2014-03-13 18:40:00

Matteo Renzi veut doper l'Italie, mais à quel prix?


(RV) - Entretien - Lors d’une conférence de presse mercredi, Matteo Renzi a dévoilé un plan de relance ambitieux, notamment une baisse des impôts sur le revenu pour dix millions d’Italiens. Les milieux économiques ont réagi positivement. La Commission européenne a salué ces annonces censées redynamiser l’économie italienne, tout en rappelant discrètement les règles du pacte de stabilité européen, qui ne tolère pas plus de 3% de déficit budgétaire…

Pour le politologue belge Giuseppe Santoliquido, consultant de l’Institut Area Democratica, Matteo Renzi suscite l’espoir d’une nouvelle politique portée sur le soutien à la consommation, qui répond à la lassitude des populations européennes face aux politiques d’austérité.

Mais de sérieuses interrogations demeurent sur la capacité de l’Etat italien à financer un plan de relance aussi ambitieux. Giuseppe Santoliquido répond à Cyprien Viet. RealAudioMP3

Est-ce que pendant ces trois premières semaines de gouvernement, Matteo Renzi s’est imposé comme ayant une stature d’homme politique ? Est-ce que du point de vue des italiens mais aussi des européens et de Bruxelles, il est perçu comme un dirigeant fiable ?
Il est indéniable, en tout cas si on se limite à l’opinion que peuvent avoir les italiens du début du gouvernement et des premiers pas du gouvernement, que l’enthousiasme qui avait accompagné l’arrivée de Renzi s’est estompé avec cette sorte de « péché originel » qu’il se traine encore un peu avec lui, la manière avec laquelle il est arrivé au pouvoir, c’est-à-dire sans l’onction d’un vote populaire qui l’aurait établi dans une majorité nouvelle pour mener une politique réformiste. Donc, le fait qu’il y soit arrivé par une sorte de putsch interne au Parti Démocrate à la vieille des échéances électorales du mois de mai, à la vieille de la présidence italienne européenne. Tout cela a quand même fait peser des soupçons de stratégie personnelle et de lutte d’égo sur sa venue à la tête du gouvernement. Cela a indéniablement voilé son arrivée au gouvernement.

Sur les premières mesures qui ont été annoncées, qui ne sont pas un plan d’austérité mais plutôt un plan de relance, cette question de la baisse d’impôts sur le revenu pour 10 millions de personnes, c’est un des signaux forts qu’il a voulu envoyé et qui apparemment, ont l’air plutôt bien reçus, notamment par le monde des syndicats. Évidemment la question que l’on se pose, c’est de savoir quelles sont les compensations possibles pour 10 milliards d’euros de couts pour l’État italien. Quels sont ses marges de manœuvre pour un peu limiter cette perte de revenus pour l’État ?
Elles sont extrêmement faibles. Il a annoncé d’autres mesures complémentaires pour les établissements scolaires et pour l’immobilier. Mais, si l’on s’en tient ne fut-ce qu’aux mesures sur l’emploi, à part la réduction de la « spending review », c’est-à-dire une sorte d’audit sur les dépenses publiques qui seraient à effectuer très vite et donc a pouvoir aller chercher là une couverture financière entre 3,5 et 7 milliards, il n’y a aucune mesure concrète et les couvertures ont l’air extrêmement faibles, extrêmement douteuses. C’est d’autant plus inquiétant qu’il y a des divergences dans les chiffres entre ce qu’a annoncé le Président du Conseil, Matteo Renzi lui-même et les ministres en charge de ces portefeuilles. Un de ses ministres annonce, en tout cas dans la réduction des dépenses publiques, qu’on ne pourrait pas aller au-delà de 3,5 milliards et Renzi en annonce sept. Donc, il y a des premiers signes de divergence qui font peser des doutes sur la faisabilité de toutes les mesures qui ont été annoncées hier. Il n’y a pas que ces mesures-là. Il annonce aussi une baisse sur la taxe régionale des activités pour avoir un effet sur l’embauche et un effet sur l’emploi qui serait compensé par une hausse sur les revenus tirés des rentes financières. Et là encore, il y a des premières voies divergentes qui commencent à s’élever au sein de sa propre majorité car il s’appuie sur une majorité politique qui est celle dont disposait Enrico Letta, c’est-à-dire une majorité politique qui est née d’une situation d’embouteillage politique à l’époque puisqu’on avait pas la possibilité de former un gouvernement et donc, sur un centre-droit et un centre-gauche qui se sont associés avec des visions totalement différentes, notamment sur la politique fiscale entre la fiscalité sur l’emploi et la fiscalité sur les revenus.

Il y a un point qui me parait extrêmement confus, c’est la question du remboursement des dettes de l’État à l’égard des petites et moyennes entreprises. Les chiffres varient de 14 à 68 milliards, selon ce qu’on peut lire. Est-ce que cette promesse de Renzi est tenable ?
Il vient d’être contredit par son propre ministre. Il n’a pas les couvertures pour y arriver. Il promet 68 milliards de remboursement immédiat des dettes de l’administration publique aux entreprises. De mémoire, je pense qu’il y a 22 ou 24 qui ont été payés il y a quelques semaines. Donc, sur ces septante milliards, le ministre dit qu’on ne pourrait pas aller au-delà de 50 milliards. Voilà déjà une de ces incohérences que nous soulignions toute à l’heure. La difficulté avec Renzi, c’est que la forme vient entacher le fond puisqu’il a annoncé ces mesures dans une sorte de conférence qui était presque digne d’un téléshopping ou d’un travail de délégué commercial avec un produit à vendre au plus vite. Donc, à partir du moment où l’on est interrogé, on l’on veut creuser des couvertures financières, il n’y a pas de réponses. Il dit d’ailleurs : « C’est du pessimisme de mettre en doute mes capacités à trouver des couvertures financières » mais la politique économique est quelque chose de très complexe et donc, il faut détailler les couvertures financières parce qu’au sinon, il discrédite l’ensemble de l’action et je crains que, sans jouer les oiseaux de mauvaises augures, c’est ce qu’il risque d’arriver. Je ne porte pas de jugement qualitatif mais c’est un plan qui veut mettre l’accent sur une relance de la consommation, ce qui est quand même une énorme lacune de l’Italie depuis plusieurs années puisqu’on annonce une croissance de 0,1. On n’est pas encore réellement sorti de la période de récession et de toute façon, même si on en sortait à peine, les effets sur la consommation ne sont pas prêts de se faire ressentir. Je pense que le calcul de Renzi est de postposer la réflexion sur l’assainissement nécessaire du déficit qui est exigé par l’Union Européenne, en autres, pour mettre l’accent sur la vocation de relance de la consommation. Il faut aussi tenir compte qu’il y a un scrutin électoral où Renzi joue tout de même une partie importante de sa crédibilité politique puisque ça sera le premier scrutin électoral auquel il sera confronté en tant que leader national du Parti Démocrate puisqu’il y est toujours et qu’il n’a pas encore été aux urnes en tant que secrétaire général du parti et par ailleurs, en tant que premier ministre, président du Conseil, étant arrivé à la tête de son exécutif sans onction électorale. Donc, je pense que son intervention d’hier est aussi à jugé à l’aune des échéances électorales et du fait qu’il veut un petit peu racheter ce péché originel dont on parlait toute à l’heure, qui est celui d’ être arrivé à la présidence du Conseil sans un vote et sans une victoire électorale.

La question qui se pose aussi actuellement, c’est la réaction de l’Europe. Il a lancé quelques piques contre les comptables européens qui nous expliquent ce qu’il faut faire et pourtant la commission a l’air de plutôt l’encourager dans ces mesures de relance. Alors, ça parait paradoxal. Quel est le sentiment à Bruxelles ?
Le sentiment à Bruxelles, c’est que l’Italie est irréformable. Ça, c’est très clair. L’Italie est irréformable dans le sens où quel que soient les présidents du Conseil qui se sont succédés ces derniers temps n’ont pu mener des réformes au niveau du marché de l’emploi, des réformes constitutionnelles, des réformes sur l’architecture politique du pays où il y a une succession de républiques extraordinaires. Notamment les audits sur la manière de dépenser la dotation européenne qui est considérable pour l’Italie. Donc, ces réformes-là n’ont pu être menées à bien. À partir du moment où on a quelqu’un qui fait du volontarisme réformiste son principal argument politique, je pense que les instances européennes ont évidemment tendance à ne pas user négativement dans l’immédiat le travail de Renzi et de lui laisser la possibilité de tenter de mener à bien ses réformes. Je pense que c’est cela le calcul. Effectivement, dans un premier temps, les mesures qui sont annoncées ne sont pas celles qui étaient préconisées au départ dans le sens de l’assainissement des dépenses publiques. Elles jouent sur la consommation d’une part et par ailleurs, elles enclenchent un processus de réforme qui va évidemment s’étendre à d’autres secteurs. Le calcul des instances européennes est de se dire « Encourageons le processus de réformes, même si dans un premier temps, ce ne sont pas les mesures que nous préconisons qui sont appliquées ». Je pense que c’est clairement cette stratégie-là. Par ailleurs, nous l’avons dit toute à l’heure, nous nous dirigeons vers les échéances électorales européennes ou pour la première fois, des forces politiques anti-européennes en Italie risquent d’être majoritaires. Je pense que l’Union Européenne a aussi cet objectif-là en point de mire, c’est de ne pas activer le feu anti-européen dans un pays, ne l’oublions pas, qui a vécu l’avènement de Mario Monti comme une sorte de coup d’État instigué par les institutions Européenne et les organismes internationaux avec une réforme qui a été d’une vigueur extrême.

Imaginons qu’effectivement Renzi réussisse à redynamiser l’Italie par une politique de relance. Est-ce qu’il pourrait inspirer les partis de gauche en Grèce, en Espagne, au Portugal ? Est-ce qu’il pourrait impulser une nouvelle vision de comment sortir de la crise ?
Ce qu’il y a en sa faveur et c’est en cela qu’il peut y avoir une note d’optimisme, c’est qu’y compris au sein des autres chancelleries occidentales et des instituts et des organismes internationaux, il y a cette ferme conviction qu’aujourd’hui, la rigueur pure ne peut plus être menée. Les situations macro et micro-économiques sont telles que ce n’est plus possible. La consommation est tombée pratiquement dans tous les pays, en tout cas de la zone euro. La rigueur seule ne peut plus payer, d’un point de vue non seulement de la politique économique mais aussi de la réaction électorale et anti-européenne qu’elle provoque. Donc, je pense effectivement que si Matteo Renzi peut engranger des résultats assez rapidement sans pour autant se mettre à dos les chancelleries occidentales et les organismes internationaux financiers, à ce moment-là, ça peut enclencher un mouvement plus ancrée sur une mise en œuvre de la consommation. À ce titre-là, on peut déjà constater que la bourse de Milan est à la hausse, que les marchés financiers ont très bien accueilli le discours de Matteo Renzi et que le spread, le différentiel de taux d’intérêt avec l’Allemagne a aussi chuté légèrement, ce qui peut montrer que cette politique, en tout cas au niveau de l’effet d’annonce n’est certainement pas condamné. Maintenant, il faudra que tout cela soit traduit dans les faits et surtout que les couvertures financières soient adéquates pour ne pas grever sur le déficit publique.

Photo : Matteo Renzi devant le drapeau européen lors de sa conférence de presse du mercredi 12 mars 2014







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