La position du supérieur Général des Jésuites sur la Syrie
Q. Le Saint Père est sorti du protocole habituel pour parler en faveur
de la paix en Syrie. Que pensez-vous de ce sujet ?
R. Je n'ai pas
l'habitude de commenter les situations internationales ou les affaires politiques.
Mais, dans le cas présent, nous sommes devant une situation humanitaire qui déborde
les limites normales pouvant justifier le silence. J'avoue, je dois le dire, ne pas
comprendre qui a donné l'autorisation aux Etats-Unis ou à la France d'agir contre
un pays d'une manière qui, sans nul doute, ajoutera aux souffrances d'une population
qui a déjà souffert plus qu'il n'est imaginable. La violence ou les interventions
violentes comme celles qui se préparent ne sont justifiables que comme des moyens
ultimes utilisés d'une manière telle qu'ils n'atteignent que les seuls coupables.
Dans le cas d'un pays, cela est totalement impossible, et c'est pourquoi ce recours
à la force m'est totalement inacceptable. Nous jésuites, nous appuyons l'action du
Saint Père à 100% et désirons du fond de notre cœur que l'action punitive annoncée
n'ait pas lieu.
Q. Mais le monde n'a-t-il pas la responsabilité
de faire quelque chose contre ceux qui abusent de leur pouvoir par des actions contre
leur propre peuple, comme dans le cas d'un gouvernement qui utilise les armes chimiques
dans un conflit ?
R. Cette demande recouvre trois questions, qu'il
convient de séparer clairement. La première porte sur le fait que tout abus de
pouvoir doit être condamné et rejeté. Avec tout le respect que j'ai pour le peuple
des Etats-Unis, je crois que l'usage précis de la force qui se prépare actuellement
est en lui-même un abus de pouvoir. Les Etats-Unis d'Amérique doivent cesser d'agir
et de réagir comme s'ils étaient le « grand frère » d'un quartier qui s'appellerait
le monde. Une telle attitude conduit inévitablement à des abus, à des chocs violents
et à des démonstrations de force devant les membres les plus faibles de la communauté. La
deuxième est que, si des armes chimiques ont été utilisées, il faut encore satisfaire
à l'obligation de montrer au monde, de manière claire, que cet usage est le fait d'un
côté du conflit, et non pas de l'autre. Il ne suffit pas qu'un membre du gouvernement
du pays qui désire attaquer dise qu'il en a la conviction. Il faut démontrer au monde
qu'il en est ainsi, sans laisser quelque doute que ce soit, afin que le monde puisse
faire confiance à ce pays. Cette confiance n'existe pas actuellement, et les spéculations
ont déjà commencé sur les visées ultérieures que les Etats-Unis pourraient avoir dans
ce projet d'intervention. La troisième est que les moyens considérés comme appropriés
pour punir l'abus commis à l'origine (une fois que l'on a montré que tel est bien
ce qui s'est passé) ne blessent pas à nouveau les mêmes personnes, déjà victimes.
L'expérience du passé nous apprend que cela est impossible (quand bien même on désignerait
les victimes par l'euphémisme « dommages collatéraux »). Le résultat est qu'augmente
la souffrance des citoyens ordinaires innocents et étrangers au conflit. Nous savons
tous que le grand souci des sages et des fondateurs religieux de toutes les traditions
et cultures est : « comment alléger la souffrance humaine ? » Il est très préoccupant
que, au nom de la justice, nous planifiions une attaque qui va augmenter la souffrance
des victimes.
Q. Vous n'êtes pas particulièrement dur contre
les Etats-Unis ?
R. Je ne le crois pas. Je n'ai aucun préjugé contre
ce grand pays et, en ce moment même, je travaille avec des jésuites de ce pays dont
j'estime beaucoup les avis et l'aide. Je n'ai jamais eu de sentiments négatifs à l'égard
des Etats-Unis, un pays que j'admire énormément pour beaucoup de raisons, parmi lesquelles
son ardeur au travail, sa spiritualité et sa pensée. Ce qui me soucie le plus est
que précisément ce pays, que j'admire sincèrement, soit proche de commettre une grande
erreur. Et je pourrais dire quelque chose de semblable à propos de la France : un
pays qui a été un véritable guide pour l'esprit et l'intelligence, qui a contribué
de grande manière à la civilisation et la culture, et qui est maintenant tenté de
conduire l'humanité à faire marche arrière vers la barbarie, et cela en contradiction
ouverte avec tout ce qu'il a représenté durant bien des générations. Que ce soit ces
deux pays qui s'unissent aujourd'hui pour une aventure aussi horrible est l'un des
éléments de la colère éprouvée en bien des pays du monde. Ce n'est pas le fait d'attaquer
que nous craignons ; ce qui nous atterre, c'est la barbarie vers laquelle nous sommes
conduits.
Q. Et pourquoi parler ainsi maintenant ?
R.
Parce que le problème se pose maintenant. Parce que le Saint Père prend des mesures
extraordinaires pour nous rendre conscients de l'urgence du moment. Avoir déclaré
la journée du 7 septembre comme temps de jeûne pour la paix en Syrie est une mesure
extraordinaire, et nous voulons nous unir à cette initiative. Nous pouvons nous rappeler
que, dans un passage de l'Evangile, les disciples n'étaient pas parvenus à libérer
un jeune du mauvais esprit, et Jésus leur dit : « Ce type d'esprit ne peut sortir
que par la prière et le jeûne ». Il m'est très difficile d'accepter qu'un pays qui
se considère chrétien - ou en tout cas qui fait référence à ce nom - ne puisse envisager
que l'action militaire lorsqu'il se trouve face à une situation de conflit, au risque
de conduire le monde, à nouveau, vers la loi de la jungle. (Source : http://www.sjweb.info/news/)