2013-11-25 12:49:11

L'Ordre de Malte au Liban, au service de tous


Entretien - Avec une histoire de près de dix siècles, l’Ordre souverain de Malte est le plus vieil ordre religieux hospitalier laïc de l’Eglise catholique. Fort de 13 500 chevaliers et dames, de 25 000 salariés et de 80 000 bénévoles, l’Ordre fournit une assistance médicale et humanitaire dans plus de 120 pays. Apolitique et neutre, il entretient des relations diplomatiques avec 104 Etats.

Au Liban, l’Ordre de Malte compte 50 chevaliers, 127 médecins, 50 paramédicaux et 76 personnes travaillant pour l’administration de l’organisation. L’Ordre a créé et gère sur place une dizaine de centres médicaux-sociaux dont trois unités médicales mobiles (depuis 2006), plusieurs centres pour le troisième âge et un centre spécialisé pour les enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale. Ces centres sont installés dans des zones pauvres ou dans des zones qui menaçaient d’être abandonnées des chrétiens. Chaque année, 200 000 actes médicaux sont effectués et 32 124 repas sont servis aux personnes âgées libanaises.

Protection de la foi et service des plus faibles

Ouverts à tous, les centres médico-sociaux (Yaroun, Siddikine, Roum ou Barqa) accueillent, sur l’ensemble du territoire, « les pauvres et les malades » qui peuvent y recevoir des soins extrêmement variés (dentition, maternité, problèmes cardiovasculaires) pour des sommes de « 30 à 45% moins chères que le plus bas tarif de la sécurité sociale libanaise », assure le président de l’Ordre de malte au Liban, Marwan Sehnaoui. « Dans nos centres, tout le monde paie, même un centime, poursuit-il. Il faut distinguer pitié et dignité ».
Particularité : le centre de Siddikine est le fruit d’une collaboration entre l’Ordre et la fondation chiite Sadr. « Vous y voyez des infirmières portant le voile et la Croix de l’O. C’est formidable ! », relate Marwan Sehnaoui.

Au Liban, les personnes âgées, a fortiori dans les zones les plus reculées, sont souvent délaissées par les plus jeunes de leurs familles qui ont émigré ou sont partis vivre en ville. Pour cette raison, l’Ordre a décidé d’ouvrir trois centres pour le troisième âge et six « warms homes ». Chaque jour, un bus vient chercher chez elles, les personnes qui fréquentent les centres. Elles y sont « nourries, soignées, coiffées ou peuvent faire de la gymnastique ». Quant aux « warms homes », ce sont des espaces de vie dans les villages « où les personnes âgées peuvent par exemple danser ou jouer au Backgammon », raconte Marwan Sehnaoui.

Bhannes, un centre pionnier pour les enfants handicapés

A Bhannes, au centre du pays, une centaine d’enfants de 2 à 15 ans sont pris en charge, pour 50 d’entre eux en interne par une soixantaine d’adultes, afin qu’ils puissent un jour être réinsérés dans la société. « Unique en son genre au Moyen-Orient », une piscine a été spécialement construite pour ces enfants afin qu’ils bénéficient de la balnéothérapie.

La devise de l’Ordre « je ne te demande ni ta race, ni ta couleur, ni ta religion mais dis-moi quelle est ta souffrance » est prophétique au Liban où 18 communautés religieuses vivent côte à côte dans la paix. Sur place, l’Ordre cherche au quotidien à promouvoir « l’unité dans l’amour » et à faire en sorte que « la dignité de l’homme, dans sa diversité » soit respectée.

Marwan Sehnaoui est le président de l’association libanaise des chevaliers de l’ordre. Il est interrogé par Marie Duhamel RealAudioMP3

Nous aidons toute personne qui souffre, qui a besoin d’assistance, nous sommes à ses côtés. Nous aidons, comme nous le disons dans l’ordre, nos seigneurs parce que nous ne pensons pas faire la charité. Nous pensons que nous partageons de l’amour et souvent, ceux qui sont en souffrance, ont bien plus d’amour à donner que nous en avons nous-mêmes à leur donner. Nous nous occupons de nos seigneurs, les pauvres et les malades mais aussi de ceux que l’on dit « handicapés », des personnes du troisième âge, de ceux qui sont abandonnés. Nous ne faisons aucune distinction puisque notre devise est « je ne te demande ni ta race, ni ta couleur, ni ta religion mais dis-moi quelle est ta souffrance ». Et donc, nous nous occupons sur l’ensemble du territoire libanais de toutes les communautés, toutes confessions confondues : quelle soit islamique ou qu’elle soit chrétienne, nous n’avons pas de différences.


Vous avez une bonne dizaine de centres médicaux. Comment est-ce que vous avez choisi d’implanter ces centres ? Est-ce que c’était à la demande de personnes ou c’est vous qui avez choisi dans des zones particulières du Liban ?

Toute l’œuvre de l’ordre au Liban, tristement et de façon bénéfique, s’est construite pendant la période de guerre. Et donc, nous avons toujours implanté nos centres au fil de la souffrance humaine, au fil de ses besoins qui se situaient, en général, dans des zones qui étaient pauvres, sinistrées, abandonnées, sans secours mais aussi dans des zones où les chrétiens étaient en voie de disparaître puisqu’ ils étaient minoritaires dans des zones où ils se sentaient en danger. Ils étaient sur le point de quitter la zone et on leur a dit non, il ne faut pas partir.


Un exemple…

Barka, dans Hermel, au cœur de la Bekaa, où à la suite de l’assassinat sauvage d’un père jésuite hollandais, toute une communauté, prise de crainte, était sur le départ. En 85, l’ordre a immédiatement construit son centre. Aujourd’hui, c’est une communauté totalement co-existentielle, construite autour du vrai ciment qui est l’amour. L’ordre, c’est la dignité de l’homme dans le respect de ses différences.


Vous insistez beaucoup sur la coexistence, vous travaillez avec une fondation chiite. En quoi consiste ce travail ensemble et est-ce que vous travaillez uniquement avec cette fondation chiite ?

Vivre ensemble, ce n’est pas dire que l’on peut vivre ensemble et ce n’est pas vivre côte à côte, en parallèle. Vivre ensemble c’est, au travers d’actions communes, savoir que l’on peut s’aimer. Et l’ordre, construit avec chrétiens et non-chrétiens, est cette relation qui crée un lien qui lui-même permet de croire qu’il y a une espérance pour demain. Et donc, c’est essentiel. Tout le monde est très enthousiaste à propos de ces relations qui sont appelées à se développer.


Mais alors concrètement, comment s’exprime ce dialogue de vie, à la fois avec les sunnites et les chiites ?

Ils s’expriment de manière toute à fait naturelle. Ensemble, dans les centres, il y a une action conjointe, non seulement au niveau des opérations mais aussi au niveau de la population qui vient se faire soigner puisque 50% de la population est chrétienne et que les autres 50% sont des non-chrétiens.


Pour le Ramadan, vous avez été sollicité…

Oui, c’est cette belle histoire de la confiance établie avec le principal centre religieux sunnite au Liban qui est Dar El Fatwa. Nous participons avec eux pour créer la page sanitaire de ce calendrier du jeune.
Ce qui montre que, quelque part, lorsque l’on dépasse l’instrumentalisation politique des religions, l’amour peut faire le reste. Et comme la croix de l’ordre est apolitique, elle a réussi depuis 1975 à créer une telle confiance, qu’elle devient une unité de coexistence, de conciliation, d’espérance et de paix.


Avec le conflit syrien, il y a une présence des fondamentalistes -qui ne sont d’ailleurs pas toujours syriens- qui augmentent. Est-ce que l’ordre a été attaqué d’une manière ou d’une autre au Liban ?

Grace à Dieu, non. Mais si jamais cela devait se produire, nous ne mettons pas de boucliers et nous ne sortons pas d’épées. Tout simplement, nous sommes ce que nous sommes, avec notre capacité d’aimer, de servir et nous ne craignons rien à cet effet.


Vous venez en aide à des réfugiés syriens depuis plusieurs mois maintenant (Nldr : 20 000 Syriens reçoivent de l’aide chaque jour dans les centres de Kefraya et Khaldieh). Est-ce que vous pouvez m’expliquer en quoi consiste cette aide ?

Vous savez, ces réfugiés syriens qui ont quitté leur pays par désespoir ne sont pas dans des camps. Le Liban n’a pas de camps. Ils sont donc disséminés en fonction des territoires. Et comme nos centres, certains d’entre eux se trouvent dans la zone où il y a cette dissémination des réfugiés syriens. Dans ce cas, nous avons pour eux l’accessibilité totale dans nos centres et des soins gratuits et d’autre part, nous avons également des distributions : des lots dans lesquels se trouvent un minima, les besoins mensuels d’une famille pour tout ce qui touche l’enfant, les matières premières nutritives ou les médicaments de première nécessité afin qu’ils puissent traverser cette période compliquée. Il faut quand même remarquer que l’ordre, au-delà du travail qu’il continue à faire et qui est permanent par rapport à son action sur le territoire libanais , accueille le réfugié syrien dans toutes ses capacités.

Ce n’est pas difficile justement de concilier à la fois la souffrance des Libanais, l’ordre à la vocation de soigner, d’aider ou d’accompagner et la souffrance des réfugiés syriens. Il n’y a pas parfois des antagonismes ou des difficultés ?

Il y a de grandes difficultés à le faire mais notre travail à nous, c’est peut-être précisément de toujours essayer de faire comprendre ces antagonismes qui sont humains. On ne peut pas reprocher à quelqu’un qui a faim, libanais, de ne pas comprendre pourquoi, son frère, réfugié syrien qui a aussi faim, est servi en premier. C’est tout à fait normal, mais nous opérons une psychologie d’amour et de conciliation qui fait également partie de notre travail.


Vous gérez l’ordre de Malte au Liban depuis maintenant plusieurs années. Comme on parle de crise en Europe, est-ce que vous avez vu des évolutions au sein de la population libanaise, des gens que vous aidez plus aujourd’hui que par le passé ?

Au Liban, depuis le début jusqu’à aujourd’hui, l’esprit de l’ordre ne s’est pas modifié. Et que les populations soient plus ou moins en détresse, ils ont toujours cette même image de l’ordre vers lequel ils reviennent toujours et sans cesse, sachant que n’importe quelle évolution sociale ou économique ou politique ne saurait en rien modifier l’accueil et l’approche de l’ordre de Malte.


Ça vous créé plus ou moins de choses à faire ?

Nous avons beaucoup plus de choses à faire et on est toujours insatisfait quand on a un cœur ouvert parce qu’ il y a tellement de choses à faire et on ne peut pas toujours tout faire. Mais, grâce à Dieu, nous arrivons toujours à aller plus loin dans la qualité, la quantité et la nature de l’action que nous offrons à la société libanaise.

Si vous le pouviez, il y aurait quelque chose que vous auriez envie de faire maintenant ?

Il y a beaucoup de choses que nous aimerions faire si nous le pouvions. L’idée ne consiste pas à faire des choses qui disparaissent demain mais consiste à faire en sorte que cela devienne une action pérenne pour les générations à venir.



Photo : Ordre de Malte aidant des enfants syriens










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