Centrafrique : loin de Bangui, la médiation d'un évêque
(RV) Entretien- Un calme précaire est revenu en Centrafrique mais c’est une
situation en trompe l’œil. Les tensions sont toujours bien présentes. Si les violences
baissent, c’est surtout parce que la quasi-totalité des musulmans a fui le pays, étant
devenus les cibles des milices anti-balakas. A Kaga-Bandoro, ville située à 350 km
au Nord de Bangui, les cortèges de camions remplis de ressortissants musulmans traversent
la ville en direction du Tchad. A 5 km de l’entrée de la ville, les anti-balakas restent
aux aguets.
Kaga-Bandoro est donc un carrefour inévitable pour les différents
acteurs du conflit en cours en Centrafrique. L’évêque de la ville, Mgr Albert Vanbuel
tente tant bien que mal de jouer les médiateurs, alors qu’il n’y a plus aucune autorité
publique sur place
Les anti-Balaka
ne sont pas des milices chrétiennes, c’est clair ! Ce sont des gens qui veulent réagir
contre la mort de leurs proches. Ils ont vu des exactions et ils ont réagi en tuant
beaucoup de gens. L’erreur ,c’est qu’ils ont pensé que les Séléka sont des musulmans
et que donc, tous les musulmans doivent partir, sinon on les tue. Et ça, c’est aussi
une erreur fatale pour le pays. Il y a beaucoup de bons musulmans qui sont là à faire
le marché, qui nous aident à vivre. On a toujours vécu ensemble et maintenant, tous
les musulmans doivent fuir. Chez nous, ils sont seulement de passage et il y a de
nombreux camions qui vont au Tchad. Nous avions eu des rencontres avec les Imams pour
voir comment était la situation, comment arriver à une solution mais ces mêmes Imams
sont partis. Donc, nous avons tous les problèmes du monde pour dire aux anti-Balaka
qui sont à 5km « S’il vous plait, n’entrez pas dans la ville ». On a dit la même
chose aux Séléka. Jusqu’à maintenant, ils nous ont écouté mais le grand problème,
c’est qu’il n’y a aucune sécurité, aucune autorité : il n’y a pas de police, il n’y
a pas de gendarmes et il n’y a pas de tribunal.
À votre niveau, comment
arrivez-vous à jouer les médiateurs en tant qu’évêque du diocèse ? Je crois
que c’est important pour la population le fait que nous sommes restés pour suivre
la situation. Quand il se passe quelque chose, on va chercher le chef de la Séléka
ou le chef anti-Balaka pour parler car en ce moment, nous sommes les seuls médiateurs.
Nous sommes la seule possibilité car les forces internationales sont des tchadiens.
La population n’a aucune confiance en ces tchadiens puisqu’ils travaillent avec les
Séléka. On ne peut arriver à une solution si ce sont seulement des intermédiaires
qui n’ont pas d’autorité politique qui doivent régler les choses, c’est impossible
! Dans tout l’arrière-pays, il faut des forces de sécurité qui osent se lever pour
la paix et non pas pour tuer des gens.
Vous avez des contacts directs avec
les anti-Balaka. Quel est le message que vous pouvez leur faire passer ? Est-ce qu’à
votre échelle, vous pouvez les raisonner ? À Kaga-Bandoro, avec l’aide de
Ocha et Unicef, nous avons rencontré trois ou quatre fois les anti-Balaka qui étaient
en train d’arriver. Ils écoutent ce que nous disons, ils racontent leurs problèmes.
Ils disent « Il y a des barrières partout, nous ne pouvons même pas aller au marché
».Nous leur disons : « Il faut au moins vous cantonner, et hors de ce cantonnement,
vous ne pouvez pas marcher avec des armes ». Donc, il faut beaucoup de temps mais
le premier point, c’est de ne pas les mettre ensemble car ce serait très grave pour
le pays. Ensuite, avoir le plus vite possible des forces qui soient capables de les
convaincre « Il faut laisser vos armes et on va vous aider à survivre » car si l’on
dit « Donnez vos armes et partez », qu’est-ce qu’ils vont faire ?
Mais vous
restez confiant ? J’étais très content avec l'arrivée de la nouvelle présidente
mais je vois que c’est très compliqué. Déjà, si on ne peut pas maîtriser Bangui, ça
va être beaucoup plus difficile de maîtriser Bouar, Alindao, Bangassou, Kaga-Bandoro.
Maintenant, avec le départ de Djotodia, je crois que les Séléka doivent partir mais
on doit les aider à partir. Alors, les anti-Balaka n’auront plus de sens et il faut
chercher des militaires centrafricains, des autorités centrafricaines qui prennent
toute la situation en main mais ne pas croire que dans trois mois, il y aura de nouvelles
élections.
Photo: des civils musulmans fuyant le pays, à Kaga-Bandoro,
6 février 2014