"Que l'antisémitisme soit banni du coeur et de la vie de tous"
Ce vendredi midi, le Pape François a rencontré au Vatican une délégation d’une trentaine
de personnes représentant la Communauté juive de Rome, avec laquelle le Pape avait
déjà eu l’occasion d’établir des contacts, notamment le 20 mars dernier. A la veille
du Nouvel An juif, le Pape s’était adressé au Grand Rabbin de Rome, Riccardo Di Segni,
en souhaitant que « le Dieu des Pères renforce notre amitié ». Jeudi, à la veille
de la rencontre, le Grand Rabbin a déclaré : « Nous, nous sommes ici depuis 22 siècles
et nous cohabitons avec la Papauté depuis 20 siècles. La rencontre est dans le socle
d’’une antique tradition et sera l’occasion d’un contact direct, pour une plus intense
collaboration et pour renforcer l’amitié ».
Ce vendredi, le Pape a rencontré
tout d’abord en privé Riccardo Di Segni, et puis s’est adressé à toute la délégation
où se trouvaient également le Président de la Communauté juive de Rome, Riccardo Pacifici,
et le Président de l’Union des Communautés juives d’Italie, Renzo Gattegna. Après
avoir salué la délégation par un « Shalom », le Pape a rappelé l’antique présence
des juifs à Rome, une longue histoire « souvent traversée par des incompréhensions
et d’authentiques injustices. Une histoire qui connaît cependant désormais depuis
quelques décennies le développement de rapports amicaux et fraternels » . Le Pape
en a fait remonter la cause, du côté catholique, « à la réflexion du Conciles Vatican
II, mais aussi à l’action, des deux côtés, menée par des hommes sages et généreux,
capables de reconnaître l’appel du Seigneur et de marcher avec courage sur les nouveaux
chemins de la rencontre et du dialogue. »
"Que l'antisémitisme soit banni
du coeur de tous"
Le Pape a rappelé alors que dans quelques jours « nous
ferons mémoire du 70ème anniversaire de la déportation des Juifs de Rome. Et que nous
prierons pour les si nombreuses victimes de la barbarie humaine, pour leurs familles.
» Le Pape d’ajouter : « Ce sera l’occasion pour rester vigilants pour que jamais
ne reprennent vie, sous aucun prétexte, des formes d’intolérance et d’antisémitisme,
à Rome et dans le reste du monde ». « Que l’antisémitisme soit banni du cœur et de
la vie de tout homme et de toute femme » ! « Un chrétien antisémite serait une contradiction,
a affirmé le pontife, car « ses racines sont juives ». Et de marteler: « Un chrétien
ne peut pas être antisémite .» « Cet anniversaire, a poursuivi le Pape, nous permettra
de rappeler comment à l’heure des ténèbres la communauté chrétienne de cette ville
de Rome a su tendre la main au frère en difficultés. Nous savons que de nombreux instituts
religieux, des monastères et les Basiliques papales elles-mêmes, en interprétant la
volonté du Pape, ont ouvert leurs portes pour un accueil fraternel, et que tant de
chrétiens ordinaires ont offert leur aide, petite ou grande. »
« En grande
majorité, ils n’étaient certes pas au courant de la nécessité de faire évoluer la
compréhension chrétienne du judaïsme et peut-être même qu’ils connaissaient bien peu
de choses de la vie même de la communauté juive. Mais ils eurent cependant le courage
de faire ce qui à ce moment-là était la chose juste : protéger le frère, qui était
en danger. » Et le Pape faisait remarquer que pour lui « il était important de souligner
cet aspect parce que s’il est vrai qu’il est important d’approfondir, des deux côtés,
la réflexion théologique par le dialogue, il est tout aussi vrai qu’il existe un dialogue
vital, celui de l’expérience quotidienne, qui n’est pas moins fondamental. » « Que
du contraire, sans une vraie culture, concrète, de la rencontre, qui porte à des relations
authentiques, sans préjugés ni suspicion, l’engagement dans le domaine intellectuel
servirait à bien peu de choses. » « Comme j’aime le souligner, ici aussi, le Peuple
de Dieu a un flaire propre qui comprend de manière intuitive le chemin que Dieu lui
demande de parcourir ».
"Travaillons ensemble contre le relativisme "
Le
Pape François espérait alors pouvoir contribuer à Rome à cette proximité et cette
amitié, comme il l’a déjà fait avec la communauté juive de Buenos Aires. Et il rappelait
que « parmi les nombreuses choses qui peuvent nous lier, il y a le témoignage à la
vérité des dix commandements, au Décalogue, comme fondement solide et source de vie
pour notre société, si désorientée par un pluralisme extrême des choix et des orientations,
et marquée par un relativisme qui amène à une perte de repères solides et sûrs. (cfr
Benoît XVI, discours à la Synagogue de Rome, 17 janvier 2010, 5-6). Le Pape François
remerciait alors la délégation pour leur visite, et invoquait sur « ces chers amis,
la bénédiction du Très-Haut ».
Le Grand Rabbin rend hommage à Jean-Paul
II et Benoît XVI
Le Grand Rabbin de Rome avait précédemment remercié à
son tour le Pape de les avoir reçus, une rencontre « sous le signe de la continuité
et de la nouveauté ». Et il rappelait le « caractère dramatique du rapport entre les
deux communautés à de nombreuses époques de l’histoire. Une longue histoire que personne
ne peut ignorer, pour réfléchir sur ses enseignements, corriger les erreurs, adoucir
les blessures, et construire. Riccardo Di Segni soulignait alors que « ce qui est
arrivé au peuple juif au siècle dernier – Shoah et fondation de l’Etat d’Israël –
a marqué profondément non seulement le judaïsme mais le monde entier et l’Eglise elle-même,
en la portant vers un nouveau parcours. » « Tous les papes de ces derniers temps ont
apporté leur contribution à ce parcours. »
Le Grand Rabbin de Rome rendait
hommage au travail de Jean-Paul II et de Benoît XVI, chacun avec sa personnalité,
son style. « La parole ‘nouveauté’ est vraiment actuelle », poursuivait Riccardo Di
Segni, qui évoquant les rapports entre juifs et catholiques, se félicitait de « tout
ce qui a été fait de bon », mais en rappelant que « tout n’a pas été résolu » et que
souvent « la solution à un problème ouvre toute une série d’autres problèmes ». D’où
son appel à « travailler pour clarifier les choses encore, pour comprendre les sensibilités
et les points critiques, pour que les messages positifs soient diffusés, que l’amitié
et la confiance croissent et que le respect réciproque soit réel. »
Un engagement
commun pour transmettre des valeurs communes
Le Grand Rabbin soulignait
ensuite la « responsabilité publique qui dérive de cette proximité entre juifs et
catholiques ». Ainsi, prenant l’exemple du déluge universel et de Noé, Riccardo di
Segni soulignait « que ces derniers jours, nous avons assisté paradoxalement au contraire
: des gens sont morts dans une barque alors qu’autour l’humanité survivait, impuissante
et en partie indifférente. » « Notre histoire et notre foi se rebellent face à cela.
» Et s’adressant au Pape, il ajoutait : « Vous avez démontré avec la force de Votre
présence que vous partagez cette rébellion et que nous avons des valeurs communes
à transmettre à l’humanité ». « Sauver de la destruction, réparer et construire un
monde meilleur dans lequel chacun ait sa place : un devoir qui dure dans le temps.
La construction est basée aussi sur des gestes d’amitié. » Riccardo Di Segni souhaitait
au Pape un Pontificat long et serein, et l’invitait à visiter leur Communauté à Rome,
comme ses prédecesseurs. -------------------- Message du Pape pour la commémoration
du 70°anniversaire de la déportation des juifs de Rome
Je désire m’unir,
par l’approche spirituelle et la prière, à la commémoration du 70°anniversaire de
la déportation des juifs de Rome. Alors que nous nous remémorons ces heures tragiques
d’octobre 1943, il est de notre devoir de se rappeler le destin de ces déportés, percevoir
leur peur, leur douleur, leur désespoir pour ne pas les oublier, pour les maintenir
en vie dans notre souvenir et dans notre prière avec leurs familles, leurs parents
et amis qui ont pleuré leur perte et qui sont restés consternés devant les barbaries
que peut commettre l’être humain.
Pourtant, avoir la mémoire d'un évènement
ne signifie pas simplement en avoir le souvenir ; cela signifie aussi et surtout de
s’efforcer à comprendre quel est le message qu’il représente aujourd’hui pour que
la mémoire du passé puisse enseigner au présent et devenir lumière qui illumine le
chemin du futur. Jean-Paul II écrivait que la mémoire est appelée à jouer un rôle
nécessaire « dans le processus de construction d’un futur dans lequel l’iniquité
indicible de la Shoah ne soit plus jamais possible » ( Lettre introductive au Document
: Commission pour les Rapports Religieux avec le judaïsme, Nous nous souvenons . Une
réflexion sur la Shoah, 16 mars 1998). Et Benoît XVI, dans le Camp de concentration
de Auschwitz, affirmait que « le passé n’est pas seulement du passé. Il nous concerne
aussi et nous indique les voies à prendre et à ne pas prendre » ( Discours, 28 mai
2006).
La commémoration d’aujourd’hui pourrait donc être définie comme
une mémoire future, un appel aux nouvelles générations à ne pas aplatir notre propre
existence, à ne pas nous laisser entraîner par des idéologies, à ne jamais justifier
le mal que nous rencontrons, à ne pas baisser la garde contre l’antisémitisme et contre
le racisme, quel que soit leurs provenances. J’espère que ,grâce à cette initiative,
pourront s’entrelacer et s’alimenter des réseaux d’amitié et de fraternité entre Juifs
et Catholiques dans notre ville bien-aimée de Rome.
Le Seigneur dit
par la bouche du prophète Jérémie : « je connais les projets que j’ai fait en ce qui
vous concerne, les projets de paix et pas de condamnation pour vous concéder un futur
plein d’espérance » (Jer 29,11). Que le souvenir des tragédies du passé devienne pour
tous un engagement de toutes nos forces pour un futur que Dieu veut préparer et construire
pour nous et avec nous.