Le voyage de Pie VII à Paris, pour le sacre de Napoléon Ier
(RV) Entretien - Les relations entre la France et le Saint-Siège sont loin
d’être un long fleuve tranquille. Elles furent sous l’Ancien Régime marquées par le
gallicanisme qui empoisonna périodiquement les rapports que les rois de France entretinrent
avec les papes. Elles furent particulièrement mauvaises pendant la Révolution, surtout
après l’adoption de la Constitution civile du clergé, qui, aux yeux de Pie VI, provoquait
un schisme inacceptable. L’adoption en 1802 du Concordat réglait les rapports entre
l’Eglise catholique et l’Etat, et permettait de pacifier les esprits et les âmes après
la tourmente révolutionnaire.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le voyage
de Pie VII à Paris pour le sacre de Napoléon fin 1804. Le Pape laissa pendant six
mois la ville de Rome et se rendit en France, répondant favorablement à la requête
du nouvel empereur qui voulait que le Pape en personne le sacre dans la cathédrale
Notre-Dame, répétant le geste que fit Léon III avec Charlemagne en l’an 800 à Rome.
Pendant quatre mois, Pie VII vécut donc à Paris, profitant de ce long séjour
pour régler un certain nombre de questions restées en suspens malgré l’adoption du
Concordat. Cette période marque en quelque sorte l’apogée des bonnes relations entre
la France napoléonienne et le Saint-Siège avant un revirement complet en 1809 quand
le Pape excommunia l’empereur et que ce dernier l’emprisonna, annexant Rome à l’empire.
Le souvenir de ce voyage pontifical se perpétua cependant tout au long du
XIXe siècle parmi les catholiques français. Retour sur ce voyage avec Jean-Marc
Ticchi, membre associé du Centre d’Anthropologie religieuse européenne à l’EHESS.
Il revient sur ce voyage dans un ouvrage très documenté : le voyage de Pie VII à Paris
pour le sacre de Napoléon (1804-1805) Religion, politique et diplomatie, publié aux
éditions Honoré Champion, Paris.
Comment
se déroule ce voyage inédit ? Pie VII fait une sorte, on pourrait presque dire,
de visite pastorale dans la France de l’époque. D’après les témoignages qu’on a, on
peut considérer qu’il a rencontré environ 20% de la population française. C’est lui-même
qui le dit à l’ambassadeur de France à son retour. Il a drainé des foules absolument
considérables, 30.000-40.000 personnes, notamment à Lyon. Toute la France se déplace
vraiment pour voir passer Pie VII. Les gens sont à genoux le long des routes avec
leur curé, avec le maire, le sous-préfet, le préfet. Il y a tout un cérémonial qui
est organisé par décret de l’empereur et qui fait en sorte que les Français sont invités
à venir voir passer le Pape. Et comme ils sont dans leur immense majorité catholiques,
ils viennent, et très nombreux.
On a l’impression que ce voyage du Pape
ressemble finalement au voyage des papes modernes de notre époque. On est
en effet très frappé de voir que finalement, tout le monde veut voir le Pape, et le
toucher. On l’assimile à la personne du Christ. On collectionne ses calottes, ses
cheveux. On garde le verre dans lequel il a bu, le brin de buis avec lequel il a célébré
à Troyes la messe des Rameaux. Donc, on a vraiment une très grande dévotion pour la
personne de Pie VII d’autant qu’il semble que ce soit un pontife très modeste, très
simple dans son approche et très bienveillant dans ses relations avec ses contemporains,
de sorte qu’il cristallise une nouvelle image de la papauté. Le Pape, dans sa personne,
n’est plus le prince romain, membre d’une grande famille romaine qui vit dans un État
lointain. Il est un bon vieillard qui vient bénir les Françaises et les Français qui
demandent sa bénédiction.
Le Pape va rester quatre mois à Paris. Qu’est-ce
qu’il va faire à Paris ? Pourquoi reste-t-il aussi longtemps ? Il est très
occupé. Tout d’abord, on lui fait visiter systématiquement les douze paroisses de
Paris. C’est une espèce de visite pastorale dans laquelle on le voit, on fait des
portraits de lui, on réclame sa bénédiction : c’est le premier point. Le deuxième
point : le Pape tient deux consistoires, désigne un certain nombre d’évêques et notamment
des évêques pour le Poitou et la Vendée, qui sont des endroits où la petite Église
est extrêmement active. Et les deux évêques qui sont nommés, seront sacrés des mains
du Pape à Saint-Sulpice pour manifester que l’autorité pontificale était pleinement
engagée dans la désignation de ces deux évêques qui ensuite retournent, l’un à Poitiers
et l’autre à la Rochelle. Et pour Napoléon, c’est du pain béni : c’est une façon
de montrer le parfait accord entre, d’une part l’Empire, qui doit encore lutter contre
la petite Église et qui, du reste, n’y parviendra pas complètement, et le Siège apostolique.
Pour le reste, on lui montre toutes les merveilles du génie français. On l’emmène
voir le Jardin des Plantes, le zoo du Jardin des Plantes, l’Imprimerie nationale où
on lui imprime le Notre Père dans les 240 ou 250 caractères typographiques que comptent
à cette époque-là, -depuis François I°-, l’Imprimerie nationale. On l‘emmène à la
Monnaie de Paris. On lui fait visiter le Conservatoire des Arts et Métiers où on lui
montre la pompe à feu, la machine à faire du fil de fer… en quelque sorte, toutes
les technologies d’avant-garde. On l’emmène même, -et c’est la seule fois où il sort
de Paris-, à Versailles où pour la seule fois, il donne sa bénédiction à l’air libre
parce qu’il était prévu par les articles organiques que l’on ne pouvait pas avoir
de manifestations extérieures du culte dans les villes où il y avait d’autres confessions
que des catholiques. À Versailles, il n’y a pas de temples, pas de synagogues, donc,
on peut donner la bénédiction. C’est le spectacle tout à fait incroyable, au mois
de janvier, de voir Pie VII sur le balcon du château de Versailles qui donne sur le
jardin, donner sa bénédiction à l’extérieur.
Quand on songe sous Louis XIV
à l’affaire de la Régale puis l’affaire de la bulle Unigenitus, de la bulle Vineam
Domini, aux relations entre l’Église de France, le Saint-Siège et la royauté, c’est
tout à fait extraordinaire de s’imaginer que Napoléon ait été en quelque sorte l’instrument
de cette intervention absolument décisive pour l’histoire, même de l’Église de France,
de Pie VII, au cours de ces six mois.
Le Saint-Siège, déjà à l’époque, a
une administration assez lourde. Comment le Pape a-t-il pu, pendant ces six mois de
voyage, -même s’il est resté quasiment quatre mois à Paris de manière fixe- continuer
à gérer les affaires quotidiennes de l’Église ? Le Pape est parti avec quatre
cardinaux et il a laissé son grand collaborateur de confiance, le cardinal Consalvi,
à Rome. Consalvi le dit : « je me suis retrouvé à l’époque quasiment dans la situation
d’un vice-pape » parce que le Pape lui avait donné tout pouvoir pour exercer sa juridiction
sur l’Église de Rome hormis dans quelques cas réservés mais finalement assez modestes.
Et les congrégations ont continué à travailler parce qu’on ne voulait surtout pas
donner le sentiment que la papauté était partie en France dans son ensemble parce
que ça, les autres puissances ne l’auraient pas compris.
Et d’ailleurs, cela
a semé une assez grande émotion parmi le puissances européennes lorsqu’on a dit que
le Pape partait à Paris, parce qu’à part le précédent du voyage de Pie VI à Vienne
en 1782, là pour le coup, on a tenu à manifester que la structure institutionnelle
du Saint-Siège continuait à travailler, que les congrégations continuaient à travailler.
Consalvi était le maître d’œuvre de tout cela, il avait des rapports relativement
distants, parce qu’il fallait parfois près d’une quinzaine de jours pour que le courrier
arrive depuis Paris, et de son côté, le Pape avait convié avec lui un certain nombre
de cardinaux dont le cardinal Antonelli, lequel avait géré la secrétairerie d’État
pontifical depuis Paris. Et donc, on a des lettres du Pape au prince régent du Portugal,
au roi d’Espagne, au président de la Confédération suisse, dans lesquelles le Pape
continue finalement d’administrer les affaires de l’Église universelle depuis Paris.