Suisse : une votation sur l'avortement divise les évêques
(RV) Entretien - Plusieurs votations populaires se tiennent en Suisse ce dimanche.
L’immigration sera au cœur d’un premier référendum « d’initiative populaire fédérale
contre l’immigration massive d’étrangers et de requérants d’asile », à l’initiative
de l’Union démocratique du centre. La victoire du oui remettrait en question les accords
de libre circulation avec l’Union européenne. L’UDC veut également réintroduire des
plafonds annuels d’immigrés et des contingents pour les autorisations de séjours en
Suisse, s’appliquant aussi aux frontaliers et aux requérants d’asile. Les Eglises
chrétiennes ont appelé leurs fidèles à rejeter cette initiative.
Les Suisses
devront également se prononcer sur un autre référendum d’initiative populaire qui
propose de mettre fin au remboursement de l’avortement par l’assurance-maladie. Soutenue
par des groupes pro-vie, cette votation s’intitule « l’avortement est une affaire
privée ». Or, elle divise l’épiscopat suisse. L’évêque de Coire s’est déclaré favorable
au oui, tandis que le cardinal Henri Schwéry, évêque émérite de Sion, s’est prononcé
pour le non.
Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Fribourg et Genève,
pense quant à lui que la question est mal posée. Pour lui, il est positif que la société
suisse remette l’avortement en question, mais reléguer l’avortement à une affaire
privée n’est pas une idée acceptable du point de vue de l’éthique catholique. Il répond
aux questions de Cyprien Viet
Le problème,
à mon sens, c’est qu’il y a quelque chose de contradictoire avec cette initiative
qui, pour autant que je sache, ne provient pas tellement des milieux catholiques mais
plutôt des milieux évangéliques. Ils intègrent comme argument central, le fait que
l’avortement est une affaire privée, ce qui est le principal argument des gens qui
soutiennent l’avortement. Les défenseurs de l’avortement disent « C’est mon ventre,
ça ne vous regarde pas » et là, on dit : « ne nous demandez pas de participer au financement
de l’avortement des autres. Ça, c’est leur problème. Moi je ne veux pas ». Je vois
que le problème est que cet argument contradictoire se retourne contre nous si on
soutient une initiative portant ce nom-là. Alors, je prends deux exemples. Un exemple
m’a d’ailleurs été donné par un père de famille catholique qui me disait « alors,
si les évêques disent : on soutient une initiative qui porte ce nom-là. Ensuite, admettons
que ma fille adolescente rentre à la maison et me dise : je suis enceinte et je vais
avorter. Et je lui dis « tu ne dois pas faire ça », elle me dira « ça, c’est pas ton
affaire, c’est la mienne. D’ailleurs, c’est même ce que disent les évêques.» Mais
qu’est-ce que je pourrais lui répondre ? Et on a le cas inverse, on imagine une
fille - j’imagine toujours une adolescente, ce sont les cas les plus problématiques
- qui dirait à ses parents « je suis enceinte, je veux garder mon enfant, mais je
ne peux pas assumer cela toute seule » et eux qui répondraient : « eh bien, écoute,
ça c’est ton affaire, ce n’est pas la nôtre. C’est aussi ce que disent les évêques.»
Vous voyez, le problème c’est que cet argument contradictoire se retourne contre nous.
Est-ce
que vous voyez quand même des aspects positifs à ce que l’avortement revienne dans
le débat politique en Suisse ? Personnellement, je suis tout à fait heureux
qu’on soulève la question. Je pense que ça secoue la torpeur et il est parfaitement
juste de dire que la grossesse n’est pas une maladie. Mais comment faire pour soutenir
en même temps ce combat et le principe au nom duquel il est mené. Ce qu’on nous envoie
constamment comme argument pour que l’Église ne parle pas, nous devrions soutenir
cet argument-là, je suis totalement embarrassé. Cela divise, ce projet a été mal fait.
Apparemment tous les évêques ne sont pas d’accord sur la manière d’appréhender
cette votation.
Est-ce que vous allez quand même essayer de définir une
position commune au niveau de l’épiscopat suisse ? Bon, l’évêque de Coire a
dit qu’il soutenait l’initiative. D’un côté, je le comprends parce que je vois bien
ce qu’il pense, en tout cas, je l’imagine à peu près parce que je n’ai pas eu l’occasion
d’en parler avec lui ces derniers jours. Je le pense aussi, si ça peut au moins sauver
quelques vies. De ce point de vue-là, je suis entièrement d’accord avec lui. Le problème,
on nous reprochera constamment le principe mis en œuvre et qui sera toujours utilisé
contre nous : c’est une affaire privée. Non, ce n’est pas une affaire privée. D’abord,
parce que dans tous les cas, il n’y a pas que la mère, il y a aussi l’enfant au cœur
du débat et il y a aussi le père. En fait, cette initiative, dans son principe, accepte
que d’autres avortent et l’accepte même explicitement.
Vous disiez que
cette initiative a été promue par des associations évangéliques. Est-ce qu’elles soulèvent
aussi des difficultés au niveau de l’œcuménisme parce que visiblement, les différentes
Églises prennent des positions très contradictoires sur cette votation ? Alors,
les évangéliques ne sont pas unifiés, presque par définition et ils sont même divisés
sur la question. Les gens qui défendent le plus l’initiative en public sont des évangéliques,
alors que les protestants de la fédération des Églises protestantes de Suisse rejette
l’initiative. La Conférence des évêques a dit : « nous ne pouvons pas dire oui ou
non car dans chaque cas, on se heurte à un problème ». La fédération des Églises protestantes
suisses a dit : nous rejetons l’initiative. De ce point de vue, ils ont une position
différente de la nôtre. Les évangéliques, en général, soutiennent l’initiative, ce
qui n’est pas étonnant parce que les grandes Églises protestantes et les évangéliques
sont souvent divisés sur ce genre de choses. Pour nous, quand on entend un pasteur
dire publiquement « on ne peut pas remettre en cause l’acquis du droit à l’avortement
», évidemment que je ne peux absolument pas être d’accord avec une chose pareille.
Mais il ne parle pas non plus au nom de tous les protestants.
Et quel regard
vous portez sur la manière dont le droit à l’avortement évolue en France et en Espagne
? L’idée de dire que ce ne serait que dans des cas exceptionnels, ne m’enthousiaste
pas du tout parce qu’il y a toujours la vie de l’enfant qui est en cause. En gros,
dans cette question comme dans d’autre, on fait en sorte que la loi suive l’évolution
des mœurs et je pense que le principe est discutable mais ce n’est pas toujours facile
à éviter. Le gouvernement espagnol veut aller contre l’évolution des mœurs pour la
corriger, je crois que c’est un acte responsable de la part du gouvernement. Mais
fondamentalement, pour changer vraiment les choses, nous devons d’abord essayer de
convaincre les personnes parce que, malgré tout, la loi est surtout efficace quand
les gens sont convaincus que c’est ainsi qu’il faut agir. Et là, nous avons un travail
de fond à faire. Il est absolument clair ,en Suisse, comme je le pense un peu partout,
que la majorité de la population est favorable à l’avortement. Beaucoup ont des arguments
pour convaincre. Ensuite, et c’est aussi ce qu’a dit la conférence des évêques, nous
devons aider pratiquement les femmes qui ne veulent pas avorter mais auraient des
difficultés économiques à pouvoir mettre au monde l’enfant et pouvoir l’éduquer ensuite.
Nous signalons aussi le traumatisme que représente l’avortement, au moins pour certaines
femmes. Apparemment, il y en a que ça ne traumatise pas. Je veux bien le croire, je
ne suis pas en elles pour savoir mais il y en a certainement que ça traumatise. Et
ça, les prêtres en font bien l’expérience. Et nous le disons aussi, il y a des associations
qui aident effectivement les femmes, non seulement par le biais d’une confession qui
je crois, est une aide tout à fait fondamentale, mais aussi dans certain cas, par
un accompagnement médical.
Est-ce que cette votation crée de la confusion
dans la compréhension des positions de l’Église par l’opinion publique ? Oui,
parce que l’argument qui consiste à dire « ce texte est contradictoire » n’est pas
un argument très simple. Il y a des gens qui le comprennent, il y a des gens qui ne
le comprennent pas. C’est très difficile de dire une chose pareille. À part ça, il
y a des gens qui le comprennent. Je veux dire, même des personnes qui dans un premier
temps n’ont absolument pas compris la position des évêques, maintenant ils la comprennent.
Et il y a aussi des fidèles, et c’est une des raisons pour laquelle je parlais, pour
dire « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse par rapport à ce texte? Je ne sais
vraiment pas dans quel sens voter parce qu’il y a toujours un problème ». Je parle
de gens rencontrés à l’Église, à la sortie de l’Église ou avant la messe. Donc, ce
n’est pas complètement compréhensible. Sur ce genre de questions, il faut quand même
écouter un moment. Hors, dans l’immédiat, c’est quand même beaucoup plus facile de
dire oui ou non. Et certains m’ont dit « Mais Jésus dit que ton oui soit un oui, que
ton non soit un non ». Mais à quoi est-ce que je dis oui ou non ? En disant non à
l’avortement, est-ce que je dois dire en même temps « c’est une affaire privée »
alors que ce n’est pas une affaire privée. C’est même fondamentalement parce que ce
n’est pas une affaire privée que je suis contre l’avortement parce que si ce n’était
qu’un problème de santé de la femme, à la limite, qu’elle se fasse soigner comme
elle veut. Mais il y a de toute façon au moins un enfant, donc c’est pas une affaire
privée. C’est là le problème.