Au Srilanka, l'Eglise dénonce la situation des tamouls
Fin de semaine dernière, Mgr Rayappu Joseph, évêque du diocèse catholique de Mannar,
a appelé la communauté internationale à boycotter la réunion des chefs de gouvernement
du Commonwealth, qui se tiendra à Colombo du 15 au 17 novembre prochains. « Ce sommet
est utilisé pour renforcer la légitimité du gouvernement sri-lankais comme membre
responsable de la communauté internationale », explique Mgr Joseph, évêque d’un diocèse
situé dans la région Nord du pays, en zone majoritairement peuplée par des Tamouls.
Il poursuit en ces termes : « Etant donné la continuation des actes génocidaires
perpétrés contre le peuple tamoul, mon opinion bien réfléchie est que Colombo ne peut
pas être un lieu approprié pour accueillir le sommet. J’estime de plus que la tenue
de ce sommet à Colombo contrevient aux valeurs inscrites dans la Charte du Commonwealth.
» Il conclut en écrivant qu’il soutient l’invitation faite par le ministre-président
de la région Nord, C. V. Wigneswaran, au Premier ministre indien, de se rendre en
visite dans les régions tamoules du Sri Lanka, mais en précisant que cela ne doit
pas « être interprété comme une invitation au Premier ministre indien à participer
au sommet du Commonwealth ».
L’appel au boycott de l’évêque catholique fait
suite à la publication d’un rapport, le 18 octobre dernier, de la Commission ‘Justice
et Paix’ du diocèse de Jaffna, également situé en région majoritairement tamoule,
qui détaillait les très nombreuses atteintes aux droits de l’homme commises à l’encontre
des Tamouls et dénonçait la politique menée par Colombo dans les régions tamoules.
Des
voix s'élèvent pour dénoncer la politique menée contre les tamouls
Ces
prises de position des diocèses tamouls de l’Eglise catholique au Sri Lanka interviennent
alors que le climat se tend à l’approche du sommet du Commonwealth à Colombo. Une
délégation londonienne de l’IBAHRI (International Bar Association’s Human Rights Institute),
qui devait prendre part à un colloque organisé dans la capitale sri-lankaise sur le
thème : « Making Commonwealth Values a Reality : the Rule of Law and the Independence
of the Legal Profession », s’est vue signifiée, le 6 novembre, l’annulation des visas
que ses membres avaient pourtant reçus en août dernier.
Au sein même des 53
membres du Commonwealth, les tensions sont fortes. Le 7 octobre, Stephen Harper, Premier
ministre du Canada, a annoncé qu’il ne participerait pas au sommet de Colombo pour
protester contre l’inaction des autorités locales face aux violations des droits de
l’homme. Deux jours plus tard, le ministre sri-lankais des Affaires étrangères, G.
L. Peiris, jugeait « hors de propos » la déclaration canadienne et affirmait que le
Commonwealth « n’était pas un forum où pouvait se faire le procès des problèmes des
autres ».
L’Inde quant à elle n’a toujours pas décidé si elle serait représentée
au sommet du Commonwealth par son Premier ministre Manmohan Singh. New Delhi se trouve
sous la pression notamment des partis politiques du Tamil Nadu, qui demandent le boycott
du sommet. Ailleurs, sur la scène internationale, des personnalités comme Mgr Desmond
Tutu ou des organisations comme Amnesty International font campagne en faveur du boycott
pour, expliquent-elles, sanctionner un bilan désastreux en matière de respect des
droits de l’homme, y compris depuis la fin des hostilités armées.
La guerre
est finie, mais rien n'est réglé
Depuis la fin de la guerre en 2009 et
l’écrasement par les forces armées de Colombo des Tigres tamouls, les armes se sont
effectivement tues dans l’île, marquant la fin d’un conflit armé de près de 30 ans
et qui a fait environ 100 000 morts, dont plusieurs dizaines de milliers dans ses
derniers mois. Mais la défiance qui existe entre la minorité tamoule et les forces
de sécurité gouvernementales ne s’est absolument pas amoindrie. Au contraire, le refus
du président Mahinda Rajapaksa de permettre des enquêtes indépendantes et crédibles
sur les crimes de guerre commis durant le conflit ne fait qu’exacerber le ressentiment
des populations tamoules du nord de l’île.
« Après la guerre, les attentes
vis-à-vis du gouvernement étaient très fortes. Les gens attendaient que le retour
à la paix débouche sur la réconciliation. Mais ces attentes ont été déçues. On ne
voit aucun signe de réconciliation », explique le P. Regno, directeur de HUDEC Jaffna,
le bureau d’action sociale du diocèse catholique de Jaffna.
Selon lui, la politique
de développement économique mise en place au profit des régions qui ont été le théâtre
des combats est « une façade ». L’injonction du gouvernement « Road to reconciliation
» est prise au pied de la lettre, ironise même le prêtre, qui dénonce des investissements
tournés exclusivement vers la réfection des routes tout en faisant l’impasse sur la
demande des Tamouls pour l’autonomie et la reconnaissance des crimes commis.
L'armée
toujours très présente, la police aussi
Pour qui circule aujourd’hui dans
la région de Vanni, zone peu peuplée qui longtemps fut le bastion des Tigres tamouls,
le changement est visible : des agences bancaires ouvrent, des commerces apparaissent,
des panneaux publicitaires pour téléphone portable surgissent. Mais les Tamouls de
la région Nord ressentent mal le fait que l’armée soit toujours aussi omniprésente,
que des Cinghalais montent du Sud pour occuper les emplois qualifiés, que les formulaires
de l’administration ne soient pas bilingues ou bien encore que les très nombreux terrains
autrefois saisis pour « impératif de sécurité » ne soient pas rendus à leurs propriétaires,
souligne le P. Regno.
Plus encore, le harcèlement policier et les violations
des droits de l’homme continuent. « Il ne suffit pas d’avoir du riz et du curry, précise
Eran Wickramartne, député cinghalais appartenant à l’UNP (United National Party),
parti de l’opposition au Parlement. Il faudrait que les idées, les propositions, la
langue, la culture, la dignité de l’autre soient respectées. Or je pense que le gouvernement
n’est pas prêt à cela. »
« La population est toujours traitée avec suspicion
», ajoute Paikiasothy Saravanamuttu, directeur du Center for Policy Alternatives à
Colombo. Les gens doivent informer les militaires lorsqu’ils organisent une sortie
scolaire ou un événement sportif. Chaque regroupement de personnes est « a priori
suspect » et, dans la pratique, tout rassemblement de plus de cinq personnes est interdit,
sauf à ce qu’il se déroule en présence d’un militaire, ajoute ce chercheur.
Quant
à ceux des Tamouls qui sont soupçonnés d’avoir appartenu aux Tigres ou d’avoir entretenu
des liens avec le LTTE, la surveillance de l’armée est constante. Des cas de disparition
ont été documentés par les organisations de défense des droits de l’homme. Il est
aussi rapporté que les femmes sont la cible de viols à l’occasion des contrôles de
police ou de l’armée.
Quelles conditions pour une vraie normalisation ?
Sans
solution politique comprenant de véritables mesures d’autonomie pour les régions du
Nord et de l’Est à dominante tamoule, la paix ne sera pas durable, soulignent nombre
d’observateurs indépendants. Sous les pressions de la communauté internationale, Colombo
a bien accepté que, le 21 septembre dernier, se tiennent les élections pour le Conseil
du Nord. Et, en dépit des multiples intimidations du pouvoir central, le parti tamoul,
la Tamil National Alliance, a raflé 30 des 38 sièges en jeu, mais les discussions
autour du 13ème amendement, qui permettrait de donner de réels pouvoirs aux conseils
régionaux, n’aboutissent pas. « Tout doit être approuvé par le gouverneur », explique
Thevanayagam Premanand, directeur du journal tamoul Udthayan à Jaffna. « Sans le blanc-seing
du gouverneur, [le Conseil du Nord] ne peut pas voter de loi », précise-t-il.
Colombo
ne montre aucun signe indiquant qu’il serait prêt à accepter un certain degré de décentralisation
du pouvoir. « Ils pensent que si vous donnez au Nord des pouvoirs de police ou un
contrôle sur les terres, ils [les Tamouls] vont s’enfuir avec ! », explique Paikiasothy
Saravanamuttu, du Center for Policy Alternatives. Le pouvoir central n’a qu’un seul
objectif : renforcer son autorité pour se garantir le soutien de la population cinghalaise
et bouddhiste, poursuit encore ce chercheur. Dans ce contexte, la tenue du sommet
du Commonwealth à Colombo, même si elle redonne une visibilité à ceux qui dénoncent
le refus du pouvoir en place de reconnaître sa responsabilité dans les abus commis
durant la guerre et depuis, constitue en soi un succès pour le président Rajapaksa.
Pour
le P. Regno, les Tamouls ont peu de raison aujourd’hui de se montrer optimistes. «
Sans une solution politique, nous n’avons pas d’avenir », conclut-il. (Eglises d'Asie)
(Photo:
des ouvriers peignent les drapeaux des pays participant au sommet du Commonwealth
à Colombo)