(RV) Entretien- La violence gangrène à nouveau la région du Darfour, au Soudan.
La mission de l’ONU sur place s’est vue refuser l’accès à plusieurs villages, ce qui
fait redouter de nouvelles exactions. Des témoins parlent de villages entièrement
brûlés. La situation a donc poussé plusieurs milliers d’habitants à quitter leur logement
et à venir grossir des camps de réfugiés déjà dans un état sanitaire et humanitaire
précaire.
Pour le médecin Jacky Mamou, président du Collectif « Urgence
Darfour », ce regain de violences est dû à de nouveaux crimes perpétrés par des
miliciens particulièrement violents.
Dans les derniers
jours du mois de février, il y a eu des attaques très violentes de la part d’anciens
miliciens Janjaweed , c’est-à-dire des miliciens essentiellement recrutés par des
tribus nomades arabes du Darfour qui ont attaqué plusieurs villages sans qu’on sache
bien quel était le but de guerre de ces attaques. Ces attaques ont été très violentes.
On ne sait pas exactement le nombre de morts, on parle de plusieurs dizaines de morts
. C’est sûr que cela a entrainé des déplacements importants de population. On parle
entre 5.000 à 15.000 personnes déplacés. Il semble que plusieurs milliers soient déjà
arrivés dans le camp de Kalma qui est à proximité de Nyala, la capitale régionale
du Sud Darfour. Ce qu’on sait aussi, c’est qu’il y a plusieurs milliers d’autres personnes,
d’autres villageois. Les villages ont carrément été détruits. On sait qu’il y a eu
des viols de femmes et que des femmes et des enfants ont été pris , emmenés par ces
miliciens.
D’où viennent exactement ces miliciens? Qui sont-ils?
Ce
sont des miliciens qui ont été recrutés essentiellement parmi les tribus nomades arabes
du Darfour. Vous savez qu’au Darfour, il y a deux types de population, essentiellement
des tribus nomades et des paysans. Ces tribus nomades arabes, en général sont assez
pauvres, elles n’ont pas ou peu de terre. Donc, ce sont des proies faciles pour être
recrutées comme miliciens parmi les jeunes gens qui composent les tribus. Ces miliciens
qui ont été employés lors de ces attaques, avaient été déployés initialement dans
une autre région du Soudan qui est elle aussi en ébullition, c’est-à-dire le Kordofan.
Là, ils se seraient tellement mal conduits avec les populations locales qu’ils ont
été rapatriés sur le Darfour dont la plupart des membres de cette force de réaction
rapide serait originaire. Donc, ce n’est pas une force militaire traditionnelle. En
général, « ils se paient sur la bête » comme on dit. Malheureusement, ils
sont d’une violence inouïe.
Dans l’actualité, il y a aussi le Soudan du
Sud, un État qui est né de la partition avec le Soudan. Est-ce que cette création
de deux États différents a changé quelque chose au règlement de la situation au Darfour
?
Il y a eu une évolution sur la situation général et donc, indirectement
sur la situation au Darfour. La contestation a pris une nouvelle forme depuis quelques
années avec la création du Front Révolutionnaire du Soudan, un front qui comporte
à la fois les organisations rebelles du Darfour mais aussi l’organisation rebelle
qui agit au Sud Kordofan et au Nil Bleu et même des éléments des partis traditionnels
d’opposition au gouvernement soudanais. Ça, c’est l’élément nouveau. Il y a maintenant
une opposition qui est beaucoup plus unie et qui comporte une opposition avec des
secteurs miliaires et des secteurs politiques. Donc, c’est un gouvernement qui est
très gêné par cette double situation de fragilité économico-sociale et puis, d’avoir
affaire à une opposition beaucoup plus cohérente. Le seul moyen de s’en sortir, c’est
de porter la guerre au plus vite et d’essayer de casser cette unité du front révolutionnaire.
D’abord, en essayant de négocier avec plus ou moins de crédibilité avec les gens du
Sud Kordofan et du Nil Bleu et puis, essayer d’éliminer les groupes rebelles du Darfour
qui sont l’autre composante importante de ce front révolutionnaire. Donc, qu’il y
ait une intensification de la guerre au Darfour, ça fait partie de la stratégie de
desserrement de l’étau du gouvernement de Khartoum.
Photo: Un enfant réfugié
dans le sud du Darfour, décembre 2013