À Madagascar, la scolarisation des enfants, principale victime de la crise
Une véritable “génération perdue”, c’est le constat dressé par le responsable de l’UNICEF
à Madagascar. Steven Lauwerier déplore les carences dans la scolarisation des enfants
sur la grande île. La crise politique qui bloque le pays depuis près de cinq ans a
en effet privé 1,5 million d’enfants des bancs de l’école primaire. Une injustice
de plus dans un des pays les plus pauvres de la planète. Une donne que beaucoup espèrent
voir changer à deux jours des élections présidentielles dans le pays. Steven Lauwerier
a répondu à Olivier Bonnel
« Depuis
le début de la crise, il y a quatre ans et demi, on a vu une augmentation des enfants
qui sont hors de l’école d’à peu près un demi-million. Ça donne un chiffre de 1,5
million d’enfants qui n’ont pas droit à l’école. Et quand je parle d’école, je parle
d’école primaire. Ça veut dire qu’il y a à peu près 1,5 million d’enfants qui n’ont
pas le droit d’apprendre à compter, d’apprendre à lire, à écrire. Et à cet âge-là,
c’est une perte. Il est très difficile de récupérer cette perte et c’est presque,
comme j’ai dit, une sorte de « génération perdue » parce que 5 ans dans la vie d’un
enfant, à cet âge-là, c’est énorme ».
Au-delà des blocages politiques,
comment vous expliquez l’absence de scolarisation, cette absence de moyens qui n’ont
pas permis aux enfants d’aller à l’école ?
« Il y a différentes causes.
Premièrement, l’investissement dans l’éducation du gouvernement mais aussi des bailleurs
de fond a diminué fortement pendant ces quatre ans et demi et la facture a été présentée
plus ou aux ménages. A Madagascar, on sait que la pauvreté c’ est un facteur énorme.
A peu près un ménage sur deux vit avec moins d’un dollar par jour, et neuf ménages
sur dix vivent avec moins de deux dollars par jour. Ça veut dire que s’ ils doivent
payer pour la scolarisation de leurs enfants, c’est assez dur pour ces ménages qui
doivent en effet survivre chaque jour pour avoir un peu d’argent pour voir que la
famille est nourrie et même les investissements de ces ménages dans l’éducation sont
durs à faire ».
Qu’est-ce que vous préconisez ? Il faut absolument que
la Communauté Internationale réinvestisse dans le pays pour que ces enfants notamment
soient pris en charge ?
« Je pense que ces élections qui vont avoir
lieu vendredi sont une opportunité pour un réengagement de la Communauté Internationale
parce que cinq ans de crise ont été payés par les enfants. Lors des élections à la
fin de cette semaine et au deuxième tour prévu le 20 décembre, la moitié de la population
n’ira pas voter. Ce sont des enfants en dessous de 18 ans. Cette crise a eu un impact
sur eux en particulier et le succès de ces élections aura un impact sur ces enfants.
J’espère que le gouvernement qui sera élu mettra ses promesses en action et que Madagascar
aura de nouveau la confiance des donateurs pour investir plus dans l’éducation mais
aussi dans la santé, dans les secteurs sociaux de base qui ont souffert énormément.
Tous
ces enfants qui n’ont pas pu être scolarisés, que sont-ils devenus ? Ils ont été livrés
à eux-mêmes dans les rues malgaches ?
« Une partie mais une autre
partie de ces enfants est devenue adolescents maintenant et sont malheureusement devenus
des enfants travailleurs d’une façon ou d’une autre, qui aident aussi à avoir des
moyens pour la famille. Il y’en a d’ autres qui ont appris des petits métiers à gauche
et à droite. Ce sont malheureusement des enfants qui font des choses qu’ils ne doivent
pas faire parce qu’à cet âge-là certainement ils doivent être à l’école.
Cinq
ans, c’est très long dans la vie d’un enfant. On a du mal à imaginer l’impact que
cela peut avoir sur l’éducation entière d’un pays. Cette carence éducative est une
bombe à retardement qui pourrait éclater dans plusieurs années ?
« Oui,
bien sûr. C’est-à-dire l’impact sur le futur d’un pays et même sur le développement
économique est énorme. On sait qu’un investissement dans l’éducation et commençant
par l’éducation primaire est un très bon investissement, qui a un impact énorme sur
le développement économique et le développement en général d’un pays. Bien sûr, ce
déficit qu’on a vu ces dernières années va avoir un impact. Et on doit tout faire
pour éviter que cette situation se poursuive. Chaque année la scolarisation ou la
rentrée scolaire est un grand sujet dans la presse nationale. Quand on va quelque
part sur le terrain, dans des endroits très éloignés, on voit que des gens qui n’ont
presque rien font tout ce qu’ils peuvent faire pour construire une école, pour payer
des enseignants communautaires même avec des vivres, même avec des poulets ».