Reprise du dialogue nucléaire entre Téhéran et les puissances occidentales
Les négociations sur le programme nucléaire iranien ont repris ce mardi à Vienne,
en Autriche. En novembre, l’Iran et le groupe des 5+1 avaient conclu un accord prévoyant
le gel de certaines activités nucléaires en échange d’une levée partielle des sanctions
qui asphyxient l’économie du pays.
L’enjeu est maintenant de transformer l’accord
en un arrangement définitif, notamment sur le programme d’enrichissement d’uranium
iranien, ce qui devrait nécessiter plusieurs mois de négociations.
L’une des
inconnues réside dans les positions de la Russie, qui dans un contexte de tensions
avec les Occidentaux pourrait faire cavalier seul afin de privilégier sa coopération
bilatérale avec l’Iran. Mais pour Thierry Coville, chercheur à l’IRIS et professeur
à l’école de commerce Novencia à Paris, il est peu probable que la Russie se désolidarise
des Occidentaux sur ce dossier. Il répond à Cyprien Viet.
« Dans le
cadre des Nations-Unies, la Russie a voté les sanctions contre l’Iran parce qu’elle
continuait à enrichir l’uranium et ne répondait pas aux demandes qui lui ont été faites
par la communauté internationale. Par contre, la Russie a toujours été contre les
sanctions bilatérales contre l’Iran. La Russie joue plutôt un rôle intermédiaire,
un petit peu à mi-chemin entre la position occidentale et la position iranienne. Ils
sont évidemment contre l’Iran et l’arme atomique mais d’un autre coté, mais leur ligne
a toujours été de dire « on va résoudre cette crise par les négociations ». Ils ont
voté des sanctions par l’intermédiaire des Nations-Unies. Je ne vois vraiment pas
comment il pourrait y avoir un axe. La Russie a participé au processus 5+1 avec l’Iran.
Ca a été déjà assez compliqué de mettre en place ces fameux accords de Genève de novembre
2013. Je crois que personne n’a véritablement intérêt à le remettre en cause et à
repartir sur des négociations bilatérales éventuellement entre la Russie et l’Iran.
Ca remettrait tout en cause. Le risque de ce scénario me semble relativement faible.
Est-ce qu’il y a une rupture radicale par rapport à l’époque d’Ahmadinejad
sur les relations de l'Iran avec l’Occident ?
Evidemment, parce que c’est
la grande différence, la différence majeure de « la nouvelle diplomatie iranienne
» dans le sens où ce qui a caractérisé en matière de politique étrangère les huit
ans de mandat d’Ahmadinejad, c’était quand même un certain radicalisme de sa politique
étrangère. Avec ses déclarations outrancières, il n’était pas du tout pour la négociation
et la diplomatie. Il voulait imposer le point de vue de l’Iran par la force. Il jouait
la provocation et le rapport de force. Là, on voit très clairement que la méthode
a changé avec Rohani et je pense que la méthode en dit beaucoup. L’idée c’est que
maintenant, l’Iran doit respecter les principes de la diplomatie internationale, doit
se normaliser, doit jouer un jeu constructif, arriver à des accords. Rohani fait référence
à la théorie des jeux. Il faut qu’on ait des accords gagnant-gagnant. Je pense qu’on
est arrivé à une diplomatie iranienne mais qui veut véritablement jouer le jeu de
la diplomatie. Ce qui caractérise cela, c’est par exemple que les négociations sur
le nucléaire sont menées directement par le ministre des affaires étrangères, Mohammad
Javad Zarif qui est un véritable diplomate. Alors qu’avant, c’était le secrétaire
général du conseil national de sécurité en Iran qui dirigeait ces négociations. Je
crois que c’était Saïd Jalili qui était plus un haut-fonctionnaire très proche du
régime. Donc, il y a un énorme changement de ce côté-là.
Est-ce que la
diplomatie et la stratégie d’ouverture du ministre actuel des affaires étrangères
ont quand même été un peu fragilisées par la question de la Syrie et l’échec des négociations
à Genève ?
C’est vrai que sur le coup, quand il y a eu cet épisode, Ban
Ki Moon a dit que ll’Iran pouvait être invité à participer aux négociations avant
d'y renoncer le lendemain, Javad Zarif a été fragilisé en interne par les ultra-radicaux
qui lui ont dit : « vous voyez bien, avec votre politique de la diplomatie et
du sourire, on nous respecte pas, on veut négocier à Genève sans prendre en compte
les intérêts de l’Iran.» Mais, avec ce qui se passe sur le terrain, la position
iranienne est plutôt renforcée vu qu’ils ont toujours dit « on est prêt à participer
à un accord » et de toute façon, il sera très difficile pour vous d’arriver à un accord
sans notre présence ». Malheureusement, les faits leur donnent raison. L’idée
occidentale et sans doute aussi de l’Arabie Saoudite, c’est qu’on peut arriver à un
accord sur la Syrie sans la présence de l’Iran alors qu’ils sont directement impliqués,
ils sont liés au Hezbollah qui se bat en Syrie. Cela parait complètement irréaliste,
et les faits donnent raison à l’Iran, qu’on le veuille ou non.
Vous avez
fait allusion aux radicaux qui existent toujours dans les cercles du pouvoir, notamment
autour du Guide suprême. Est-ce que la politique d’ouverture d’Hassan Rohani et de
son ministre des affaires étrangères fait consensus ou est-ce qu’il y a encore des
résistances fortes en interne ?
Cette politique d’ouverture, elle a été
validée par le guide Ali Khamenei, autrement elle ne pourrait pas être appliqué. Donc,
il l’a validé, à mon avis, pour des raisons de réalisme. Je pense qu’il a compris
qu’à la fois pour l’intérêt du régime, à cause des sanctions et parce que la politique
étrangère d’Ahmadinejad a plutôt fragilisé l’Iran. Donc, par réalisme, prise en compte
des nouvelles équipes politiques, je pense qu’il a validé cette politique d’ouverture
de l’Iran. Il reste une opposition assez forte. On le voit en interne à cette politique.
La majorité des députés au parlement qui sont plutôt des conservateurs radicaux sont
opposés à cette politique. On sait aussi que dans l’appareil sécuritaire, dans l’appareil
judiciaire on a pas mal de conservateurs radicaux. Il y a une opposition assez forte
en interne à cette politique d’ouverture en sachant qu’on a l’impression que la majorité
de la population iranienne est plutôt en faveur de cette politique d’ouverture.
Et
sait-on ce que devient Mahmoud Ahmadinejad ?
Je crois qu’on lui a donné
la direction d’une université mais actuellement, la justice iranienne s’intéresse
beaucoup à des cas de corruption qui portent sur son entourage, notamment son premier
conseiller. On parle beaucoup des cas de corruption qui concernent des membres de
son gouvernement. C’est de côté-là qu’il est dans l’actualité. D’après ce que je lis
dans la presse iranienne, personne ne veut entendre parler d’un éventuel retour politique
d’Ahmadinejad.
Est-ce que des pays comme la Turquie, ou le Brésil si on
regarde plus loin, peuvent aussi jouer un rôle dans le désenclavement de l’Iran ?
Il faut savoir qu’ils ont déjà joué un rôle car en 2010, il y a eu un
accord négocié avec le Brésil et la Turquie avec l’Iran. En fait, l’Iran a d’assez
bonnes relations avec les pays du tiers-monde. Le problème d’Ahmadinejad, c’était
plutôt les relations avec les pays occidentaux et notamment, les États-Unis. L’Iran
est maintenant président du mouvement des non-alignés. Depuis la révolution iranienne,
l’Iran a toujours une ligne tiers-mondiste. Ils ont toujours essayé de développer
de bonnes relations avec les pays émergents et les pays en voie de développement.
On a beaucoup critiqué Ahmadinejad pour le fait qu’il avait quand même consacré beaucoup
d’énergie à développer des relations pour créer un front contre les États-Unis avec
des pays comme le Venezuela, l’Equateur ou Cuba. D’un certain coté, l’Iran a développé
une stratégie de relations diplomatiques avec les pays musulmans en Afrique comme
le Sénégal. Récemment, le problème de l’Iran, c’était plutôt avec les occidentaux.
Selon vous, avec ce changement de cap, la possibilité d’un accord est plausible,
probable?
Un accord semble plus réaliste qu’il y a un an quand Ahmadinejad
était président mais surtout depuis la signature de l’accord de novembre 2013. On
voit qu’il y a un échéancier pour arriver à un accord. Mais il n’empêche qu’on rentre
bien dans le dur des négociations sur ce que l’Iran devra lâcher dans son problème
nucléaire pour qu’il y ait un accord définitif. Je pense que les négociations vont
peut-être être plus dures qu’avant. Comme je l’ai déjà dit, il y a quand même la pression
des « durs » en Iran qui surveillent tout ce que vont « lâcher » les négociateurs
iraniens. Ca ne s’annonce pas facile mais disons que la perspective d’un accord existe.
Photo : la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, et
le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Sharif à l'ouverture de
la conférence de Vienne