Entretien - Avec une histoire de près de dix siècles, l’Ordre souverain de
Malte est le plus vieil ordre religieux hospitalier laïc de l’Eglise catholique. Fort
de 13 500 chevaliers et dames, de 25 000 salariés et de 80 000 bénévoles, l’Ordre
fournit une assistance médicale et humanitaire dans plus de 120 pays. Apolitique et
neutre, il entretient des relations diplomatiques avec 104 Etats.
Au Liban,
l’Ordre de Malte compte 50 chevaliers, 127 médecins, 50 paramédicaux et 76 personnes
travaillant pour l’administration de l’organisation. L’Ordre a créé et gère sur place
une dizaine de centres médicaux-sociaux dont trois unités médicales mobiles (depuis
2006), plusieurs centres pour le troisième âge et un centre spécialisé pour les enfants
atteints d’infirmité motrice cérébrale. Ces centres sont installés dans des zones
pauvres ou dans des zones qui menaçaient d’être abandonnées des chrétiens. Chaque
année, 200 000 actes médicaux sont effectués et 32 124 repas sont servis aux personnes
âgées libanaises.
Protection de la foi et service des plus faibles
Ouverts
à tous, les centres médico-sociaux (Yaroun, Siddikine, Roum ou Barqa) accueillent,
sur l’ensemble du territoire, « les pauvres et les malades » qui peuvent y recevoir
des soins extrêmement variés (dentition, maternité, problèmes cardiovasculaires) pour
des sommes de « 30 à 45% moins chères que le plus bas tarif de la sécurité sociale
libanaise », assure le président de l’Ordre de malte au Liban, Marwan Sehnaoui. «
Dans nos centres, tout le monde paie, même un centime, poursuit-il. Il faut distinguer
pitié et dignité ». Particularité : le centre de Siddikine est le fruit d’une
collaboration entre l’Ordre et la fondation chiite Sadr. « Vous y voyez des infirmières
portant le voile et la Croix de l’O. C’est formidable ! », relate Marwan Sehnaoui.
Au
Liban, les personnes âgées, a fortiori dans les zones les plus reculées, sont souvent
délaissées par les plus jeunes de leurs familles qui ont émigré ou sont partis vivre
en ville. Pour cette raison, l’Ordre a décidé d’ouvrir trois centres pour le troisième
âge et six « warms homes ». Chaque jour, un bus vient chercher chez elles, les personnes
qui fréquentent les centres. Elles y sont « nourries, soignées, coiffées ou peuvent
faire de la gymnastique ». Quant aux « warms homes », ce sont des espaces de vie dans
les villages « où les personnes âgées peuvent par exemple danser ou jouer au Backgammon
», raconte Marwan Sehnaoui.
Bhannes, un centre pionnier pour les enfants
handicapés
A Bhannes, au centre du pays, une centaine d’enfants de 2 à
15 ans sont pris en charge, pour 50 d’entre eux en interne par une soixantaine d’adultes,
afin qu’ils puissent un jour être réinsérés dans la société. « Unique en son genre
au Moyen-Orient », une piscine a été spécialement construite pour ces enfants afin
qu’ils bénéficient de la balnéothérapie.
La devise de l’Ordre « je ne te demande
ni ta race, ni ta couleur, ni ta religion mais dis-moi quelle est ta souffrance »
est prophétique au Liban où 18 communautés religieuses vivent côte à côte dans la
paix. Sur place, l’Ordre cherche au quotidien à promouvoir « l’unité dans l’amour
» et à faire en sorte que « la dignité de l’homme, dans sa diversité » soit respectée.
Marwan Sehnaoui est le président de l’association libanaise des chevaliers
de l’ordre. Il est interrogé par Marie Duhamel
Nous
aidons toute personne qui souffre, qui a besoin d’assistance, nous sommes à ses côtés.
Nous aidons, comme nous le disons dans l’ordre, nos seigneurs parce que nous ne pensons
pas faire la charité. Nous pensons que nous partageons de l’amour et souvent, ceux
qui sont en souffrance, ont bien plus d’amour à donner que nous en avons nous-mêmes
à leur donner. Nous nous occupons de nos seigneurs, les pauvres et les malades mais
aussi de ceux que l’on dit « handicapés », des personnes du troisième âge, de ceux
qui sont abandonnés. Nous ne faisons aucune distinction puisque notre devise est «
je ne te demande ni ta race, ni ta couleur, ni ta religion mais dis-moi quelle est
ta souffrance ». Et donc, nous nous occupons sur l’ensemble du territoire libanais
de toutes les communautés, toutes confessions confondues : quelle soit islamique ou
qu’elle soit chrétienne, nous n’avons pas de différences.
Vous
avez une bonne dizaine de centres médicaux. Comment est-ce que vous avez choisi d’implanter
ces centres ? Est-ce que c’était à la demande de personnes ou c’est vous qui avez
choisi dans des zones particulières du Liban ?
Toute l’œuvre de l’ordre
au Liban, tristement et de façon bénéfique, s’est construite pendant la période de
guerre. Et donc, nous avons toujours implanté nos centres au fil de la souffrance
humaine, au fil de ses besoins qui se situaient, en général, dans des zones qui étaient
pauvres, sinistrées, abandonnées, sans secours mais aussi dans des zones où les chrétiens
étaient en voie de disparaître puisqu’ ils étaient minoritaires dans des zones où
ils se sentaient en danger. Ils étaient sur le point de quitter la zone et on leur
a dit non, il ne faut pas partir.
Un exemple…
Barka,
dans Hermel, au cœur de la Bekaa, où à la suite de l’assassinat sauvage d’un père
jésuite hollandais, toute une communauté, prise de crainte, était sur le départ. En
85, l’ordre a immédiatement construit son centre. Aujourd’hui, c’est une communauté
totalement co-existentielle, construite autour du vrai ciment qui est l’amour. L’ordre,
c’est la dignité de l’homme dans le respect de ses différences.
Vous
insistez beaucoup sur la coexistence, vous travaillez avec une fondation chiite. En
quoi consiste ce travail ensemble et est-ce que vous travaillez uniquement avec cette
fondation chiite ?
Vivre ensemble, ce n’est pas dire que l’on peut vivre
ensemble et ce n’est pas vivre côte à côte, en parallèle. Vivre ensemble c’est, au
travers d’actions communes, savoir que l’on peut s’aimer. Et l’ordre, construit avec
chrétiens et non-chrétiens, est cette relation qui crée un lien qui lui-même permet
de croire qu’il y a une espérance pour demain. Et donc, c’est essentiel. Tout le monde
est très enthousiaste à propos de ces relations qui sont appelées à se développer.
Mais
alors concrètement, comment s’exprime ce dialogue de vie, à la fois avec les sunnites
et les chiites ?
Ils s’expriment de manière toute à fait naturelle.
Ensemble, dans les centres, il y a une action conjointe, non seulement au niveau des
opérations mais aussi au niveau de la population qui vient se faire soigner puisque
50% de la population est chrétienne et que les autres 50% sont des non-chrétiens.
Pour le Ramadan, vous avez été sollicité…
Oui, c’est
cette belle histoire de la confiance établie avec le principal centre religieux sunnite
au Liban qui est Dar El Fatwa. Nous participons avec eux pour créer la page sanitaire
de ce calendrier du jeune. Ce qui montre que, quelque part, lorsque l’on
dépasse l’instrumentalisation politique des religions, l’amour peut faire le reste.
Et comme la croix de l’ordre est apolitique, elle a réussi depuis 1975 à créer une
telle confiance, qu’elle devient une unité de coexistence, de conciliation, d’espérance
et de paix.
Avec le conflit syrien, il y a une présence des fondamentalistes
-qui ne sont d’ailleurs pas toujours syriens- qui augmentent. Est-ce que l’ordre a
été attaqué d’une manière ou d’une autre au Liban ?
Grace à Dieu, non.
Mais si jamais cela devait se produire, nous ne mettons pas de boucliers et nous ne
sortons pas d’épées. Tout simplement, nous sommes ce que nous sommes, avec notre capacité
d’aimer, de servir et nous ne craignons rien à cet effet.
Vous
venez en aide à des réfugiés syriens depuis plusieurs mois maintenant (Nldr : 20 000
Syriens reçoivent de l’aide chaque jour dans les centres de Kefraya et Khaldieh).
Est-ce que vous pouvez m’expliquer en quoi consiste cette aide ?
Vous
savez, ces réfugiés syriens qui ont quitté leur pays par désespoir ne sont pas dans
des camps. Le Liban n’a pas de camps. Ils sont donc disséminés en fonction des territoires.
Et comme nos centres, certains d’entre eux se trouvent dans la zone où il y a cette
dissémination des réfugiés syriens. Dans ce cas, nous avons pour eux l’accessibilité
totale dans nos centres et des soins gratuits et d’autre part, nous avons également
des distributions : des lots dans lesquels se trouvent un minima, les besoins mensuels
d’une famille pour tout ce qui touche l’enfant, les matières premières nutritives
ou les médicaments de première nécessité afin qu’ils puissent traverser cette période
compliquée. Il faut quand même remarquer que l’ordre, au-delà du travail qu’il continue
à faire et qui est permanent par rapport à son action sur le territoire libanais ,
accueille le réfugié syrien dans toutes ses capacités.
Ce n’est pas
difficile justement de concilier à la fois la souffrance des Libanais, l’ordre à la
vocation de soigner, d’aider ou d’accompagner et la souffrance des réfugiés syriens.
Il n’y a pas parfois des antagonismes ou des difficultés ?
Il y a de
grandes difficultés à le faire mais notre travail à nous, c’est peut-être précisément
de toujours essayer de faire comprendre ces antagonismes qui sont humains. On ne peut
pas reprocher à quelqu’un qui a faim, libanais, de ne pas comprendre pourquoi, son
frère, réfugié syrien qui a aussi faim, est servi en premier. C’est tout à fait normal,
mais nous opérons une psychologie d’amour et de conciliation qui fait également partie
de notre travail.
Vous gérez l’ordre de Malte au Liban depuis maintenant
plusieurs années. Comme on parle de crise en Europe, est-ce que vous avez vu des évolutions
au sein de la population libanaise, des gens que vous aidez plus aujourd’hui que par
le passé ?
Au Liban, depuis le début jusqu’à aujourd’hui, l’esprit de
l’ordre ne s’est pas modifié. Et que les populations soient plus ou moins en détresse,
ils ont toujours cette même image de l’ordre vers lequel ils reviennent toujours et
sans cesse, sachant que n’importe quelle évolution sociale ou économique ou politique
ne saurait en rien modifier l’accueil et l’approche de l’ordre de Malte.
Ça
vous créé plus ou moins de choses à faire ?
Nous avons beaucoup plus
de choses à faire et on est toujours insatisfait quand on a un cœur ouvert parce qu’
il y a tellement de choses à faire et on ne peut pas toujours tout faire. Mais, grâce
à Dieu, nous arrivons toujours à aller plus loin dans la qualité, la quantité et la
nature de l’action que nous offrons à la société libanaise.
Si vous
le pouviez, il y aurait quelque chose que vous auriez envie de faire maintenant ?
Il
y a beaucoup de choses que nous aimerions faire si nous le pouvions. L’idée ne consiste
pas à faire des choses qui disparaissent demain mais consiste à faire en sorte que
cela devienne une action pérenne pour les générations à venir.