2014-03-14 15:39:53

En Israël, les juifs ultra-orthodoxes sous les drapeaux


(RV) Entretien - Les juifs ultra-orthodoxes d’Israël devront effectuer le service militaire comme tous les jeunes Israéliens. La Knesset a adopté mercredi cette loi tant controversée qui a poussé 300’000 ultra-orthodoxes à manifester début mars. Ils dénoncent une « persécution religieuse ». Depuis 1948 et la fondation de l’Etat d’Israël, ils étaient exemptés, ce qui passait de plus en plus mal parmi le reste de la population.

Politiquement, le dossier était délicat. Preuve en est, l’opposition, dont les travaillistes, s’est abstenue lors du vote. Seule la coalition guidée par Benyamin Netanyahu a voté en faveur. Une nécessité pour le Premier ministre israélien selon Frédéric Encel, professeur à Sciences Po Paris et auteur de l’Atlas Géopolitique d’Israël. RealAudioMP3

« Ils risquent de rencontrer des femmes soldats, de ne pas toujours manger strictement casher, de ne pas pouvoir prier aux heures qui leur conviennent, et surtout, ils risquent d’être sollicités pendant le sacro-saint shabbat », explique le spécialiste d’Israël. Les ultra-orthodoxes seraient donc contraints de transiger avec leurs règles de vie très strictes.

La seconde raison de cette opposition farouche au service militaire est d’ordre identitaire. « Ils ne reconnaissent pas le sionisme comme idéal fondateur légitime de l’Etat d’Israël. Pour eux, l’Etat israélien contemporain ne respecte pas, dans ses lois et surtout dans ses mœurs, l’Etat tel qu’il devrait voir le jour après le retour du Messie. » De surcroît, le Messie n’étant pas revenu, « Dieu n’a pas donné de signes tangibles théologiques clairs aux juifs pour qu’ils recouvrent leur souveraineté sur Eretz Israël. Les sionistes, d’une certaine manière, se sont donc pris pour Dieu. Or, il n’y a pas pire péché que cette propension des hommes à accélérer le dessein divin. »

Dans cette optique, l’armée israélienne « est le gage le plus clair quant à la légitimité du sionisme et de l’Etat d’Israël dans ces lois ». Effectuer le service militaire est donc perçu par les ultra-orthodoxes comme un trahison au regard de leur conception de l’Etat d’Israël.

Les ultra-orthodoxes hors du gouvernement

Mais cela passe de plus en plus mal au sein du reste de la population israélienne qui est soumise depuis la création de l’Etat en 1948 à effectuer un service long de trois ans. Les laïcs réclamaient donc la fin de l’exemption qui touchait quasiment tous les membres de la communauté ultra-orthodoxe. En fait, ce sont les étudiants des yechivot, les écoles talmudiques, qui étaient concernés. Mais les abus se sont multipliés, créant une tension de plus en plus forte au sein de la société.

Ce dossier est sur la table depuis longtemps. Or, les ultra-orthodoxes et leurs représentants à la Knesset ont toujours fait partie de la coalition au pouvoir, bloquant toute initiative parlementaire ou gouvernementale. Pour la première fois depuis le début des années 1980, les députés ultra-orthodoxes sont dans l’opposition et le gouvernement de Benyanim Netanyahu est dominé par les partis laïcs. Le Premier ministre n’a pas voulu risquer son poste pour protéger les ultra-orthodoxes et a donc laissé passer la loi.

Craintes des deux bords

Cet épisode révèle une évolution de la société israélienne. « D’une part, cela montre la crainte d’une grande majorité de la population de voir la communauté ultra-orthodoxe prendre une dimension trop importante », explique Frédéric Encel. Le taux de fécondité des femmes ultra-orthodoxes est de 7,5 ce qui conduira au doublement de la communauté d’ici vingt ans. A terme, elle représentera 20 % de la population juive d’Israël.

« D’autre part, les ultra-orthodoxes craignent d’être engloutis dans un Etat dont ils ne reconnaissent pas les fondements philosophiques et institutionnels. Engloutis parce que l’armée, en terme d’intégration, a fait des prodiges » précise le chercheur. « Elle a intégré des rescapés d’Auschwitz, des populations originaires du Yémen, du Maroc, et d’Irak dans les années 1950 ; elle a intégré les Russes dans les années 1990 et 2000 et elle est en train depuis quelques années d’intégrer le monde ultra-orthodoxe. » Des régiments d’ultra-orthodoxes existent déjà. Les chefs religieux de la communauté craignent ainsi que les jeunes soient attirés par une vie dont les règles sont moins contraignantes et qu’ils se « sionisent ».


Photo: manifestation le 2 mars des ultra-orthodoxes contre le service militaire







All the contents on this site are copyrighted ©.