Scandale de corruption en Turquie : Erdogan dans la tourmente
(RV) Manifestations de milliers de personnes à Istanbul et à Ankara pour réclamer
la démission du Premier ministre ; trois nouvelles défections de députés de l’AKP,
le parti au pouvoir ; dégringolade de la monnaie et de la bourse : le scandale de
corruption qui éclabousse le gouvernement turc depuis plusieurs jours n’en finit pas
de déstabiliser Recep Tayyip Erdogan.
Malgré un remaniement gouvernemental
cette semaine, celui qui dirige la Turquie depuis onze ans ne parvient pas à reprendre
la main. Il accuse le mouvement du prédicateur musulman Gülen d’être à l’origine d’un
complot le visant. Le climat devient délétère et l’étau se resserre autour du chef
du gouvernement. Ce scandale et ses conséquences ne sont cependant pas une mauvaise
chose. C’est ce qu’explique à Xavier Sartre, Samim Akgonul, chercheur à l’université
de Strasbourg et au CNRS
Ce
scandale intervient à trois mois des élections municipales, à huit mois de la présidentielle,
qui pour la première fois, se déroulera au suffrage universel direct, et à plus d’un
an des législatives. Ce qui est « sain » selon le chercheur, car « il y
aura une nouvelle configuration politique ». Tous les débats en cours peuvent
être vus ainsi comme participant de la démocratisation de la Turquie et de sa vie
politique.
La vaste enquête menée par la justice sur des affaires de corruption
touchant des proches de ministres, voire des ministres eux-mêmes, tendrait à prouver
que, malgré une dérive autoritaire dénoncée par ses adversaires, Recep Tayyip Erdogan
ne contrôlerait pas l’institution judiciaire. Preuve que la justice en Turquie peut
mener son travail en dépit de l’opposition du pouvoir politique. Mais les choses ne
sont pas si simples.
La justice entre deux feux
Selon Samim
Akgonul, la justice fait l’objet de pressions de la part, soit du pouvoir, soit du
mouvement Gülen, pour reprendre les accusations du Premier ministre. « Le gouvernement
change de procureurs, ou de fonctionnaires de la police nationale », explique-t-il,
tandis que la magistrature obéirait aux ordres Gülen, pour reprendre, toujours, la
rhétorique de Recep Tayyip Erdogan. « L’indépendance de la justice est donc mise
en cause ».
Pour étudier cette affaire, il faut donc être attentif aux
acteurs - qui accuse qui - mais aussi aux résultats de l’enquête qui, pour le chercheur,
semblent probants. Qu’il y ait de la corruption, cela ne semble pas faire de doute.
Qu’il y ait de la manipulation, cela est dans le domaine du possible. Cela amène à
se poser la question de savoir qui est ce mouvement Gülen pointé du doigt par le Premier
ministre, comme instigateur d’un complot anti-gouvernemental.
Les écoles
dershane
« C’est un mouvement de volontaires, tentaculaire, qui a ses
entrées dans le monde politique, diplomatique, dans les affaires, dans les médias,
dans l’éducation et dans l’Etat même, notamment dans la police et la justice. Il a
soutenu le gouvernement et l’AKP depuis 2002, depuis que le parti islamo-conservateur
est au pouvoir. Mais l’AKP n’accepte plus qu’il y ait d’autres leaderships en Turquie
et nous voyons aujourd’hui l’implosion de cette coalition. Le point culminant de cette
rivalité qui dure maintenant depuis deux ans, a été la question des dershane, ces
écoles de soutien scolaire pour l’entrée à l’université qui forment l’ossature du
mouvement. Le gouvernement a tenté de fermer ces écoles ». Cette tentative, d’après
le chercheur, aurait donc déchainé la rivalité entre l’AKP et le mouvement Gülen.
Avec les conséquences que l'on voit.
Photo : Fethullah Gülen, le fondateur
du mouvement Gülen