(RV) Entretien - L’hémorragie des chrétiens de Terre Sainte inquiète profondément
l’Église catholique. Un ordre équestre travaille discrètement pour enrayer ce phénomène.
L’Ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem a des origines anciennes qui remontent à la
première croisade. Il a été réformé et refondé en 1847 par Pie IX. Aujourd’hui, c’est
une association internationale de fidèles, placée sous la protection du Saint-Siège
et financée par des dons privés. Sa mission essentielle : soutenir l’Église catholique
et les communautés chrétiennes de Terre Sainte.
L’Ordre compte aujourd’hui
quelque 30 000 membres, des laïcs pour la plupart, présents dans trente-cinq pays.
Il soutient les œuvres et les institutions cultuelles, caritatives, culturelles et
sociales de l’Église catholique en Terre Sainte et particulièrement celles qui relèvent
du Patriarcat latin de Jérusalem, en Israël, Jordanie, Cisjordanie, Gaza et Chypre.
Mais les temps changent et des défis nouveaux surgissent. Le Gouverneur
général de l’Ordre, le comte Agostino Borromeo, a accepté d’accueillir Radio Vatican
dans le cadre prestigieux du Palais della Rovere, siège de l’Ordre, près du Vatican,
pour en parler. Entretien réalisé par Romilda Ferrauto :
Comment
évolue la communauté chrétienne en Terre Sainte ? En Jordanie, sur la Mer Rouge,
nous avons construit une église à partir de zéro. On a dû construire cette église
parce que la communauté chrétienne, paradoxalement, s’est accrue en nombre. C’est
dû à une immigration de catholiques qui viennent de l’extérieur de la Terre Sainte
: surtout des Philippines et de la région du Kerala, en Inde. Aqaba est une station
touristique sur la mer Rouge. Beaucoup de gens qui travaillent dans les hôtels viennent
des Philippines ou de l’Inde. Par conséquent, ce qui était une petite communauté de
150 chrétiens est maintenant composée de 2000 personnes. Mais environ 1850 ne sont
pas jordaniens. Et pourtant, ce sont des chrétiens qui vont à l’Église.
L’immigration
existe aussi en Israël et est en train d’engendrer un nouveau phénomène. Les fils
d’immigrés des Philippines font leurs études dans des écoles israéliennes. Par conséquent,
la deuxième génération ne parle pas arabe mais parle israélien. Nous avons une communauté
croissante de catholiques d’expression hébraïque qui ont donc besoin de soins pastoraux,
de célébrations liturgiques en hébreu et non plus en arabe. Voilà que nous sommes
en train d’aider la communauté catholique d’expression hébraïque à construire une
église à Tel Aviv pour qu’ils puissent se réunir.
Vers quels domaines privilégiés
s’oriente l’aide que vous apportez aux chrétiens de Terre Sainte ? L’aide que
nous apportons relève de différents genres et les besoins peuvent être variés. Les
catholiques en Terre Sainte représentent environ 1,5% de la population. Mais notre
principe, c’est que lorsqu’on fait partie d’une minorité, on doit émerger par l’excellence
de la présence dans la société. Donc, c’est surtout par la formation : soit la formation
professionnelle, soit la formation universitaire. Nous concentrons notre effort sur
le système scolaire catholique, surtout celui du patriarcat latin de Jérusalem, sur
l’université de Bethléem qui est une université catholique et sur les écoles professionnelles.
Il y en a une aussi à Bethléem qui est très importante et qui est gérée par les salésiens.
Est-ce
qu’il y a, de manière générale, des priorités plus particulières à l’heure actuelle
? Par rapport au passé, notre aide était surtout orientée vers les institutions
catholiques. Cependant, nous sommes de plus en plus conscients qu’il y a un problème
qui va au-delà de la vie des institutions catholiques et c’est le problème de l’émigration.
Les chrétiens, dans une situation difficile, où il y a du chômage, où il y a la menace
de la violence, des tensions de tous genres, ont tendance à émigrer. Donc, nous essayons
aussi de prendre ces initiatives qui peuvent encourager les familles et surtout les
jeunes à rester. Par conséquent, nous essayons de développer peu à peu une politique
de micro-crédit. Nous sommes aussi en train d’étudier en ce moment un système de micro-assurance
sur la santé qui permettrait, en payant une prime très basse, de garantir l’assurance-santé
à tous les chrétiens.
Pouvez-vous rappeler quelle est la vocation principale
de l’ordre, sa mission principale et comment on arrive à en faire partie ? Du
point de vue canonique, l’ordre est une association publique de fidèles. Le but premier
de quiconque veut en faire partie, est le désir de développer sa propre vie spirituelle.
Et de là, de cet engagement spirituel, vient ensuite le deuxième but qui est celui
d’aider les chrétiens en Terre Sainte. C’est un mandat spécifique que nous avons reçu
du Saint-Siège parce que l’ordre est une institution pontificale. Ce qui est important,
c’est la motivation qui pousse un membre de l’ordre. C’est pour cela que je pense
que le témoignage est important parce que nous devons d’abord le donner dans le pays
où nous vivons. Ensuite, il y a aussi un témoignage de solidarité et un témoignage
de valeurs plus universelles que nous donnons en Terre Sainte.
Dans quelques
mois, au mois de mai, le Pape François va se rendre en Terre Sainte. C’est un voyage
très attendu. Qu’attend votre ordre de ce voyage et comment se prépare-t-il à accompagner
spirituellement et peut-être, concrètement, ce déplacement du Saint-Père ? Il
est difficile pour moi de faire des prévisions puisque nous ne connaissons pas dans
les détails le programme ni les intentions du Pape. Mais nous avons l’expérience du
précédant pèlerinage apostolique de Benoît XVI. Dans ce cas, l’ordre a aidé, même
matériellement, à la réalisation du voyage et nous avons accompagné le Pape.
Ce
voyage du Pape François est très spécial puisqu’ il a lieu lors du cinquantième anniversaire
de la rencontre entre Paul VI et le patriarche œcuménique de Constantinople, Athënagoras.
Donc, je crois que cette visite aura une répercussion sur le plan œcuménique, surtout
si nous réfléchissons sur le fait que lorsque nous parlons de la Terre Sainte, il
faut considérer qu’il y a aussi des Églises chrétiennes, non catholiques, qui sont
là depuis des siècles. Donc, s’il y avait un progrès dans le dialogue entre les Églises-
il y a déjà un dialogue fructueux- mais si ça pouvait le développer encore plus, je
crois que ce serait un fruit important.
L’autre aspect, c’est que tout voyage
papal en Terre Sainte, je crois, attire l’attention du monde entier sur le problème
des chrétiens et de leur vie dans des conditions difficiles. Cela pourra peut-être
faciliter la résolution de problèmes qui existent.
Photo : Agostino
Borromeo, le Gouverneur général de l’Ordre