L'Europe est-elle assez accueillante pour les réfugiés syriens ?
L’accueil des réfugiés syriens est devenu une charge à la limite du supportable dans
les pays voisins de la Syrie. Que ce soit en Jordanie ou au Liban, pays les plus concernés,
l’arrivée de centaines de milliers de personnes de tous âges et toutes conditions,
est de plus en plus difficile à gérer.
L’Europe n’échappe pas à ce phénomène.
Les Syriens tentent de rejoindre l’Union européenne notamment via la mer, débarquant
par exemple à Lampedusa, au sud de la Sicile. Le HCR, le Haut-Commissariat des Nations
pour les réfugiés, a demandé aux Européens de s’engager davantage et d’accueillir
ainsi des réfugiés sur son territoire. Mais les Etats se montrent peu pressés. Pour
l’instant, seules des annonces ont été faites. L’Allemagne se dit prête à accueillir
cinq mille personnes, la France veut à terme en recevoir 30 000 d’ici 2014.
Mais
ce sujet est très délicat politiquement comme le reconnait le père Samir Khalil,
jésuite libanais, qui demande cependant à l’Europe de se montrer plus généreuse.
Ce
que fait l’Europe, c’est délicat comme problème politique parce qu’il est à peu près
sûr que ceux qui viennent , la majorité ne retournera pas. Ils n’ont plus rien là-bas
surtout dans le cas de la Syrie où il y a eu destruction. Ce n’est pas une immigration.
La plupart ne reviendront pas. Ils savent d’abord que leur pays, il faudra quelques
décennies pour remonter la pente, pour reconstruire tout cela. Entre-temps, la vie
est brève. Ensuite, je vais rentrer. Mes enfants auront vécu ici quelques années,
ils ne connaissent plus la langue, la mentalité, ils se sont intégrés, je vais les
déraciner encore une fois ? Les problèmes des migrations sont tragiques. L’Europe
doit essayer d’être la plus généreuse possible. Il faut sans doute qu’il y ait un
budget pour la solidarité. Le monde développé, l’ Europe, profite aussi de cette
émigration sur le plan économique et je crois, avec le temps, sur le plan culturel
même directement parce que tôt au tard ces gens travaillent. Et c’est une main d’œuvre
à très bon marché comparé à la main d’œuvre européenne. Donc il n’est pas seulement
charitable, il est juste de se dire « on doit mettre un pourcentage de notre budget
pour aider qui est récupéré par leur aide. On a vu récemment, en France
notamment près de Calais, des syriens qui étaient dans des conditions de vie très
difficiles et précaires. Ils voulaient se rendre en Angleterre. Ça a été très compliqué
de savoir ce qu’on en faisait.
Qui sont ces syriens qui s’en vont
?
Il y a d’une part les personnes qui ont tout perdu, qui peuvent
être n’importe qui. Ce n’est pas ciblé. Les chrétiens, de par le fait qu’ils sont
plus ouverts à l’Occident, ils ont le sentiment de pouvoir s’y adapter. Ils sont proportionnellement,
pas en nombre absolu, plus nombreux à émigrer. Mais, peut-importe, qui sait ? C’est
des gens qui sont dans le besoin et le besoin, ils ne l’ont pas créé. Ce n’est pas
par paresse, etc…C’est parce qu’il y a eu des guerres. L’Europe, en aidant, fait un
acte de charité mais il fait aussi un acte de justice parce que tôt ou tard nous sommes
solidaires.
Vous insistez beaucoup sur l’accueil et sur le devoir
d’accueillir parce que c’est une richesse. Il y a aussi évidemment le drame de ceux
qui s’en vont et on sait combien le Saint-Siège est attentif et préoccupé justement
par tous ces départs de chrétiens. Pourquoi est-ce qu’il y a cette préoccupation de
voir des chrétiens s’en aller ? Parce que d’autres vont suivre et qu’il n’y aura plus
personne ?
Parce que ce mouvement ne fait qu’augmenter. La proportion
des chrétiens baisse d’année en année. Le fait qu’il n’ y ait par exemple qu’ un
pourcent de chrétiens en Irak veut dire que ceux qui restent son très fragilisés.
C’est une communauté qui disparaît, c’est une culture qui va disparaître. Parfois
leur langue. En tout cas c’est un appauvrissement pour les musulmans. L’Irak, sans
les chrétiens, il s’en ressentira demain. D’ailleurs il s’en ressent aujourd’hui.
Il y a chaque semaine une centaine ou plusieurs centaines de victimes musulmans d’autres
musulmans. Il n’y a personne pour les protéger. Je disais au Liban « le jour où
au lieu de 35% on arrivera à 25%, on est pas sûr qu’on dira qu’on maintient la parité
dans les fêtes nationales, dans l’impact politique, culturel etc… C’est une perte
pour tout le pays ». Il devrait être et ils sont en partie le sel de la terre. S’ils
s’en vont, ça crée un phénomène multiplicateur. Moins ils restent de chrétiens, plus
les chrétiens tendront à émigrer. Moi je le vois dans ma famille. On n’a jamais pensé
à émigrer. Mais à la fin des années’50 en Égypte on a été touché par les nationalisations
etc…Il y a eu des dizaines de milliers de la classe la plus aisée qui ont émigrés
et avec eux maintenant des centaines de milliers. Ils se sont intégrés aux États-Unis,
en Australie, au Canada, un peu en Europe. Pour eux, ce n’est pas un problème. Pour
ceux qui restent, on est plus faibles. Il est plus difficile de revendiquer la parité
de citoyens. Ils seront comptés comme minorité, ne vous plaignez pas. Il y a aussi
un fait, si ce phénomène continue, dans quelques dizaines d’années, si il n’y a pratiquement
plus de chrétiens… Prenons le cas de la Palestine, Jérusalem et tout ça. Que signifie
encore le pèlerinage ? Si c’est pour voir des pierres, le pèlerinage est aussi pour
rencontrer les chrétiens qui vivent cette tradition de Jésus. Or c’est en train de
disparaître.
On voit bien ce qui se passe entre les frères musulmans
et les coptes en Égypte par exemple, est-ce que les musulmans chiites ou sunnites
se rendent bien compte que pour eux aussi ça peut être une chance d’avoir des chrétiens
?
Bien sûr et comment ! Les chiites plus fortement parce qu’eux
aussi sont une minorité dans le monde musulman. Et ils nous disent toujours « vous
et nous, nous sommes très proches parce que nous avons dû souffrir, nous comme musulmans
minoritaires et vous vous souffrez parce que aussi ils sont plus spirituels, il faut
le dire.
Vous m’avez dit que régulièrement des personnes venaient
vous voir pour vous parler de leur désir d’émigrer. Qu’est-ce que vous leur dites
?
Il y a divers aspects. Au plan personnel, je ne peux jamais dire
« tu as le devoir de rester ». Ça, c’est sûr. Il y a la liberté de conscience. Mais
je lui dis « Réfléchis bien, est-ce que ce choix est vraiment nécessaire ? Si tu
peux rester, si tu te sens la force de rester malgré les difficultés, tache de rester
pour soutenir aussi la communauté, ta propre foi parce que je crains qu’en allant
en Occident, tu risques toi aussi de t’attiédir c’est-à-dire que la foi aussi s’attiédit,
s’affaiblit. La solidarité va se fondre dans la masse et disparaître. Je crois que
l’Orient chrétien a une mission. D’abord pour les musulmans. Dieu nous a mis-là, ce
n’est pas un hasard. Si je suis égyptien, je suis responsable de mes frères musulmans,
de leur transmettre cette merveille qu’est l’Évangile. Et je dis à ceux qui émigrent
« ok, tu as décidé d’émigrer mais émigre avec ta foi. Et n’oublie pas que si tu vas
là-bas, tu as de nouveau une mission.Ca peut être quelques musulmans mais il y a
aussi la masse de ceux qui sont de souche chrétienne. Je crois qu’il faut jamais perdre
de vue que la chose la plus belle que nous possédons, ce n’est pas la richesse, ce
n’est pas la culture, c’est notre foi.