Centrafrique : « On ne peut pas dire qu’on est chrétien et tuer son frère »
(RV) Entretien - Pas question de laisser passer les exactions commises par
les anti-balaka : le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, est à Bangui
mercredi pour réaffirmer la détermination de Paris à faire cesser les violences qui
minent le pays.
Ces violences prennent de plus en plus un aspect ethnique
et religieux. Amnesty International n’hésite pas d’ailleurs à parler de « nettoyage
ethnique », évoquant les violences systématiques commises à l’encontre des musulmans
centrafricains. Des violences perpétrées par ces miliciens anti-balaka, majoritairement
chrétiens, et que condamne avec force Mgr Dieudonné Nzapalainga, l’archevêque de
Bangui, interrogé par Xavier Sartre
Quelle
est votre analyse de la situation en Centrafrique actuellement ? Autant que
je sache, il y a un groupe qui a décidé de prendre sa revanche. Il s’agit essentiellement
des jeunes qui ont vu des villages incendiés, pillés et des tueries, des exactions
suite à des violations de droits humains que des éléments de la Seleka avaient fait
endurer à des villages entiers. Or, ces jeunes, à l’époque où je les ai rencontrés,
parlaient de combattre la Seleka. Force est de constater que ce n’est pas ce qui se
passe sur le terrain. Maintenant, ces gens s’en prennent à des communautés musulmanes.
Ils nous ont toujours dit que les musulmans ne sont pas la Seleka. Tous les Seleka
ne sont pas musulmans. De même, nous avons dit que tous les anti-Balaka ne sont pas
chrétiens et tous les chrétiens ne sont pas anti-Balaka. Si les gens s’en prennent
à ce groupe, c’est pour aller piller, aller venger, c’est pour exprimer une haine.
Ce sont des sentiments purement humains et je pense que derrière ce qui se
passe, il y a des gens que j’ai appelé « des hommes politiques véreux » qui utilisent
les manettes. La preuve, vous avez des gens qui se prononcent comme des parrains
de ces groupes. En aucun cas, ni un prêtre, ni un pasteur avec qui je suis, ne s’est
prononcé pour diriger et appuyer cette idéologie. Je dénonce, je condamne les exactions
et je dénonce aussi l’amalgame qui est fait autour de cette situation car l’imam,
le pasteur et moi-même, nous parlons le même langage, nous avons posé le diagnostic
depuis le début. Aujourd’hui, on continue à jouer sur la cible religieuse et nous
refusons qu’on nous conduise vers ce chemin.
Comment faire pour être entendus
par les principaux concernés ? Nous avons refusé de faire l’amalgame et nous
demandons à ceux qui utilisent, qui manipulent les jeunes, d’être responsables au
niveau national et au niveau international. Ce qui nous a conduit dans cette situation,
c’est l’impunité. Des gens tuent et personne ne leur dit rien. Les gens pillent et
incendient et ils sont toujours en bonne santé et ils continuent à circuler. Il va
falloir que ceux qui ont tué répondent de leurs actes : ça veut dire réparation de
ces fautes-là. Nous pensons qu’il est temps que la justice renaisse de ses cendres
en République centrafricaine. C’est comme ça qu’on pourra aussi redonner confiance
aux pauvres qui attendent qu’une solution, qu’une proposition soit faite pour qu’ils
retrouvent la quiétude.
Est-ce que vous vous êtes directement adressé aux
anti-Balaka ? Les anti-Balaka ont lancé une attaque et deux jours plus tard,
j’ai écrit une lettre où j’ai été clair : je condamne les exactions ou les recours
à la force comme moyens pour arriver au pouvoir. Le moyen que je connais s’appelle
le dialogue. J’insiste pour qu’on puisse utiliser ce moyen pour régler les différends
en société. Actuellement, je lance des appels en disant : tous ceux qui se disent
chrétiens et qui sont dans ce groupe ne doivent pas croire qu’ils sont cohérents avec
leur foi. On ne peut pas dire qu’on est chrétien et tuer son frère, le brûler, le
détruire. On ne peut pas se dire qu’on est chrétien et chasser son frère. Le frère,
c’est l’autre. Moi-même, j’ai accueilli ici le responsable de la communauté musulmane.
Je vis avec lui et je demande à ce que les chrétiens en fassent autant. L’amour doit
être la caractéristique propre des chrétiens. Or, là, actuellement, nous assistons
à des divisions, à la haine, à la vengeance, à des représailles, à des comportements
qui sont à l’antipode des valeurs évangéliques.
Vous avez évoqué des politiciens
véreux qui soufflent sur les braises. Qui sont ces politiciens véreux, comme vous
les appelez ? Actuellement, la violence ne connaît plus de limites. Contrairement
à ce qu’on nous fait croire, nous avons aussi des chrétiens qui sont pillés par les
anti-Balaka. J’ai rencontré une famille, dans leur maison, tout a été emporté. Ça
veut dire que c’est un autre gang ou un autre chef qui pousse ces gens-là . C’est
la recherche du pouvoir, il faut avoir le courage de le dire. On ne se bat pas pour
être plus proche de Dieu ou bien pour défendre sa foi. On se bat pour être au pouvoir.
On se bat pour montrer qu’on est le plus fort.
Pensez-vous que le gouvernement
de transition et l’ensemble des autorités de transition a les capacités pour pouvoir
affronter ce sujet ? Le gouvernement a besoin de moyens pour devenir efficace
et efficient. Or, le gouvernement qui est arrivé est confronté à des difficultés de
tout genre et il est temps que les communautés nationale et internationale apporte
leur contribution pour aider ce gouvernement. Les gens ne sont pas payés depuis des
mois. Nous avons aussi la justice qui est en panne parce que les gendarmes ne jouent
pas leur rôle. Vous avez aussi les juges qui n’assument pas leur rôle. Les missions
régaliennes dévolues à un État ne sont pas actuellement accomplies.
Justement,
comment jugez-vous l’action aussi bien de la Misca (force militaire africaine) que
de l’armée française en Centrafrique ? La Sangaris et la Misca sont deux missions
qui sont venues pour nous aider. Nous pouvons être reconnaissants. Ces missions ont
permis de stabiliser la situation et d’éviter le pire. Force est de constater que
nous devons aller plus loin. Je reviens d’Europe où j’ai fait un plaidoyer pour demander
la mission des Casques bleus. Il nous faut plus d’hommes. Un pays de 623 000 km² ne
pourra pas être sécurisé avec 6000 hommes. Vous avez les armes qui se sont disséminées
dans tout le pays. Il va falloir récupérer ces armes. L’administration a été détruite.
Dans la mission que nous imaginons et que nous souhaitons pour l’ONU, il faut dire
qu’il y a un projet de reconstruction de l’État, de la machine étatique.
Vous
savez que les écoles et aussi les établissements de santé ne fonctionnent pas. Il
va falloir les relancer. Vous savez aussi qu’actuellement, le processus politique
a quelques difficultés parce qu’il manque de moyens. Nous savons que la première mission
à nous, Centrafricains, pour désarmer nos têtes, pour désarmer nos cœurs, pour commencer
à vivre ensemble avec nos frères et nos sœurs, est de nous réapproprier la dimension
patriotique. En aucun cas, je peux ôter la vie de mon frère ou de ma sœur, impunément.
Photo : L'imam de Bangui Oumar Kobine Layama accompagne l'archevêque
de Bangui Mgr Dieudonné Nzapalainga.