(RV) Entretien - En Italie, le secrétaire du Parti Démocrate (PD), Matteo Renzi,
était attendu en milieu de matinée lundi au palais du Quirinal par le président de
la République, Giorgio Napolitano. Ce dernier devait le charger officiellement de
former le nouveau gouvernement. Celui qui est aussi le maire de Florence devra ensuite
former son équipe, construire une coalition allant de la gauche au centre droit. Des
manœuvres délicates pour le jeune politicien 39 ans.
Jeudi dernier, il a appelé
à former un nouveau gouvernement, jugeant l’action de son prédécesseur, Enrico Letta,
trop lente. Son parti s’est rangé derrière son leader, désavouant ainsi le démocrate
désigné par la présidence de la République en avril dernier.
La manœuvre est
appelée en Italie une staffetta, un relais, le passage du pouvoir d’un chef
de gouvernement à un membre du même parti, mais sans passer par les urnes. La victime
donc, Enrico Letta. A la manœuvre, le secrétaire pressé du PD.
Mais pour le
politologue italien Lucio Caracciolo, éditeur de la revue italienne de géopolitique
Limes, de nombreuses inconnues perdurent quant à la capacité de
Matteo Renzi à mener à bien les réformes nécessaires pour l’Italie, dans un contexte
de grande défiance de la population face aux décideurs politiques. Il est interrogé
par Cyprien Viet
Je crois que
Monsieur Renzi sait très bien qu’il n’y avait pas d’alternative. C’est-à-dire que
s’il voulait vraiment passer par des élections, il risquait sérieusement de les perdre.
Donc, il a choisi cette voie inédite afin d’éviter le passage électoral. Malgré
son jeune âge, est-ce qu’il est quand même considéré comme un dirigeant fiable par
l’opinion publique italienne ? Fiable, c’est un mot un peu fort parce que pour
le moment, il n’a géré que la mairie de Florence. Donc, il peut être génial ou il
peut être un peu moins génial mais on ne sait jamais à ce moment là d’une carrière
politique, qu’est-ce que ça va produire, un maire qui devient chef de gouvernement
en étant même pas député. C’est quelque chose d’inédit en Italie et donc, il faudra
voir. Le type est jeune, le type est brillant mais le type n’a jamais passé une épreuve
politique assez sérieuse. Justement, qu’est-ce qu’il a fait dans ces quatre
années à la mairie de Florence ? Est-ce qu’il a quand même des éléments politiquement
intéressants, peut-être dans la méthode ? Du point de vue pratique, à mon avis,
il n’a pas fait grand-chose. Il a établi un rapport très directe avec son public.
Maintenant, il faut voir s’il est capable aussi de le faire à l’échelle nationale.
Selon moi, le problème de notre pays n’est pas lié à la personnalité du chef du gouvernement
parce que le problème est plus vaste. Je crois que le véritable problème que M.Letta
et ses prédécesseurs ont cherché à surmonter, c’est le manque d’efficacité de la technocratie
de l’État italien. Alors, je crois que dans les grands dossiers qui trainent
depuis plusieurs années en Italie, il y a la question de la loi électorale. Est-ce
que les discussions très directes entreprises entre Matteo Renzi et Silvio Berlusconi
pourraient quand même faire un petit peu avancer ce dossier ? Je crois que
ça devient de plus en plus compliqué. D’abord, la raison de fond pour laquelle les
parlementaires du parti démocratique ont décidé d’appuyer Monsieur Renzi, c’est parce
qu’il leur a promis de ne pas voter. Ils savent très bien que 90% d’entre eux ne seraient
jamais réélus. Donc, je crois qu’ils n’ont aucun intérêt à faire des élections rapides.
En tous cas, je crois que c’est difficile pour Monsieur Renzi de faire une autre coalition
avec Monsieur Alfano, c’est-à-dire avec les anciens députés de Silvio Berlusconi qui
l’ont quitté sur la base d’une loi électorale qui ne leur laisserait aucune espérance
de réélection après l’approbation de cette loi. Donc, selon vous, ça va être
le statut quo ? Non, parce que Monsieur Renzi lui-même n’est pas le type qui
s’intéresse à garder un statut quo. Ils doit faire, dans les premières semaines de
son gouvernement , quelque chose d’assez éclatant, peut-être inventer quelque chose
qui puisse aller dans le sens de l’opinion publique italienne. Mais du point de vue
pratique, je crois qu’il n’a pas les moyens techniques et politiques pour changer
vraiment les choses. Quand vous dites « faire quelque chose qui aille dans
le sens de l’opinion publique italienne », qu’est-ce ça pourrait être, concrètement
? Par exemple, le fait que la fameuse limite de trois pourcents entre le produit
intérieur brut et le déficit publique peut ne pas être considéré comme décisif comme
Monsieur Letta et surtout Monsieur Napolitano , le président de la République, l’avait
établi avant. « L’Europe avant tout », je ne crois pas que Monsieur Renzi puisse
accepter cette idée un peu statique de notre rapport avec l’Europe, avec les traités
européens. Je crois qu’il va chercher de réinterpréter les limites de notre politique
économique en Europe.
Photo : Matteo Renzi, secrétaire du Parti
démocrate italien, probable prochain président du Conseil