Les journalistes français de RFI assassinés « froidement » au Mali
Les deux journalistes français de Radio France internationale enlevés et tués samedi
au Mali ont « été assassinés froidement » par balles, par des « groupes terroristes
», selon Paris, mais les interrogations demeurent sur les causes et circonstances
de ces meurtres.
Ghislaine Dupont et Claude Verlon « ont été assassinés froidement.
L'un a reçu deux balles, l'autre trois balles », a déclaré dimanche le ministre français
des Affaires étrangères Laurent Fabius, à l'issue d'une réunion de crise à l'Elysée.
Il a indiqué que les deux journalistes avaient été enlevés « par un petit commando
» devant le domicile d'un responsable touareg qu'ils venaient d'interviewer. Leurs
corps ont ensuite été retrouvés, moins de deux heures après le rapt, à 12 km de Kidal,
par une patrouille française qui avait été alertée. Leur corps a été ramené à Bamako
dimanche soir.
Ils devaient être acheminés dimanche à Bamako par l'armée française.
Selon la direction de RFI, dont une délégation était attendue au Mali, ils seront
rapatriés « au plus tôt lundi » en France où ils seront ensuite autopsiés.
«
Les assassins, ce sont ceux que nous combattons, c'est-à-dire les groupes terroristes
qui refusent la démocratie et qui refusent les élections », a martelé Laurent Fabius
avant d'annoncer que « la sécurisation de l'ensemble de la zone et des zones voisines
» allait être « accrue », mais sans fournir de détails. De source gouvernementale,
il s'agirait de rendre la présence française « plus visible » dans l'extrême-nord
du Mali.
Près d'un an après le début en janvier 2013 de l'intervention française
pour chasser les groupes islamistes qui occupaient le nord du pays, il reste quelque
3000 soldats français au Mali, dont 200 militaires français à Kidal, stationnés sur
l'aéroport. Le nord du Mali reste cependant très instable, et attentats et attaques
islamistes se multiplient à l'approche des élections législatives, dont le premier
tour est prévu le 24 novembre.
La situation est particulièrement dangereuse
à Kidal, qui échappe au contrôle de Bamako et est sous la coupe de groupes rivaux
touareg, malgré la présence française et de la Minusma, la force de maintien de la
paix de l'ONU au Mali. « Le contingent de la Minusma qui est là-bas est plus ou moins
cantonné, et Serval (la force française, ndlr) ne dispose pas des effectifs pour sécuriser
la ville », a résumé dimanche sur France 24 le ministre malien de la Défense Soumeilou
Boubeye Maïga.
Zones d'ombre
De nombreuses questions demeuraient
sur les causes et les circonstances de l'assassinat des journalistes, deux professionnels
aguerris, enlevés en plein jour et assassinés « de façon odieuse », a répété Laurent
Fabius devant la rédaction endeuillée de RFI. « Ni Ghislaine ni Claude n'étaient des
têtes brûlées, ils n'ont pris aucun risque inconsidéré », a assuré Marie-Christine
Saragosse, PDG de France Médias Monde qui inclut RFI.
En premier lieu, l'identité
des ravisseurs restait inconnue. Selon le témoignage d'Ambéry Ag Rhissa, le représentant
du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA, rébellion touareg) que les
journalistes venaient d'interviewer et qui a assisté à l'enlèvement, les agresseurs
parlaient tamachek, la langue des Touareg.
Kidal est le berceau de la communauté
touareg et du MNLA, organisation qui a condamné les crimes et promis de « tout mettre
en œuvre pour identifier les coupables ». Mais comme tous les groupes dans la région
depuis l'intervention française, le MNLA est aujourd'hui « parcellisé et divisé »,
note le député socialiste François Loncle, auteur d'un rapport parlementaire sur le
Sahel. « Il y a notamment ceux qui acceptent le dialogue avec le sud (du Mali), et
les jusqu'aux-boutistes » qui le refusent, ajoute-t-il.
La piste d'Al-Qaïda
au Maghreb islamique (Aqmi), très présente dans la région malgré les troupes françaises,
reste cependant « la plus probable », estime Pierre Boilley, directeur du Centre d'études
des Mondes africains (CEMAF), qui ne voit « aucun intérêt » pour le MNLA à enlever
ou tuer des journalistes français.
Les meurtres de Ghislaine Dupont et de Claude
Verlon sont intervenus quatre jours après la libération de quatre otages français,
détenus par Aqmi pendant plus de trois ans dans la région. La presse française
évoquait dimanche l'hypothèse d'un différend financier entre groupes armés autour
de la rançon qui aurait été versée -20 millions d'euros selon certaines sources- pour
obtenir la libération des quatre otages français.
« Est-ce que la répartition
des rançons versées a été équitable ? Il n'est pas impossible que certains au sein
d'Aqmi se soient sentis grugés », a déclaré à l'AFP l'anthropologue André Bourgeot,
spécialiste des mouvements touaregs dans la région.
Autre hypothèse : les journalistes
enlevés ont-ils pu être exécutés alors que les ravisseurs tentaient d'échapper à leurs
poursuivants ? Selon le porte-parole de l'état-major français, le colonel Gilles Jaron,
les forces françaises basées à l'aéroport de Kidal, alertées de l'enlèvement, ont
envoyé une patrouille et deux hélicoptères sur zone, mais ont découvert les corps
des deux journalistes sans avoir vu ou affronté les meurtriers.