(RV) Entretien- Pas un jour sans que des nouvelles alarmantes nous parviennent
d’Irak. Bombes, attentats suicides, attaques en tous genres : l’image d’un pays exsangue,
déchiré, gagné par le chaos s’est imposé à nos esprits.
La violence, totalement
banalisée car quotidienne, frappe toute la population, sans distinction, et menace
directement la présence pluriséculaire des chrétiens sur cette terre. Ils étaient
encore 1 million en 2003, et ne sont à présent que 300 000. Visés par des attentats,
exactions, et enlèvements, beaucoup de fidèles chaldéens, syriaques, arméniens ou
latins ont fui le pays de leurs pères, pour chercher refuge et sécurité en Occident.
Touchés
par le drame de ces populations, de jeunes Français ont décidé de leur apporter une
aide concrète. Ainsi est née « Fraternité en Irak », une association de bénévoles,
dont le but est d’aider les minorités religieuses d’Irak à rester dans leur pays,
en permettant à ces minorités de jouer un rôle positif pour la majorité qui les entoure.
Comment ? Par la mise en œuvre de divers projets de développement, à buts humanitaire
et éducatif.
Chaque année, en été, les jeunes bénévoles se rendent sur le
terrain, à Bagdad, Kirkouk, ou Qaraqosh, à la rencontre des minorités chrétiennes
de ce pays. Des minorités-martyres, éprouvées, mais portées par l’Espérance, et guidées
par la Foi.
Ecoutez Faraj Benoît Camurat, président de l’association Fraternité
en Irak, interrogée par Manuella Affejee :
La réalisatrice
française Véronique Bréchot a suivi, caméra au poing, l’équipe de Fraternité en Irak,
au cours de l’été 2013, sur les routes du nord de l'Irak, de Kirkouk à Qaraqosh. Le
documentaire « Irak, mon amour » retrace ce voyage.
Texte intégral de l'entretien:
Au-delà
de la dimension fraternelle ou amicale que vous avez pu instaurer avec les personnes,
vous venez également dans une perspective humanitaire. L’angle de Fraternité
en Irak, c’est d’identifier des projets portés localement pour que ces minorités jouent
un rôle positif pour la majorité qui les entoure. À travers des projets comme l’école
multiconfessionnelle de Kirkouk ouverte par Mgr. Sako, les enfants de toutes les communautés
de la ville kurdes, turkmènes, chiites et sunnites et évidemment chrétiens se rencontrent,
sont à l’école ensemble. Au fond, la paix, elle se construit aussi dès le plus jeune
âge. À Qaraqosh, les projets que nous avons soutenus sont vraiment des projets de
première nécessité. On soutient un dispensaire pour lequel Fraternité en Irak fournit
des médicaments et un cabinet de dentistes pour des populations réfugiées, des familles
qui habitaient Bagdad ou qui habitaient Mossoul et qui se sont réfugiées à Qaraqosh
et qui ont tout perdu, c’est-à-dire qu’ils vivent dans un état de dénuement très important.
Enfin, toujours à Qaraqosh, une des dernières actions de l’année dernière étaient
de permettre justement à des familles réfugiées d’avoir un accès à de l’eau potable
en installant 150 purificateurs d’eau. L’enjeu, c’est que ces réfugiés qui viennent
à Qaraqosh se sentent accueillis dans cette ville, qu’ils sentent qu’ils sont un petit
peu pris en charge et qu’ainsi, ils ne soient pas tentés de suivre le chemin de l’exode,
comme l’ont malheureusement fait beaucoup d’autres membres des minorités d’Irak, qu’ils
soient chrétiens, yézidis ou mandéens.
Le propre d’une Église vivante,
c’est la persécution. On le voit bien en Irak où justement, les chrétiens, bien qu’éprouvés,
sont porteurs d’une vraie espérance, une espérance qu’ils sont appelés à concrétiser
dans l’engagement. Tout à fait. Cet engagement, on le voit à travers tous les
projets. Il y a la vivacité extraordinaire des responsables religieux d’Irak qui soient
chrétiens, yézidis ou mandéens, par exemple. Les évêques d’Irak ont tous beaucoup
de projets : des projets d’école, des projets humanitaires, dans le domaine de l’eau
ou de la santé. De ce point de vue-là, il y a vraiment une vivacité qui montre cette
volonté cheminée au corps qu’ils ont de continuer à vivre dans le pays de leurs pères
et dans le pays de leurs ancêtres. Cet espoir est enraciné dans l’engagement et c’est
engagement, il est très simple. Tous ces chrétiens d’Irak que nous avons vu, pour
la plupart d’entre eux, ils ont choisi de rester en Irak. Ils auraient pu partir en
Turquie, ils auraient pu partir à l’étranger. Leur espoir est fondé dans leur engagement
et cet engagement, ils l’ont pris en choisissant de rester dans leur pays. C’est ça
qui est vraiment une leçon pour nous occidentaux qui vivons dans des pays en paix
sans danger.
Fraternité en Irak veut aider les chrétiens à jouer un rôle
positif dans la société car les chrétiens ont un rôle à jouer sur le plan politique,
social, notamment pour la paix. Ils en ont conscience. Alors, que reste-t-il à faire
de plus ? Ce qui est vraiment important, c’est qu’on a vécu trop longtemps
en Europe, en Occident, en oubliant qu’il y avait des minorités chrétiennes importantes
détentrices d’un grand héritage culturel, religieux, liturgique et surtout, qui sont
le gage d’un Proche-Orient équilibré, d’un Proche-Orient qui ne laisse pas face à
face sunnites et chiites mais qui leur permettent d’avoir des lieux où se rencontrer.
Ces lieux où se rencontrer, ce sont généralement avec les chrétiens. Par exemple,
je rappellerai le fait que les deux principaux leaders chiites et sunnites d’Irak
ont pu se retrouver à nouveau dans la même pièce, ce qui n’était pas arrivé depuis
très longtemps, par exemple à l’occasion de l’installation du patriarche Sako. Je
crois que les chrétiens ont conscience qu’ils peuvent et qu’ils ont un rôle déterminant
à jouer pour la paix dans ce pays. Aujourd’hui, c’est en Europe qu’il y a un travail
de conscience à faire où trop souvent, nous oublions la chance que nous avons de pouvoir
pratiquer librement notre religion et surtout, nous oublions que d’autres risquent
leur vie pour pratiquer leur foi. Je crois qu’aujourd’hui, en France, en Europe, il
est important que nous soyons plus attentifs, plus préoccupés par le sort des chrétiens
et des minorités du Proche-Orient, et spécialement d’Irak.
Pouvez-vous
nous parler d’une rencontre qui vous a particulièrement marquée ? Moi, je repense
à Roni, un séminariste qui est un survivant d’un attentat terrible, un attentat qui
a visé les étudiants chrétiens de Qaraqosh qui se rendaient à l’université de Mossoul.
Roni a été gravement blessé dans cet attentat et c’est impressionnant de l’entendre
dire qu’il pardonne à ceux qui ont organisé cet attentat. C’est impressionnant de
voir que malgré cette violence, il a choisi de rester dans son pays. Une dernière
personne qui m’a beaucoup touché, c’est une femme de Mossoul que nous rencontrons
un matin et qui nous dit « Moi, hier encore j’ai entendu les bombes explosées pas
très loin de chez moi. Et voilà, avant de sortir de chez moi, je prie évidemment,
je demande à Dieu de me protéger ». La question naturelle qu’on lui pose, c’est «
pourquoi est-ce que vous restez à Mossoul ? ». Elle dit « parce que nous sommes le
levain dans la pâte ». C’est quand même extraordinaire. Moi, j’ai été très touché
par cette application extrêmement concrète du message évangélique.
Photo
: Les bénévoles de Fraternité en Irak avec un dominicain irakien et un moine
syriaque orthodoxe.