Six mois et demi après l’élection du premier pape sud-américain de l’histoire, plusieurs
évènements, ces derniers jours, semblent marquer un tournant, inaugurant véritablement,
en quelque sorte, le nouveau pontificat. Les nombreux gestes posés par le pape François
et largement répercutés par les médias - refus de s’installer dans les appartements
pontificaux, appels téléphoniques personnels, croix pectorale en argent - avaient
déjà été perçus comme révolutionnaires, comme une rupture par rapport au pontificat
de Benoît XVI.
Mais il s’agissait, au fond, d’une question de forme et de
style, qu’on pouvait facilement rattacher aux origines argentines du nouveau pape.
La publication, le 19 septembre d’une longue interview au directeur de la revue des
Jésuites italiens, la Civiltà Cattolica, permet enfin d’éclairer plus en profondeur
les choix majeurs du pape François ainsi que sa personnalité. Par ailleurs ses premiers
gestes « politiques », au Vatican, avec le retour en force de la diplomatie aux postes-clés,
en disent long également sur sa manière de concevoir la gouvernance de l’Eglise.
Et
puis il y a eu Cagliari, dimanche, une visite qui s’annonçait comme émotionnelle,
mariale, personnelle, en raison des liens entre le sanctuaire de Notre Dame de Bonaria,
patronne de la Sardaigne et le nom de la ville natale du pape Bergoglio, Buenos Aires.
Or, les prises de parole du pape François sur les questions sociales ont, en fait,
précisé les priorités de son pontificat. Le pontife romain a secoué les consciences
et les pouvoirs en place, appelé à la révolte pour libérer l’humanité de l’idolâtrie
de l’argent et des inégalités sociales.
La crise actuelle - sans précédent
–il l’a imputée à un système injuste et immoral, au capitalisme sauvage et à la globalisation.
Mais au lieu de se livrer à une sombre analyse, il a incité à passer à l’action pour
briser les idéologies dominantes, refuser l’individualisme qui tue la fraternité et
la solidarité, se libérer des nouvelles formes d’esclavage, redonner la parole aux
peuples. C’est la vraie révolution de ce pontificat qui se soucie peu d’énoncer la
doctrine pour se consacrer à l’instauration d’une société plus évangélique.
Le
pape venu de loin sait que l’Eglise est fatiguée et blessée par les scandales, que
son influence est affaiblie par la sécularisation, que les principes qu’elle défend
sont en contradiction avec les évolutions de la société moderne. Et il renverse les
perspectives pastorales misant sur la miséricorde, le pardon et surtout la proximité
avec les laissés-pour-compte, les derniers. Il n’entend pas changer les enseignements
de l’Eglise mais la manière dont l’Eglise doit se positionner dans le monde actuel,
en étant fraternelle et charitable avant de juger, en pardonnant pour reconstruire
et libérer.
A Cagliari, dimanche, le pape François a ému ses auditeurs et
convaincu ses détracteurs en priant Dieu de nous apprendre à lutter, et en invitant
les chrétiens à être là où le monde a besoin d’eux, y compris en politique. Interrogé
dimanche soir à Cagliari par la presse italienne, le Substitut de la Secrétairerie
d’Etat, Mgr Angelo Becciu, s’est inscrit en faux contre ceux qui trouvent jugent ce
Pape populiste. François – a-t-il dit – dénonce les déformations d’un système fondé
sur le profit et milite pour une société plus solidaire, dans la droite ligne de la
doctrine sociale de l’Eglise.