations comme « si les gens veulent travailler,
ils vont sortir de la pauvreté ». Il faut qu’on essaye d’offrir des emplois mais
il n’y a pas d’emplois. Et les emplois qu’on crée sont des emplois de sous-traitance
pour de grandes entreprises qui sont très mal payés, très peu sécurisés. Donc, je
pense que c’est plutôt un style de gestion économique et l’introduction du maïs transgénique
et du soja transgénique est un des indicateurs que l’État laisse faire les grandes
entreprises.
Est-ce qu’on peut parler d’une lutte entre les grands propriétaires
et petits paysans ou ça va bien au-delà ? Il y a une lutte qui n’est pas aussi
organisée que dans d’autres pays comme le mouvement des sans terre au Brésil. Un des
problèmes au Paraguay, c’est l’absence de syndicats ou de mouvements sociaux forts
et c’est un point d’interrogation au Paraguay de dire « s’il y a tant de pauvreté
et tant d’exclusion sociale, pourquoi est-ce qu’on n’a pas plus d’organisation sociale
? ». Je crois qu’il y a plusieurs raisons à cela. Il y a la dispersion de
la population, une population qui est très fortement rurale et qui a un peu du mal
à s’organiser. Les conséquences de 40 ans de dictature d’un parti qui est au pouvoir
depuis plus de 60 ans. La reproduction du système de la dictature est restée presque
en place. Il y a une difficulté d’organisation sociale face à ces gros propriétaires.
Le problème du Paraguay, c’est que l’État est un État autoritaire. Lorsqu’il y a eu
le processus de démocratisation, il n’a pas pu créer les institutions pour mettre
en place une société démocratique. Il y a des institutions comme l’éducation et la
santé qui sont des institutions qui sont restées aux mains des partis très politisés
et clientélistes. Il y a beaucoup de fonctionnaires mais ils ne remplissent pas leurs
missions. Il y a aussi tout un problème d’institutionnalisation du pays.
Photo
: une boutique du Mercado Cuatro, le grand marché central d'Asuncion