Interview exclusive du pape François à Civiltà Cattolica
La Civiltà cattolica, la revue des jésuites italiens, a publié jeudi une longue interview
du pape François, sortie simultanément dans seize autres revues des Jésuites, notamment
en français dans la revue Etudes. Elle a été réalisée, au mois d’août, à la résidence
Sainte-Marthe où réside le pape, par le directeur de la Civiltà Cattolica, le père
Antonio Spadaro. Le compte-rendu d'Olivier Bonnel
Le
pape Bergoglio y brosse son portrait-robot. Il évoque notamment ses goûts artistiques
et culturels. Premier pape jésuite de l’Histoire, il donne son avis sur la Compagnie
de Jésus, analyse le rôle de l’Église d’aujourd’hui, énonce ses priorités pastorales,
et aborde les questions que la société et l’anthropologie contemporaine posent à l’annonce
de l’Evangile, comme l’homosexualité et la situation des divorcés-remariés.
Un
pape qui privilégie le discernement et la consultation
Le pape raconte
son parcours : « Ma façon autoritaire et rapide de prendre des décisions m'a causé
de sérieux problèmes et m’a valu d'être accusé d'être conservateur ». Une expérience
difficile que le pape a aujourd’hui mis à profit.
En évoquant son ministère
épiscopal en Argentine, il affirme avoir compris l'importance de « la consultation
» : « les consistoires, les synodes sont par exemple des lieux importants pour rendre
réelle et active cette consultation. Il faut toutefois les rendre moins rigides dans
la forme ». Quant aux dicastères romains, « ce sont des médiateurs, non des gestionnaires
».
Le pape explique comment sa formation de jésuite, et en particulier le «
discernement », l'aide à mieux vivre son ministère. « Nombreux, par exemple, sont
ceux qui pensent que les changements et les réformes peuvent se concrétiser dans de
brefs délais. Je crois qu'il y a toujours besoin de temps pour jeter les bases d'un
véritable changement efficace. Et parfois, le discernement nous pousse à faire plus
vite ce qu’on pensait faire plus tard. Et c'est ce qui s'est passé pour moi ces derniers
mois.
Sa vision de l'Eglise
L'image de l'Église que le Pape
François préfère est celle exprimée par le Concile Vatican II dans la Lumen Gentium
", du saint peuple fidèle à Dieu. Mais pour le Pape, l’Eglise n’est pas seulement
sa hiérarchie, ce sont aussi les pasteurs et le peuple.
Une Eglise qu’il
ne faudrait pas réduire « une petite chapelle pouvant contenir seulement un petit
groupe de personnes sélectionnées ». « Nous ne devons pas réduire le cœur de l'Eglise
universelle à un nid protecteur de notre médiocrité. »
Ce dont l’Eglise a le
plus besoin ? « Savoir soigner les plaies et réchauffer les cœurs des fidèles, la
proximité… et il faut commencer par le bas. » « Je vois l'Eglise comme un hôpital
de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave si son
taux de cholestérol et de sucre est élevé ! Il faut soigner ses blessures. Nous pourrons
parler plus tard de tout le reste. » « L'Eglise s’est parfois laissé enfermer dans
de petites choses, de petits préceptes ». « Les réformes structurelles et d’organisation
sont secondaires, c'est-à-dire qu'elles viennent ensuite, affirme le pape. La première
réforme doit concerner les comportements. Le peuple de Dieu veut des pasteurs, non
des fonctionnaires ou des clercs d’Etat. »
Toujours prendre la personne
en considération
A propos de questions complexes, comme le cas des divorcés
remariés et des homosexuels « Il faut toujours prendre en considération la personne
» - répond le Pape.
La pastorale missionnaire, explique François, « ne peut
pas être obsédée par la transmission désarticulée d'une multitude de doctrines qu’il
faudrait imposer avec insistance ». « Nous devons trouver un nouvel équilibre, faute
de quoi l’édifice moral de l’Eglise risque de s’effondrer comme un château de cartes,
de perdre la fraîcheur et le parfum de l’Evangile. La proposition évangélique doit
être plus simple, profonde, rayonnante. C’est de cette proposition que viennent ensuite
les conséquences morales. »
Le thème de la primauté du pape offre la perspective
d'une vision différente de la synodalité. « Peut-être est-il temps de changer la méthodologie
du Synode, car l’actuelle me semble statique. Une perspective qui donnerait un nouveau
souffle au cheminement œcuménique. » Avec les autres Eglises, affirme le Pape, « nous
devons marcher ensemble dans la différence : il n'y a pas d'autre moyen de s'unir.
»
Réfléchir sur le rôle de la femme dans l'Eglise
Le père Spadaro
aborde aussi avec le pape le thème de la femme dans l’Eglise. « Le génie féminin est
nécessaire dans les lieux où se prennent des décisions importantes, répond François.
Le défi aujourd’hui, c’est de réfléchir sur la place spécifique de la femme justement
là où s’exerce l’autorité dans les différentes entités de l’Eglise. »
« Dieu
est toujours une surprise - explique le pape, dans les derniers passages de l’entretien
- On ne sait jamais ni où ni comment on va le trouver, ce n’est pas nous qui fixons
les temps et les lieux de la rencontre avec Lui. Il faut donc discerner la rencontre.
»
« Il ne faut pas se renfermer dans un passé qui paralyse, poursuit encore
le pape : « Si le chrétien est légaliste, s’il veut que tout soit clair et sûr, alors
il ne trouve rien ».
« Ceux qui cherchent toujours des solutions disciplinaires,
qui tendent de façon exagérée vers la sécurité doctrinale, veulent obstinément récupérer
le passé perdu, ont une vision statique et qui n’évolue pas. Et de cette façon, la
foi devient une idéologie parmi d'autres. J'ai une certitude dogmatique, conclut le
pape : Dieu est dans la vie de chaque personne. Même si la vie d'une personne est
une terre remplie d'épines et de mauvaises herbes, il y a toujours un espace dans
lequel la bonne semence peut croître. Il faut se fier à Dieu ».