Moines de Thibirine : en quête de nouveaux éléments
(RV) Entretien - Sa visite à Alger aura porté du fruit. Lle français Marc Trevidic,
chargé de l’enquête sur l’assassinat des 7 moines de Thibirine, a obtenu l’accord
des autorités algériennes pour exhumer les têtes des victimes pour les autopsier.
Leurs corps n’ont jamais été retrouvés. Marc Trévidic retournera donc en Algérie,
avec sa propre équipe, et travaillera avec des experts algériens.. Le juge n’a,
en revanche, pas encore obtenu l’accord pour procéder à l’interrogatoire d’une vingtaine
de témoins de l’affaire, ainsi qu’il le demandait.
Dix-sept ans après, quelles
sont les zones d’ombre qui subsistent dans ce dossier ? Comment comprendre la démarche
des familles ?
Eléments de réponse avec maître Patrick Baudouin, avocat
des familles des moines assassinés, au micro de Manuella Affejee
Le texte
intégral de l'entretien
Le juge d’instruction demande à procéder à un
certain nombre d’auditions. Il a fait tout ce qu’il pouvait faire en France. Maintenant
il faut qu’il aille en Algérie, là où les assassinats ont eu lieu et qu’il puisse
entendre des témoins ou des personnes qui peuvent, à un titre ou à un autre, être
impliquées dans l’affaire de l’enlèvement et du meurtre des moines. Il veut aussi
pratiquer enfin ou faire pratiquer par des légistes une autopsie des têtes des moines
puisqu’il n’y a jamais eu de telles autopsies pratiquées lorsqu’on a découvert les
têtes des moines. C’est tout un lourd travail qui est à faire par le juge. Donc, il
n’est pas anormal qu’il faille le préparer mais nous souhaitons savoir si précisément
les autorités algériennes vont permettre aux juges de faire tout ce qu’il demande
d’effectuer sur le territoire algérien ou si à nouveau, il va y avoir des blocages
ou des tergiversations. Dans ce cas, le président Hollande nous a assuré qu’il fallait
revenir vers lui et qu’il interviendrait à nouveau auprès des autorités algériennes
si le juge d’instruction était entravé dans la possibilité d’accomplir tous les actes
qu’il souhaite effectuer.
Dix-sept ans après, quels sont les zones d’ombre
qui subsistent ?
Les zones d’ombre sont multiples. L’instruction a quand
même déjà le mérite de faire tomber certaines pseudo-vérités qui étaient assénées.
Depuis le début, la thèse officielle est que les moines ont été enlevés, détenus et
exécutés par un groupe islamiste terroriste, que les autorités algériennes ont tout
fait pour essayer d’empêcher cela et après « circulez, il n’y a rien d’autre à voir
». Or, on découvre aujourd’hui à travers un certain nombre de témoignages que l’enlèvement
lui-même a certes été effectué par un groupe islamiste -personne ne le conteste –mais
sur ce groupe islamiste, il y a beaucoup d’interrogations pour savoir s’il n’était
pas infiltré, voire manipulé. Et là, il y a quand même des éléments d’investigation
qui restent à accomplir parce qu’il y a des doutes qui sont très forts sur les circonstances
de l’enlèvement et sur les auteurs exactes de l’enlèvement. Après, il y
a eu la détention des moines pendant environ deux mois et on voit très bien qu’ils
ont circulé, ils ne sont pas toujours restés au même endroit. Et on voit que les autorités
algérienne savaient très bien où ils se trouvaient, là aussi à travers toute une série
d’éléments de l’instruction. Et enfin, sur l’assassinat des moines, il y a notamment
les déclarations de l’officier de liaison français à Alger, le général Buchwalter
qui fait état qu’il y aurait eu des tirs d’artillerie des hélicoptères de l’armée
algérienne qui aurait pu être à l’origine de la mort des moines. Et même
si cette version n’est pas la bonne, reste une interrogation très forte : Pourquoi
les autorités algériennes, lorsqu’elles ont annoncé la mort des moines, ont indiqué
« on a retrouvé les dépouilles des moines » -ce qui laissait entendre qu’il y avait
les corps- et ont été contraintes -parce qu’on a demandé à voir si les corps étaient
bien dans les cercueils- d’admettre et d’avouer qu’il n’y avait que les têtes. Pourquoi
les autorités algériennes voulaient-elles dissimuler le fait qu’il n’y avait que les
têtes des moines dans les cercueils des moines ? Si ce n’est que peut-être, les corps
des moines n’étaient pas présentables car susceptibles de révéler quelque chose d’important
sur les conditions de la mort.
Quel est le sentiment qui prédomine
chez les familles aujourd’hui ?
Il faut bien comprendre le sens de la
démarche des familles des moines de Thibirine : ce que recherchent ces familles, c’est
nullement la vengeance. Il n’y a aucune haine, aucune animosité particulière. Elles
veulent simplement la vérité pour qu’il y ait la justice, en oubliant pas le fait
que dans cette décennie noire qu’a connue l’Algérie dans les années’90 ,il y a eu
la mort des sept moines français mais il y a eu aussi des dizaines de milliers d’autres
morts, des morts algériens et pour lesquels la vérité, la justice ne sont pas davantage
passées. Donc, c’est cette recherche-là, une recherche très consensuelle,
une recherche voulue d’ailleurs aussi par la population, par le peuple algérien, de
vérité et de justice qui guident les familles des moines de Thibirine pour aller vers
la paix, la réconciliation, tout ce que prônaient les moines …c’est ce message essentiel
qui subsiste. Comme le dit très bien le Père Veilleux qui était le numéro deux de
l’ordre des cisterciens au moment de l’enlèvement et qui est allé à Alger à ce moment-là
: « Nous ce que nous voulons, c’est pardonner, ce n’est pas la vengeance. Mais pour
pardonner, encore faut-il savoir à qui nous devons pardonner ». Et aujourd’hui, il
y a trop d’incertitudes à cet égard, nous voulons donc aller vers la vérité dans un
esprit de pacification et dans un esprit de réelle concorde.