(RV) Entretien - Financée et organisée par les Nations unies, une conférence
consacrée au chômage des jeunes en Afrique s'est tenue à la mi-janvier à Dakar au
Sénégal. Elle avait pour but d’évaluer le chemin parcouru par les pays africains pour
l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement dont l’un des premiers
articles propose d'« assurer le plein emploi et la possibilité pour chacun, y compris
les femmes et les jeunes, de trouver un emploi décent et productif ».
Or si
la population africaine est la plus jeune au monde -70 % de la population a moins
de 30 ans-, la chômage des jeunes est aussi record. Selon l’Organisation internationale
du Travail, en 2013 le monde comptait 75 millions de jeunes sans emploi. 38 millions
de ces jeunes chômeurs vivent en Afrique. Un jeune sur 2 n’a pas d’emploi ou est sous-employé
et parmi eux, de plus en plus de jeunes diplômés. (avec RFI)
Etat des
lieux avec Audrey Radondy. Elle s’est entretenue avec Essé Amouzou, maître de conférence
en sociologie du développement à l’université de Lomé au Togo
Ci-dessous,
un article paru en mars 2012 dans la revue des pères blancs, Voix d’Afrique, n°94
L’Afrique
a la population la plus jeune au monde. Ses 200 millions de 15-24 ans constituent
20 % de la population, et 40 % de ceux qui sont en âge de travailler. Mais ils représentent
aussi 60 % des chômeurs. « Le problème du chômage des jeunes en Afrique est plus complexe
que dans les autres régions du monde. La lente croissance des économies ne permet
pas de créer suffisamment d’emplois pour le grand nombre de diplômés qui arrivent
chaque année sur le marché. » « Des jeunes hommes et des jeunes femmes traînent dans
les rues des grandes villes sans avoir grand- chose à faire, et dans certains cas
se livrent à délinquance. » Actuellement, on peut considérer que ce chômage des jeunes
est comme une bombe qui, si on ne la désamorce pas, va exploser
Une situation
dramatique
En Afrique Subsaharienne, entre 7 et 10 millions de jeunes intègrent,
chaque année, le marché du travail, et ce marché ne croît pas assez rapidement pour
les accueillir. A peine 10% trouvent un emploi correspondant à leurs capacités, et
beaucoup continuent à souffrir car, dans certains pays, les salaires sont extrêmement
bas. Parmi eux, il y a de plus en plus de diplômés, et leur nombre, entre 1999 et
2009, a plus que triplé, passant de 1,6 million à 4,9 millions. Ils seront pratiquement
le double en 2020, soit 9,6 millions de jeunes. Ces diplômés quittent les universités
sans emploi qui les attende. Il est vrai que beaucoup ont choisi des filières moins
professionnelles, comme les sciences sociales, plutôt que des formations techniques.
En premier lieu, l’absence de travail crée un sentiment d’exclusion et d’inutilité
qui entraîne violence, toxicomanie et extrémismes. Las des années d’enseignement perdues,
ces jeunes font de leurs gouvernements la cible de leur frustration. Cherchant leur
propre voie, ils manifestent dans les rues, s’affrontent sur les campus et constituent
le gros des troupes en cas d’émeute. Ensuite, le chômage et le sous-emploi contraignent
souvent les jeunes à attendre pendant plusieurs années avant d’obtenir un logement
décent, de pouvoir se marier et avoir des enfants. Enfin, en période de redressement
économique, ils sont les derniers à être embauchés et, en période de ralentissement,
ils sont les premiers à être licenciés.
En ville, la majorité des jeunes qui
ont un emploi n’ont que des emplois précaires, à faible productivité, le plus souvent
dans le secteur informel. Ils gagnent moins que le salaire minimum et ne sont pas
en mesure d’assurer à leur famille des conditions de vie décentes. Ils souffrent donc
d’une bien plus grande pauvreté – et sont fortement exposés au risque, compte tenu
des conditions dans lesquelles ils vivent et travaillent.
En zones rurales,
le secteur agricole, qui regroupe la majeure partie des travailleurs, souffre d’un
sous-emploi saisonnier. Un grand nombre travaillent moins d’heures qu’ils ne le souhaiteraient,
gagnent moins que leurs homologues des villes, utilisent moins leurs qualifications
et sont généralement moins productifs.
Les raisons
Il faut bien
identifier les causes fondamentales du chômage des jeunes. Une des grandes difficultés
en Afrique Subsaharienne est l’absence de structuration du marché de l’emploi, où
l’offre et la demande peuvent se rencontrer. Les entreprises créent peu d’emplois
vu le coût élevé des intermédiaires et les réglementations rigides tant pour l’embauche
que pour le licenciement.
Autres difficultés : la faiblesse des niveaux de
compétences et la formation professionnelle qui seule ne suffit pas pour remédier
au fort chômage des jeunes. Enfin, l’essoufflement de la croissance, des coûts du
travail élevés ou des demandes de salaire non réalistes de la part des jeunes, la
discrimination (surtout à l’encontre des jeunes inexpérimentés), un accès médiocre
à l’apprentissage de base, des politiques publiques qui découragent le travail, tout
cela compromet l’accès rapide à un emploi.
Beaucoup de jeunes quittent la campagne
pour la ville dans l’espoir d’y trouver des emplois et de meilleures conditions de
vie. Mais parce que la plupart des pays ne se sont pas encore engagés sur la voie
de l’industrialisation, les centres urbains ne sont pas en mesure de les satisfaire.
Donc, à court terme, seules les activités rurales, agricoles ou non, peuvent effectivement
créer des emplois pour la plupart des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Des
solutions possibles
Il y a plusieurs moyens d’améliorer la situation de l’emploi
en Afrique Subsaharienne : Malgré les remarques faites précédemment, il y a d’abord
la formation : il est essentiel que les pays continuent à développer la formation,
l’éducation continue et l’enseignement, ainsi que tous les moyens d’améliorer les
compétences, en accordant une attention particulière aux jeunes. Mais la formation
professionnelle ne doit plus être considérée comme un simple moyen de « ramener à
l’école » les jeunes pour lesquels le système éducatif de base a échoué. Il faut un
système de formation qui assure aux jeunes un maximum de compétences durables (maîtrise
de la lecture, de l’écriture et du calcul), et de compétences pour l’apprentissage
tout au long de leur carrière. Elle doit améliorer les compétences liées à des technologies
précises et les développer par la suite sur le lieu de travail.
Beaucoup comptent
aussi sur une agriculture moderne qui pourrait être un moyen très important de création
d’emplois et de richesse, et absorber un grand nombre de jeunes candidats à la migration
ou de jeunes qui font actuellement ployer les villes sous le sous-emploi. Mais pour
cela, il faut trouver les stratégies qui rendent l’option agricole suffisamment attractive
pour que les jeunes s’y engagent ; il faut, entre autres, passer d’une agriculture
centrée sur la subsistance à une agriculture qui se soucie davantage de la commercialisation,
des gains de productivité par l’innovation technologique et de l’appui des infrastructures.
Les régions rurales pourraient devenir plus attrayantes pour les jeunes travailleurs,
ce qui, à la longue, freinerait l’exode rural.
L’économie de beaucoup de pays
africains dépend encore de la production d’une ou deux marchandises de base. Ils pourraient
diversifier leurs activités, en transformant ces marchandises ou en développant l’industrie
manufacturière légère. Les pays qui cherchent des solutions immédiates et de court
terme pour remédier au problème du chômage retiennent souvent les projets de travaux
publics. Mais dans un contexte de pauvreté chronique, ces projets n’ont pas d’effet
important ou durable. Les emplois ainsi créés sont de courte durée — 4 mois environ
— et les salaires sont bas.
On peut encore encourager la diaspora africaine
à investir. Les migrants peuvent contribuer à la création d’emplois par le biais des
envois de fonds. Des Africains à l’étranger ont, dans plusieurs pays, financé des
projets collectifs dans leur village ( la poste, le système d’alimentation en eau
potable, des dispensaires communautaires et la rénovation des écoles). De même, les
migrants de retour peuvent tirer parti de leur expérience et de leurs contacts pour
établir des entreprises. Ces réseaux de migrants doivent être considérés comme un
actif et être mieux exploités. Pendant longtemps, le secteur public a été le plus
gros pourvoyeur d’emplois en Afrique. Aujourd’hui, il ne peut plus remplir ce rôle.
Il faut donc que l’État fasse tout pour mettre en place des conditions propices au
développement du secteur privé, qui provoquera une augmentation de l’investissement
et de l’emploi.
Conclusion
Les principaux objectifs à réaliser
pour faire face aux problèmes de l’emploi des jeunes sur les marchés du travail sont
les suivants : intégrer les programmes et politiques en faveur de l’emploi des jeunes
; réformer l’éducation ; établir des partenariats public-privé pour rassembler les
ressources nécessaires et assurer aux jeunes des soins de santé. Par ailleurs,
il est essentiel que les leaders africains, au-delà de l’emploi, développent des stratégies
intégrées pour la jeunesse incluant, entre autres, l’amélioration de leur participation
à la vie politique et à l’action sociale.
Photo : des jeunes centrafricains
dans une école de Bangui