2013-10-07 18:04:33

Bioéthique et avancées scientifiques : le point de vue du père Saintôt


La science est légitimement en quête d'efficacité, d'amélioration des techniques et de compréhension des causes des maladies et des handicaps pour les guérir. Les espoirs soulevés par des découvertes récentes semblent pousser la société à vouloir aller vers un contrôle systématique de la naissance, de la maladie et de la mort, vers la perfectibilité de l'être humain.
Où se trouve la frontière entre ce que l'on peut faire et ce que l'on pourrait être capable de faire ? Quelle est celle à ne pas franchir au-delà de laquelle on porte atteint à l'être humain ? Il ne s'agit pas de remettre en cause les recherches scientifiques, mais d'en maîtriser l'usage. Aucune science ne trouve en elle-même sa pleine signification. Elle doit se confronter à d'autres pour aborder la question de leur sens et des conséquences des progrès scientifiques pour l'avenir.

L'Église a fait de nombreuses déclarations sur le sujet. Comment la théologie peut-elle contribuer à développer les capacités de réflexion, d’argumentation et d’action des chrétiens confrontés aux difficiles questions de bioéthique ?

Le jésuite Bruno Saintôt collabore au Département d’Ethique Biomédicale du Centre Sèvres à Paris. Il est interrogé par Thomas Chabolle RealAudioMP3

"Je pourrais dire qu’à la lumière de ce nouveau pontificat, le Pape veut remettre au centre l’Évangile et peut-être pas d’abord l’interdit. Mais il n'a rien changé, je pense qu’il ne va rien changer sur à la fois la doctrine sociale mais aussi les grandes références anthropologiques et éthiques de ces prédécesseurs Benoît XVI, Jean-Paul II, Jean-Paul VI, Jean XXIII. Il ne va rien changer sur la doctrine fondamentale.
Par contre on pourrait dire, qu'il remet au centre l’Évangile : la Bonne Nouvelle, l’accueil fondamental de l’autre et aussi le pouvoir que l’homme a de faire le bien. Il faut toujours commencer par révéler aux hommes le pouvoir qu’ils ont de faire le bien, révéler l’attirance du Christ qui est première. Et c’est sur ce fond là qu'on pourrait dire que les grands interdits structurants de l’Église peuvent avoir une signification. On a peut-être eu tendance, en tout cas c’est ce que les gens reprochent à l’Église, d’avoir mis l’interdit en premier. Donc il faut révéler aux gens, à la fois la beauté et la grandeur de l’Évangile dans la capacité qu’a l’homme de faire le bien à autrui. Mais il ne pas faut être naïf non plus,il faut mettre en lumière la capacité aussi qu’il a de faire le mal, de nier sa propre humanité et celle de l’autre. La morale en ce sens-là n’est pas première, mais au service d’un respect fondamental des personnes. Il ne faut pas l’oublier.

L’homme qui transforme le monde, l’homme qui transforme la science, une science qui est toujours plus pointue. On pense notamment aux travaux sur les cellules souches. Quelle est votre réponse, quel est votre message ?

Je pourrais dire que le premier message c’est d’abord, dans la ligne de ce que j’ai dit précédemment, de révéler la grandeur qu’a l’homme de pouvoir faire le bien. Nous sommes tous très heureux des progrès de la médecine, de la biomédecine, des biotechnologies qui nous aident au quotidien, qui facilitent notre quotidien, qui nous aident à vaincre un certain nombre de maladies, à réparer nos propres déficiences. Donc il faut mettre cela en premier je pense.
Par contre il ne faut pas être naïf sur les capacités qu’a l’homme de nuire à autrui. Dans ses capacités de nuire, il y a me semble-t-il, quelque chose qui apparaît de manière de plus en plus forte, c’est cette capacité qu’a l’homme de définir les conditions d’advenue de nouveaux êtres humains à l’existence. Alors je pense là à toutes les techniques de procréation médicale, et puis aussi à toutes les possibilités de diagnostic prénatal, diagnostic préimplantatoire.
Si nous ne sommes pas vigilants, il y a là une tendance, me semble-t-il, de définir de plus en plus les conditions d’acceptabilité de nouveaux êtres humains dans le monde. Et ça, ça me paraît un point extrêmement important pour aujourd’hui. Quand l’Église défend le respect de l’être humain, de la conception jusqu’à sa mort naturelle, je pense qu’elle vise cela. Elle vise le bien authentique de l’homme. Et on pourrait dire que si les êtres humains ; comme le dit la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, naissent libres et égaux ; personne ne doit avoir le droit de définir a priori les conditions dans lesquelles de nouveaux êtres humains sont déclarés bienvenus dans le monde.
Alors là je pense qu’il y a une chose absolument fondamentale qui est éthique, juridique mais aussi politique. Parce que c’est un fondement de la démocratie que de pouvoir naître, comme le dit la Déclaration, libres et égaux. Alors là je pense que l’Église a des choses extrêmement importantes à dire. C’est le premier point.

Le deuxième point : On pourrait dire, c’est surtout la médecine de la performance dans tous les domaines, performance sportive_ on a vu le dopage_ la performance intellectuelle, performance professionnelle, performance sexuelle, il faut être toujours plus au top. Mais est-ce que ça respecte bien la liberté de l’homme ? Est-ce qu’on peut dire que l’homme qui prend ces dopants est bien responsable ? Est-ce que c’est à lui qu’on peut attribuer cet acte ou non ? Donc il y a là quelque chose qui touche aux enjeux des valeurs fondamentales que nous voulons mettre en œuvre dans une société notamment la question fondamentale de la liberté. Si quelqu’un se dope, est-ce que l’acte qu’il produit est bien le sien ? Est-ce qu’il peut dire « c’est moi qui l’ait fait » ? Donc je pense qu’il y a des questions fondamentales.
Il y a aussi un secteur qui est, me semble-t-il, aussi capital pour aujourd’hui, c’est tout qui se recherche autour du "transhumanisme", qui nous fait un peu rêver ou qui fait peur à certains, mais dont le projet radical, est bien de dépasser ce que nous entendons aujourd’hui par nature humaine. Donc on pourrait dire vaincre nos peurs, de vieillir, de mourir, d’arriver enfin à vaincre cela. Il y a là des tendances là assez dures dans le "transhumanisme" qui est bien que l’homme puisse lui-même redéfinir sa propre nature. Alors il y a des citations absolument capitales de faire sauter ce qu’on appelle le blocage mental de croire qu’il y a une nature humaine. L’homme deviendrait son propre artisan, transformation de lui-même. Jusqu’où ?
Je pense que c’est la responsabilité de l’Église, de souligner le pouvoir de faire le bien qu’a l’homme et le pouvoir de nuire à lui-même, le pouvoir de nuire à autrui. Ca me parait la mission dans la droite ligne de l’Évangile.


Mais est-ce que la communauté scientifique est prête également à entendre ce type de discours ?

La communauté scientifique est variée dans ses orientations, dans ses propres recherches, dans les limites qu’elle se donne au point de vue éthique. Ce qui a défrayé la chronique en France dernièrement, c’est le changement de la loi sur la recherche sur les cellules souches et sur l’embryon, avec on peut dire "un renversement". On est passé d’une interdiction assortie de dérogations à une autorisation première qui est bien sûr régulée ensuite. Quelle est la signification de ce passage juridique ? Un certain nombre de scientifiques disaient « vous nous empêchez de travailler, cette loi nous empêchent de travailler, on nous empêche de rechercher et puis on nous empêche ainsi de faire des progrès scientifiques ». Donc vous voyez, vous êtes accusé de freiner la recherche scientifique. Alors toutes les recherches sur les cellules souches reprogrammées, non plus les cellules souches embryonnaires qui n’incluent pas donc la destruction de l’embryon valorise d’autres pistes de recherche avec des résultats notoires.
Il faut répondre qu’à la fois que nous ne nous opposons pas au progrès, mais que nous sommes pour un progrès respectueux de l’être humain dès sa conception. Alors je pense qu’un certain nombre de scientifiques ont vu ces contraintes apposées par le droit et notamment la position éthique de l’Église comme un frein puissant à leur propre recherche. Il y a bien sûr des enjeux qui sont scientifiques, des enjeux de publication et des enjeux économiques immenses puisque la recherche sur les cellules souches qu’elle soit embryonnaire, ou non, va générer beaucoup beaucoup beaucoup d’espoir et aussibeaucoup d’argent. Il y a des gens qui ont fortement investis. Il ne faudrait jamais sous-estimer ce facteur économique qui me semble essentiel.








All the contents on this site are copyrighted ©.