2014-01-29 08:38:55

Le maréchal al-Sissi, nouvel homme fort de l’Egypte


(RV) Entretien - En Egypte, on trouve son portrait un peu partout dans les commerces et les rues du Caire. L’armée vient de l’appeler à répondre à « l’appel du peuple » après le succès du référendum sur la nouvelle constitution. Abdel Fattah al-Sissi, l’actuel chef d’état-major des armées, ministre de la défense et vice-président, promu lundi maréchal par le président par intérim Adly Mansour, sera-t-il candidat à la prochaine élection présidentielle comme le souhaitent les militaires ? S’il décidait de sauter le pas, il devrait remplir une condition nécessaire pour briguer la magistrature suprême : quitter ses fonctions militaires.

Ce serait la consécration pour ce militaire de 59 ans au parcours incroyable, s’imposant sur le devant de la scène le 3 juillet dernier quand il annonça la destitution du président démocratiquement élu Mohammed Morsi. Il œuvra à la chute de celui qui le fit accéder au pouvoir. L’ancien président islamiste l’avait nommé ministre de la défense en aout 2012.
Sur quoi repose la popularité d’Abdel Fattah al-Sissi ? Marie Duhamel en parle avec Clément Steuer, spécialiste de l’Egypte à l’Institut oriental de l’Académie des Sciences de Prague RealAudioMP3

Abdel Fattah al-Sissi a été nommé à la tête du Conseil supérieur des forces armées en août 2012 par Mohammed Morsi, alors président de la République, qui suite à son élection, avait placé en retraite anticipé les précédents dirigeants de cette institution, donc Mohammed Tantaoui et Sami Annan et les avaient remplacés par al-Sissi qui passait pour être plus sympathisant des idées islamistes, plus représentant d’une nouvelle génération d’officiers partisans d’une non-intervention de l’armée dans le domaine politique. Donc voilà ce qu’était al-Sissi lorsqu’il a été, pour la première fois, mis en avant dans les médias. Il est apparu aux yeux du grand public à cette époque. À partir du moment où le pouvoir de Morsi a été contesté, à partir de novembre-décembre 2012, il s’est un peu placé comme un arbitre entre le camp des libéraux qui manifestaient contre les Frères Musulmans, alors au pouvoir. Et de plus en plus, les adversaires de Morsi ont fait appel à lui et à l’armée en leur demandant d’intervenir pour remplacer Morsi et son gouvernement. Ça a été chose faite finalement le 3 juillet 2013, suite à plusieurs journées de manifestations très importantes dans les rues du Caire, organisées par des mouvements d’opposition, en particulier Tamarod, ce mouvement de jeunesse qui avait fait signé très massivement une pétition demandant des élections présidentielles anticipées.

Et c’est donc en répondant à cet appel qu’il a assis son pouvoir ?
Oui, il y avait une espèce d’appel aux soldats dans les rangs de l’opposition qui sentaient qu’ils étaient incapables de vaincre les Frères Musulmans dans les urnes car ne disposant pas de la même organisation, de la même force de frappe financière, de la même capacité de mobiliser. Donc, l’opposition se sentait un peu impuissante en matière électorale, d’autant qu’on craignait à cette époque-là que les Frères Musulmans au pouvoir n’utilisent leurs positions pour commencer à truquer les élections. On l’ avait notamment vu lors du référendum sur la Constitution, où des malversations et des cas de fraudes avaient été constatés, beaucoup plus importants que depuis la chute de Moubarak. Donc, en plus de leur puissance sociale et financière, il y avait une peur que les islamistes au pouvoir truquent les élections en leur faveur.

Donc, une popularité qui reposait , en quelques sortes, sur la peur des islamistes. Aujourd’hui Mohammed Morsi est déchu. Sur quoi repose la popularité d’al-Sissi aujourd’hui ?
Plus tellement sur la jeunesse révolutionnaire, avec cette issue de l’évolution des choses depuis quelques mois. Mais sur ce qu’on appelle en Égypte « le parti du canapé », c’est-à-dire un peu l’équivalent de ce qu’on nomme en France « la majorité silencieuse » : Les citoyens, qui jusqu’à présent ne se faisaient pas remarquer, ne descendaient pas dans la rue. Les citoyens non-politisés finalement ou qui aujourd’hui soutiennent massivement al-Sissi. Les partisans de l’ancien régime soutiennent aussi al-Sissi. Il représente un peu aux yeux de l’opinion nassérienne, un retour à Nasser, le militaire qui prend le pouvoir pour sauver le pays, qui s’oppose aux islamistes, notamment aux Frères Musulmans. Et enfin, la bourgeoisie libérale qui est représenté par l’actuel premier ministre, par le parti Wafd, par le parti Al-Dostour, par le parti égyptien social-démocrate. Donc, tous ces partis qui ont du mal à se construire, à se structurer et à mobiliser les électeurs qui se sentaient finalement politiquement assez impuissants dans l’après-Moubarak. Aujourd’hui, on espère réussir au moins à gérer une partie de la sphère du pays à l’ombre des militaires.

Vous l’avez évoqué, on compare souvent le maréchal al-Sissi à la figure emblématique de Nasser. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ?
Les point communs avec Nasser existent effectivement : la lutte contre les Frères Musulmans. On peut aussi mettre en avant une volonté d’assurer l’indépendance nationale, en étant moins dépendant des sols américains, en essayant d’aller chercher ailleurs des sources de financement et notamment en se tournant vers la Russie. Les divergences avec Nasser sont que Nasser était finalement un officier révolutionnaire. Sur le plan international, il était extrêmement opposé à l’Arabie Saoudite. Et aujourd’hui, l’Arabie Saoudite est un des principaux soutiens, au contraire, du régime issu du coup d’état du 3 juillet. On est pas non plus dans la même situation, l’Égypte n’a plus la même puissance, le même poids de leader du monde arabe. Le projet d’al-Sissi est sans doute moins révolutionnaire que celui de Nasser, il ne s’agit pas de transformations sociales, même si encore aujourd’hui, c’est difficile à dire quelle va être la politique qu’il va mener en termes sociaux et économiques s’il arrive au pouvoir, sachant qu’il est soutenu aussi bien par des néo-libéraux que par des socialistes.

On a besoin de lui pour garantir la stabilité du pays mais est-ce qu’un militaire a les armes pour proposer un programme améliorant la vie des égyptiens ?
C’est difficile à dire, d’autant qu’on ne sait pas encore s’il va se présenter, ensuite s’il sera élu, même si ça fait peu de doutes. Ensuite, comment est-ce qu’il va y avoir une majorité parlementaire puisqu’il n’a pas de parti ? Est-ce qu’il va créer son propre parti ? Est-ce qu’il va sans doute y avoir une coalition de partis pro Sissi ? Comment le partage des pouvoirs va se faire entre le parlement et le président ? On n’en sait rien non plus. La Constitution est toute neuve. Donc, c’est un peu difficile à savoir. Les partisans de Sissi ont des précédents historiques en Occident : le général Eisenhower, le général de Gaulle en disant qu’un militaire peut être élu démocratiquement et mené une politique civile, entouré sans doute de conseillers issus de milieux un peu technocratiques, si vous voulez. C’est en tous cas l’avenir que dessine les partisans d’al-Sissi. S’il dispose vraiment dans son camp des compétences nécessaires, je ne suis pas en mesure de vous répondre.

Dans un pays comme l’Égypte, c’est aussi un peu difficile de ne pas le mentionner. S’il était élu président, ce serait le retour d’un militaire ou ex-militaire au pouvoir. On a un peu le sentiment d’un retour à la case départ. Est-ce que ça serait une révolution pour rien ?
Ce sentiment existe, bien sûr, notamment encore une fois, chez la jeunesse révolutionnaire. Les jeunes se sont massivement détournés du référendum il y a deux semaines sur la nouvelle Constitution. Pour l’anniversaire de la révolution donc le 25 janvier dernier, plusieurs organisations de jeunesse avaient appelé à manifester contre les Frères Musulmans et contre l’armée. Il y a eu une cinquantaine de morts dans leur rang, donc ils ont été chassé dans les rues à la fois par les forces de sécurité et par les manifestants pro Sissi. Donc, il commençait à y avoir une opposition assez forte de cette jeunesse par rapport à la tournure que prennent les évènements. Est-ce qu’on peut parler de retour à la case départ ? Pas exactement. Les choses ont de toute façon changées. Le système de Moubarak qui a existé ne va pas être restaurer. Aujourd’hui, les militaires sont toujours au pouvoir. Ils cherchent une onction démocratique, moins contestable que ces systèmes de trucages et de violences dans les urnes qui existaient à l’époque de Mubarak. Donc, ils recherchent désormais un appui populaire, il cherche le soutien de certains secteurs de la population sans revenir au système clientéliste qui forcément, a existé auparavant. Donc, il y a une espèce de tentative de renouveau des rapports qui existent entre ce régime militaire et la société.










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