(RV) Entretien - Il y a dix jours, le président Chypriote-grec Nicos Anastasiades
et le dirigeant chypriote turc autoproclamé, Dervis Eroglu ont affirmé, dans une déclaration
commune, vouloir un règlement « aussi vite que possible » pour mettre fin à quarante
ans de divisions. Mais cette reprise des négociations est loin de faire l’unanimité.
Jeudi, le parti chypriote centriste Diko a claqué la porte du gouvernement.
Son chef, Nicos Papadopoulos accuse notamment le président Chypriote-grec d’avoir
fait trop de concessions. Des concessions qui sont pourtant nécessaires selon Nicolas
Kazarian chercheur associé à l’IRIS. Selon cet historien et spécialiste du monde
orthodoxe, un accord sera possible seulement s’ils abordent certaines questions complexes
et difficiles. Il est interrogé par Audrey Radondy :
Quelles
les questions difficiles à aborder ? Il y a notamment la présence de 50 000
militaires turcs dans le territoire septentrional de l’île. C’est la raison pour laquelle
du point de vue de la République de Chypre, on parle d’une occupation de Chypre Nord.
Le deuxième point sera de considérer quel sera le futur des colons turcs qui sont
venus sur l’île à partir de 1974. On estime à plus de 100 000 personnes le nombre
de ces colons. Qu’allons-nous faire à l’issue de ces négociations ? Devront-ils retourner
en Turquie ? Pourront-ils rester à Chypre Nord, c’est-à-dire sur le territoire insulaire
? Et que faire des propriétés qui appartenaient précédemment à des chypriotes grecs
qui se sont vues expropriées au moment de l’invasion de 1974 ? Ce sont autant de sujets
qui nécessitent aujourd’hui un dialogue et des négociations pour préparer l’unification
de l’île.
Les négociations ont aussi été favorisées par des questions économiques
? Un mois après l’élection de Nicos Anastasiades, Chypre a été frappée de plein
fouet par la crise économique et financière qui venait de la Grèce aboutissant à un
plan de restructuration de sa dette extrêmement drastique contre lequel la population
chypriote s’est levée. Effectivement, la situation économique nécessite la résolution
de ce que l’on appelle la question chypriote car seule l’unification de l’île permettra
de redynamiser l’économie, non seulement de la partie grecque mais de l’économie générale
de l’île. D’autre part, il y a des enjeux économiques périphériques dans la mesure
où Chypre a découvert qu’elle pouvait aussi générer ou faire rebondir son économie
grâce à la présence de gaz et de pétrole. Il faut mutualiser ces poches de gaz et
de pétrole. Cette mutualisation, elle passe non seulement par des accords bilatéraux
avec les pays voisins, du type Israël. Mais l’unification de l’île permettra aussi
une meilleure rationalisation de l’exploitation de ses hydrocarbures.
Et
donc, vers quel type d’accord se dirigent-ils ? L’entité politique sera une
République de type fédéral avec au Nord, un État constituant chypriote turc et au
Sud, un État constituant chypriote grec où tous les citoyens partageront la citoyenneté
chypriote.
En 2004, il y a eu ce plan de réunification piloté par l’ONU
qui avait été soumis à un référendum et qui avait été approuvé par les chypriotes
turques mais rejeté par les chypriotes grecs. Est-ce qu’un nouveau scénario de ce
genre est possible ? Si aujourd’hui les négociations prennent en considération
tous les desiderata des chypriotes grecs ou des chypriotes turcs de manière à les
articuler les uns aux autres, je pense qu’on pourra éviter le scénario de 2004. Il
faut quand même prendre en considération qu’en 2004, il n’y avait pas uniquement la
question de l’unification de l’île. Il était aussi question de l’entrée de l’île dans
l’Union européenne. Aujourd’hui, Chypre fait partie de l’Union européenne. La République
de Chypre a même été à la tête du Conseil de l’Union européenne en 2012, créant d’ailleurs
les conditions d’une rupture de négociations entre Chypre Nord et Chypre Sud. Donc,
Chypre est un acteur pleinement européen. Là où il va falloir tourner nos regards,
c’est de voir comment est-ce que la négociation entre chypriotes turcs et chypriotes
grecs va pouvoir influencer le cheminement européen de la Turquie elle-même.
Photo:
le drapeau chypriote lors d'une manifestation à Nicosie, en septembre 2013