Au coeur de la guerre en Syrie, le JRS au service de tous les civils
(RV) Entretien- Dans l’enfer de la guerre syrienne, les agences humanitaires
tentent tant bien que mal d’assister les civils. La trêve humanitaire à Homs, décrétée
le 7 février a permis l’évacuation de plus de 1400 civils, dont de nombreuses femmes
et enfants. L’espoir est que d’autres villes assiégées soient à leur tour l’objet
d’accords pour faire parvenir une aide d’urgence. Le service des jésuites pour les
réfugiés (JRS) est implanté dans les villes principales de Syrie et vient en aide
à toutes les populations, sans distinction. Son responsable dans la région, le père
Nawras Sammour est venu dans nos studios expliquer le travail de l’ONG. Un entretien réalisé
par Olivier Bonnel
Quelle est la nature de votre travail?
Depuis
2008, nous sommes présents en Syrie. À l’époque, notre travail était essentiellement
avec les réfugiés irakiens. On avait de petits centres à Damas et à Alep. On travaillait
pour le soutien psycho-social via des activités pour les enfants et pour un programme
éducatif avec les irakiens. Et voilà qu’en 2011, les problèmes et la crise syrienne
ont commencé. La guerre en Syrie a éclaté. Actuellement, on est la région la plus
grande en terme d’effectifs, de personnes bénévoles et du staff travaillant avec le
JRS et en terme de services rendus , en terme du nombre de bénéficiaires. Et donc,
on est actuellement présent à Alep, Homs et Damas. Il y a trois piliers principaux
qui caractérisent notre travail.
Il y a d’abord le travail de soutien et d’assistance
alimentaire et non-alimentaire d’urgence. Là, on sert actuellement autour de 20.000
familles dans ces trois villes. Chaque famille a été visitée et par équipe, on établit
une liste de besoins selon des critères. Si la famille est choisie, à ce moment-là,
elle reçoit automatiquement tous les mois un panier alimentaire. Et puis, toujours
dans le domaine du service d’urgence et d’assistance en ce qui concerne la nourriture,
on a les cuisines de champ, ce qu’on appelle « field kitchen ». À Alep, on sert 18.000
repas chauds par jour, distribués dans les différents refuges. À Damas, on sert 5.500
repas chauds par jour.
Le deuxième pilier, c’est le travail de santé. On a
des centres et on reçoit les malades- seulement des civils-avec des ordonnances. On
essaye de les aider pour leur procurer des médicaments, notamment pour les maladies
chroniques. Puis, on essaye d’envoyer des gens dans des hôpitaux si besoin est, notamment
pour l’accouchement des femmes. Pour le troisième genre de services, on a tout
ce qui est travail de support psycho-social, notamment pour les enfants. On a des
centres et là, on favorise plutôt une approche qui se développe via des activités.
On aide les enfants à évacuer toute sorte d’énergie négative qu’ils ont subies via
des activités comme la danse, le chant, la peinture, le théâtre, etc… Concernant ce
troisième pilier, c’est l’objectif à court terme. Pour le long terme, une chose est
commune pour tout le monde : tous les parents s’intéressent aux enfants. La première
chose qu’ils disent quand ils ont faim : « Et les enfants ? ». Quand on gagne la confiance
des enfants, on peut gagner la confiance des parents.
On travaille avec tout
le monde en respectant les principes de neutralité, d’impartialité, de transparence,
etc… Donc, la population, c’est 80% de musulmans de différentes communautés et 20%
de chrétiens de différents communautés. En fait, les enfants vivent ensemble cette
expérience avec différents arrière-fonds communautaires, ethniques, etc…et nous, on
gagne la confiance des parents. Cela pourrait nous aider plus tard pour la réconciliation
mais c’est vraiment un objectif à long terme.
Comment arrivez-vous à travailler
dans cette polarisation de la Syrie ? Avez-vous des risques d’être manipulé d’un
côté comme de l’autre ? Comment réussissez-vous à rester neutre et à vous occuper
de tous les civils ?
Écoutez, on ne fait pas de compromis en ce qui concerne
les principes fondamentaux, donc les gens nous respectent. C’est pourquoi en respectant,
en nous respectant, en se respectant soi-même, on peut gagner la confiance de tout
le monde. Je parle vraiment d’expérience. Là où on travaille, on est vraiment respecté
par tout le monde. Actuellement, le travail que nous faisons se déroule à l’intérieur
des endroits sous contrôle de l’État et on est respecté, on nous laisse travailler
avec tout le monde, musulmans et chrétiens. Donc, on se respecte.
Est-ce
qu’on peut quand même être optimiste sur une résolution, petit pas par petit pas,
de cette crise syrienne qui a malheureusement l’air d’être interminable et d’une violence
inouïe ?
Avec réalisme et en respectant les règles et la loi de la raison,
on dirait qu’il n’y a pas d’issue, tout est bloqué. Or, je dirais que ce n’est pas
chrétien. On espère, on doit garder l’espérance. Concernant le rôle des grandes
puissances, des puissances régionales, on sait qu’il y a toujours des agendas régionaux
qui se plaquent sur la Syrie, des agendas régionaux et internationaux ! À un niveau
macro, moi, je suis complètement perdu... Je ne vois pas comment les choses sont impliquées
de cette manière : toutes les richesses qui existent dans la région, toutes les communautés
différentes. Là, je suis complètement perdu. Déjà, à l’intérieur, avec mes compatriotes
syriens, je suis perdu. Mais il y avait quand même des conflits qui étaient beaucoup
plus importants, et où l'on a abouti à un accord de paix, à faire un projet en commun.
Donc, pourquoi pas pour la Syrie ?
Les syriens y croient sincèrement, malgré
toutes les ingérences ?
Actuellement, non, l’esprit est plutôt négatif
et plutôt pessimiste.
Pour l’instant, c’est la survie au quotidien ?
Oui,
c’est l’immédiateté. On vit justement le moment présent mais ce n’est pas dans le
bon sens du terme, le présent comme une grâce. Non, c’est le moment présent comme
une sorte de lassitude, comme une sorte de démotivation ,de frustration. Oui, le moment
présent de survie. Quel est le regard juste que les occidentaux doivent poser aujourd’hui
sur la Syrie et les syriens? C’est vrai qu’on a parfois des clichés. Au début de la
guerre, on a parlé des chrétiens qui étaient plutôt dans le camp d’Assad. On a vu
que c’était parfois beaucoup plus compliqué.
Aujourd’hui, on parle de groupes
terroristes djihadistes. On sait qu’ils existent mais cela ne représente évidemment
pas toute l’opposition. Bref, comment vivez-vous toutes ces informations en Syrie
? Est-ce qu’il y a beaucoup de faux, de clichés, de désinformations ?
À
mon avis, un danger à éviter, c’est une approche manichéenne du problème : avoir la
Syrie divisée entre deux camps. Il y a d’un côté, le camp du bien, des bonnes personnes
et de l’autre côté, il y a les mauvaises personnes. Et là, cela fonctionne actuellement
en Syrie. Les parties en conflit se regardent de cette manière-là. On est les bons
et les autres sont les mauvais, les méchants. À mon avis, c’est une approche complètement
tordue. Les choses sont beaucoup plus compliquées. On a des bonnes personnes partout
et on a des mauvais comportements de quelque uns, partout aussi. Cette approche manichéenne,
c’est un danger. Si on essaye de la maintenir jusqu’au bout, on va arriver à un moment
donné à un gagnant et un perdant , ce qui va être un désastre pour la Syrie. c’est
une catastrophe ! Cela ne va faire que retarder le problème. Plus tard, il va y avoir
un resurgissement de violence. Je ne sais pas quand : dans 20 ans, 30 ans, 40 ans…
Ma manière de voir les choses c’est qu’on est tous perdants et qu'il faut l’accepter.
C’est aussi une manière de dire qu’on est tous égaux. L’égalité de perdre parce qu’effectivement,
actuellement en Syrie, tout le monde est perdant. On a tous perdu quelque chose ou
quelqu’un, ce qui est plus grave ! Donc, ça serait bien si l’on bâtissait la Syrie
sur ce principe parce qu’une bonne relation humaine, c’est déjà du gagnant-gagnant.
C’est hélas actuellement impossible en Syrie. L’alternative, ce n’est pas "gagnant-perdant"
parce que c’est dangereux. Allons dans la direction d’avoir une relation de "perdant-perdant
».
Il ne faut pas oublier que la Syrie, c’est avant tout une communauté
de destins qui sera obligée de vivre ensemble, quel que soit l’issue? Exactement,
il ne faut jamais penser à une Syrie divisée, éclatée ou bien désintégrée. Non , la
Syrie doit toujours rester inclusive pour tous les syriens . Une Syrie unie, c’est
une belle mosaïque et c’est aussi une mosaïque riche !
Photo: Des civils
dans le camp de Yarmouk, dans la banlieue sud de Damas.