Matteo Renzi veut doper l'Italie, mais à quel prix?
(RV) - Entretien - Lors d’une conférence de presse mercredi, Matteo Renzi a
dévoilé un plan de relance ambitieux, notamment une baisse des impôts sur le revenu
pour dix millions d’Italiens. Les milieux économiques ont réagi positivement. La Commission
européenne a salué ces annonces censées redynamiser l’économie italienne, tout en
rappelant discrètement les règles du pacte de stabilité européen, qui ne tolère pas
plus de 3% de déficit budgétaire…
Pour le politologue belge Giuseppe Santoliquido,
consultant de l’Institut Area Democratica, Matteo Renzi suscite l’espoir d’une
nouvelle politique portée sur le soutien à la consommation, qui répond à la lassitude
des populations européennes face aux politiques d’austérité.
Mais de sérieuses
interrogations demeurent sur la capacité de l’Etat italien à financer un plan de relance
aussi ambitieux. Giuseppe Santoliquido répond à Cyprien Viet.
Est-ce
que pendant ces trois premières semaines de gouvernement, Matteo Renzi s’est imposé
comme ayant une stature d’homme politique ? Est-ce que du point de vue des italiens
mais aussi des européens et de Bruxelles, il est perçu comme un dirigeant fiable ?
Il est indéniable, en tout cas si on se limite à l’opinion que peuvent avoir
les italiens du début du gouvernement et des premiers pas du gouvernement, que l’enthousiasme
qui avait accompagné l’arrivée de Renzi s’est estompé avec cette sorte de « péché
originel » qu’il se traine encore un peu avec lui, la manière avec laquelle il est
arrivé au pouvoir, c’est-à-dire sans l’onction d’un vote populaire qui l’aurait établi
dans une majorité nouvelle pour mener une politique réformiste. Donc, le fait qu’il
y soit arrivé par une sorte de putsch interne au Parti Démocrate à la vieille des
échéances électorales du mois de mai, à la vieille de la présidence italienne européenne.
Tout cela a quand même fait peser des soupçons de stratégie personnelle et de lutte
d’égo sur sa venue à la tête du gouvernement. Cela a indéniablement voilé son arrivée
au gouvernement.
Sur les premières mesures qui ont été annoncées, qui ne
sont pas un plan d’austérité mais plutôt un plan de relance, cette question de la
baisse d’impôts sur le revenu pour 10 millions de personnes, c’est un des signaux
forts qu’il a voulu envoyé et qui apparemment, ont l’air plutôt bien reçus, notamment
par le monde des syndicats. Évidemment la question que l’on se pose, c’est de savoir
quelles sont les compensations possibles pour 10 milliards d’euros de couts pour l’État
italien. Quels sont ses marges de manœuvre pour un peu limiter cette perte de revenus
pour l’État ? Elles sont extrêmement faibles. Il a annoncé d’autres mesures
complémentaires pour les établissements scolaires et pour l’immobilier. Mais, si l’on
s’en tient ne fut-ce qu’aux mesures sur l’emploi, à part la réduction de la « spending
review », c’est-à-dire une sorte d’audit sur les dépenses publiques qui seraient à
effectuer très vite et donc a pouvoir aller chercher là une couverture financière
entre 3,5 et 7 milliards, il n’y a aucune mesure concrète et les couvertures ont l’air
extrêmement faibles, extrêmement douteuses. C’est d’autant plus inquiétant qu’il y
a des divergences dans les chiffres entre ce qu’a annoncé le Président du Conseil,
Matteo Renzi lui-même et les ministres en charge de ces portefeuilles. Un de ses ministres
annonce, en tout cas dans la réduction des dépenses publiques, qu’on ne pourrait pas
aller au-delà de 3,5 milliards et Renzi en annonce sept. Donc, il y a des premiers
signes de divergence qui font peser des doutes sur la faisabilité de toutes les mesures
qui ont été annoncées hier. Il n’y a pas que ces mesures-là. Il annonce aussi une
baisse sur la taxe régionale des activités pour avoir un effet sur l’embauche et un
effet sur l’emploi qui serait compensé par une hausse sur les revenus tirés des rentes
financières. Et là encore, il y a des premières voies divergentes qui commencent à
s’élever au sein de sa propre majorité car il s’appuie sur une majorité politique
qui est celle dont disposait Enrico Letta, c’est-à-dire une majorité politique qui
est née d’une situation d’embouteillage politique à l’époque puisqu’on avait pas la
possibilité de former un gouvernement et donc, sur un centre-droit et un centre-gauche
qui se sont associés avec des visions totalement différentes, notamment sur la politique
fiscale entre la fiscalité sur l’emploi et la fiscalité sur les revenus.
Il
y a un point qui me parait extrêmement confus, c’est la question du remboursement
des dettes de l’État à l’égard des petites et moyennes entreprises. Les chiffres varient
de 14 à 68 milliards, selon ce qu’on peut lire. Est-ce que cette promesse de Renzi
est tenable ? Il vient d’être contredit par son propre ministre. Il n’a pas
les couvertures pour y arriver. Il promet 68 milliards de remboursement immédiat des
dettes de l’administration publique aux entreprises. De mémoire, je pense qu’il y
a 22 ou 24 qui ont été payés il y a quelques semaines. Donc, sur ces septante milliards,
le ministre dit qu’on ne pourrait pas aller au-delà de 50 milliards. Voilà déjà une
de ces incohérences que nous soulignions toute à l’heure. La difficulté avec Renzi,
c’est que la forme vient entacher le fond puisqu’il a annoncé ces mesures dans une
sorte de conférence qui était presque digne d’un téléshopping ou d’un travail de délégué
commercial avec un produit à vendre au plus vite. Donc, à partir du moment où l’on
est interrogé, on l’on veut creuser des couvertures financières, il n’y a pas de réponses.
Il dit d’ailleurs : « C’est du pessimisme de mettre en doute mes capacités à trouver
des couvertures financières » mais la politique économique est quelque chose de très
complexe et donc, il faut détailler les couvertures financières parce qu’au sinon,
il discrédite l’ensemble de l’action et je crains que, sans jouer les oiseaux de mauvaises
augures, c’est ce qu’il risque d’arriver. Je ne porte pas de jugement qualitatif mais
c’est un plan qui veut mettre l’accent sur une relance de la consommation, ce qui
est quand même une énorme lacune de l’Italie depuis plusieurs années puisqu’on annonce
une croissance de 0,1. On n’est pas encore réellement sorti de la période de récession
et de toute façon, même si on en sortait à peine, les effets sur la consommation ne
sont pas prêts de se faire ressentir. Je pense que le calcul de Renzi est de postposer
la réflexion sur l’assainissement nécessaire du déficit qui est exigé par l’Union
Européenne, en autres, pour mettre l’accent sur la vocation de relance de la consommation.
Il faut aussi tenir compte qu’il y a un scrutin électoral où Renzi joue tout de même
une partie importante de sa crédibilité politique puisque ça sera le premier scrutin
électoral auquel il sera confronté en tant que leader national du Parti Démocrate
puisqu’il y est toujours et qu’il n’a pas encore été aux urnes en tant que secrétaire
général du parti et par ailleurs, en tant que premier ministre, président du Conseil,
étant arrivé à la tête de son exécutif sans onction électorale. Donc, je pense que
son intervention d’hier est aussi à jugé à l’aune des échéances électorales et du
fait qu’il veut un petit peu racheter ce péché originel dont on parlait toute à l’heure,
qui est celui d’ être arrivé à la présidence du Conseil sans un vote et sans une victoire
électorale.
La question qui se pose aussi actuellement, c’est la réaction
de l’Europe. Il a lancé quelques piques contre les comptables européens qui nous expliquent
ce qu’il faut faire et pourtant la commission a l’air de plutôt l’encourager dans
ces mesures de relance. Alors, ça parait paradoxal. Quel est le sentiment à Bruxelles
? Le sentiment à Bruxelles, c’est que l’Italie est irréformable. Ça, c’est
très clair. L’Italie est irréformable dans le sens où quel que soient les présidents
du Conseil qui se sont succédés ces derniers temps n’ont pu mener des réformes au
niveau du marché de l’emploi, des réformes constitutionnelles, des réformes sur l’architecture
politique du pays où il y a une succession de républiques extraordinaires. Notamment
les audits sur la manière de dépenser la dotation européenne qui est considérable
pour l’Italie. Donc, ces réformes-là n’ont pu être menées à bien. À partir du moment
où on a quelqu’un qui fait du volontarisme réformiste son principal argument politique,
je pense que les instances européennes ont évidemment tendance à ne pas user négativement
dans l’immédiat le travail de Renzi et de lui laisser la possibilité de tenter de
mener à bien ses réformes. Je pense que c’est cela le calcul. Effectivement, dans
un premier temps, les mesures qui sont annoncées ne sont pas celles qui étaient préconisées
au départ dans le sens de l’assainissement des dépenses publiques. Elles jouent sur
la consommation d’une part et par ailleurs, elles enclenchent un processus de réforme
qui va évidemment s’étendre à d’autres secteurs. Le calcul des instances européennes
est de se dire « Encourageons le processus de réformes, même si dans un premier temps,
ce ne sont pas les mesures que nous préconisons qui sont appliquées ». Je pense que
c’est clairement cette stratégie-là. Par ailleurs, nous l’avons dit toute à l’heure,
nous nous dirigeons vers les échéances électorales européennes ou pour la première
fois, des forces politiques anti-européennes en Italie risquent d’être majoritaires.
Je pense que l’Union Européenne a aussi cet objectif-là en point de mire, c’est de
ne pas activer le feu anti-européen dans un pays, ne l’oublions pas, qui a vécu l’avènement
de Mario Monti comme une sorte de coup d’État instigué par les institutions Européenne
et les organismes internationaux avec une réforme qui a été d’une vigueur extrême.
Imaginons qu’effectivement Renzi réussisse à redynamiser l’Italie par une
politique de relance. Est-ce qu’il pourrait inspirer les partis de gauche en Grèce,
en Espagne, au Portugal ? Est-ce qu’il pourrait impulser une nouvelle vision de comment
sortir de la crise ? Ce qu’il y a en sa faveur et c’est en cela qu’il peut
y avoir une note d’optimisme, c’est qu’y compris au sein des autres chancelleries
occidentales et des instituts et des organismes internationaux, il y a cette ferme
conviction qu’aujourd’hui, la rigueur pure ne peut plus être menée. Les situations
macro et micro-économiques sont telles que ce n’est plus possible. La consommation
est tombée pratiquement dans tous les pays, en tout cas de la zone euro. La rigueur
seule ne peut plus payer, d’un point de vue non seulement de la politique économique
mais aussi de la réaction électorale et anti-européenne qu’elle provoque. Donc, je
pense effectivement que si Matteo Renzi peut engranger des résultats assez rapidement
sans pour autant se mettre à dos les chancelleries occidentales et les organismes
internationaux financiers, à ce moment-là, ça peut enclencher un mouvement plus ancrée
sur une mise en œuvre de la consommation. À ce titre-là, on peut déjà constater que
la bourse de Milan est à la hausse, que les marchés financiers ont très bien accueilli
le discours de Matteo Renzi et que le spread, le différentiel de taux d’intérêt avec
l’Allemagne a aussi chuté légèrement, ce qui peut montrer que cette politique, en
tout cas au niveau de l’effet d’annonce n’est certainement pas condamné. Maintenant,
il faudra que tout cela soit traduit dans les faits et surtout que les couvertures
financières soient adéquates pour ne pas grever sur le déficit publique.
Photo
: Matteo Renzi devant le drapeau européen lors de sa conférence de presse du mercredi
12 mars 2014