L’Eglise catholique d’Amazonie s'est réunie pour la première fois à Manaus, capitale
de l’Etat d’Amazonas, dans le nord-ouest du Brésil, jusqu’au 31 octobre ; une rencontre
d'autant plus historique qu'elle intervient dans le cadre des 400 ans de l'évangélisation
de l'Amazonie. Evêques, laïcs, agents de pastorale, et responsables d’institutions
débattaient ensemble des réalités politiques, économiques, culturelles et religieuses
qu’ils vivent, et réfléchissaient sur les réponses à apporter aux défis sociaux et
environnementaux de la région. « L’Amazonie est un test décisif, un banc d’essai pour
l’Eglise et la société brésiliennes », avait déclaré le pape François aux évêques
brésiliens lors des JMJ de Rio, en juillet dernier. L’engagement de l’Eglise pour
l’Amazonie est donc crucial. « Il faut oser, aller de l'avant. Car si nous n'osons
pas, nous nous trompons », ce sont les mots du Cardinal Claudio Hummes, président
de la commission épiscopale pour l’Amazonie, à l’occasion de l’ouverture de cette
rencontre à Manaus. Le père Jacques Hahusseau, prêtre du diocèse de Cahors, est
missionnaire depuis 6 ans à Boa Vista, au Brésil. Ecoutez son témoignage
L’histoire
est dominée par une colonisation qui a beaucoup marqué l’histoire de ces pays. C’est
un peu comme des clivages entre des populations minoritaires qui se sont développées
dans la richesse et d’autres qui se sont développées dans le sous-développement et
l’exploitation. L’Amazone jusque-là était une région relativement tranquille même
s’il y avait déjà des forces qui pénétraient dans ces régions, mais on n’en parlait
pas beaucoup. Au Brésil, on parle de Rio, de San Paolo, des pôles de développement.
Mais ce pôle de développement aujourd’hui dans l’évolution du monde global atteint
l’Amazone. Pourquoi ? Parce qu’il y a ici de la vie, des potentialités énormes.
Ils sont en train de déstabiliser des peuples auxquels l’Église donne toute son attention
depuis longtemps. Le Pape attire l’attention sur l’Amazone parce que, et l’Église
le crie depuis une quarantaine d’année :, « attention ! Ici il y a des gens qui sont
menacés dangereusement. »
Des populations menacées par quoi exactement
?
Il y a plusieurs problèmes. Il y a une avancée profonde, rapide, violente
du pouvoir, du capital, des intérêts, des industries qui cherchent tout sur leurs
terres pour en prendre possession et pour y exploiter le bois, l’eau, les minéraux
de pointe que l’on trouve ici dans ces régions et pour faire du tourisme. Ce sont
des terres neuves qui sont soumises à des exploitations-explorations nouvelles. Les
dynamiques, la politique est asservi par l’argent. C’est le pouvoir de l’argent qui
est tyrannique, assassin d’une certaine manière, contre tous les droits qui sont établis,
le droit des hommes, la conception du Brésil… enfin ça passe ou ça casse. C’était
très impressionnant. Tous ceux qui ont gagné de l’argent au Brésil viennent
prendre des terres ici pour planter du soja, qui va ensuite être exporté dans nos
pays pour nourrir nos vaches en Europe, etc…On cherche des minerais de pointe pour
soutenir des industries de pointe en France. Alors évidemment tous ces peuples qui
sont des peuples mal préparés à ça, qui vivent dans une espèce de symbiose fragile
avec la nature. Ils sont pris à l’étouffoir à ce moment-là, ils sont trompés, anéantis,
dégoutés. Aujourd’hui apprendre le dialogue, apprendre le respect de ces peuples qui
est imposé par la loi aussi. Au Brésil, la Constitution de’88 dit que les
peuples indiens ont droit au respect, à leur culture et à leur manière d’être et de
vivre. Alors évidemment, ça a des conséquences politiques énormes. Ils doivent être
respectés : respect à leur terre parce que les indiens vivent avec la terre, la terre
c’est leur mère. Ce n’est pas seulement un lieu d’exploitation pour tirer son sang.
C’est quelque chose de biologique donc logique profond ... Il y a ces industries,
ces grandes sociétés derrière qui détruisent à la fois la terre et ceux qui y vivent.
Je reviens à ce que vous disiez au début de cette interview, cette situation
catastrophique que vous décrivez, l’Église la répercute depuis longtemps. Mais comment
concrètement l’Église peut-elle venir en aide aux populations autochtones ? Comment
peut-elle protéger la biodiversité de toute une région ? C’est ça la grande
question. Comment est-ce qu’elle fait ? En lisant l’Évangile ! Les chrétiens d’ici...
il y a des choix nouveaux qui sont à faire. D’abord, il faut créer des communautés
chrétiennes et l’évêque s’y emploie. On en parle beaucoup ici en Amérique Latine des
communautés ecclésiales à la base, c’est-à-dire des communautés qui sont faites avec
des gens avec leurs soucis, leurs préoccupations, leur volonté de vivre en donnant
le dynamisme de l’Évangile dans le respect des uns des autres, dans la communion fraternelle.
Il y a une lucidité pour voir ce qui est destructeur et ce qui est porteur de vie
et d’avenir avec la force de l’Esprit Saint pour affronter des situations où l’argent
et le pouvoir politique, démentiel et exagéré détermine l’anéantissement d’un certain
nombre de gens. Alors, l’Église elle est appelée à travailler dans ces communautés
où chacun, par son baptême, est appelé à devenir acteur, actif dans cette Église avec
le ministère des prêtres et des évêques. Il y a tout un travail qui se fait ici avec
nos Églises, nos diocèses pour créer une communion et fortifier ces communautés qui
sont soumises, bien sûr, à des difficultés et qui ont besoin d’aide et d’appui. La
parole de Dieu est déterminante dans ces lieux. Chez nous, la dimension prophétique,
c’est-à-dire défendre le peuple, lui donner de la vie, de l’espérance, l’aider à tenir
debout, remettre le peuple sur pied, c’est fondamental.
Parlons maintenant
du clergé local : le Pape François a exprimé le désir que se développe un vrai clergé
autochtone, est-ce que vous pouvez nous en parler ?
On est dans des
pays nouveaux. Moi, je suis un prêtre importé comme bien d’autres avec des religieux,
des religieuses. On contribue à aider ces Églises diocésaines. C’est une Église appelante.
Alors, il y a de gros problèmes. Le premier problème est financier, c’est-à-dire que
pour maintenir une institution similaire, il faut quand même former. Nos Églises appellent
des théologiens, des formateurs pour ce clergé dans ce contexte latino-américain.
Ça demande aussi une certaine part financière. Les Églises s’organisent entre elles
pour soutenir ces lieux de formation qui sont des séminaires, des instituts. Il y
a une espèce d’organisation pour privilégier -on ne peut pas être sur tous les fronts-
mais privilégier la formation. Je suis impressionné, moi, de voir les prêtres jeunes
qui sont des prêtres dynamiques, intelligents. Alors, évidemment il y a tous les cas
de figures. Chacun a un peu sa potentialité. Chacun fait un peu ce qu’il peut avec
ce qu’il a. Il y a une grande importance des prêtres depuis une vingtaine d’années
qui sont des prêtres brésiliens, autochtones -de cette terre- et qui prennent l’Évangile,
leur Église à bras-le-corps. Et on a besoin de les soutenir, de les aider.