"Que fait la communauté internationale ?" : le cri d'alarme d'un médecin franco-syrien
Les images sont atroces, mais le flou continue de régner sur ce qui s'est réellement
passé mercredi dans la banlieue de Damas. L’opposition syrienne parle de plus de 1300
morts. Toujours selon l’opposition, certaines bombes contenaient un produit chimique.
La communauté internationale et les organisations des droits de l’homme appellent
à une enquête de l’ONU. Des experts des Nations unies sont déjà sur place depuis dimanche.
Ils n’attendent plus que le feu vert du gouvernement syrien.
Selon Oubaida
Al Moufti, médecin franco-syrien et porte-parole de l’Union des organisations syriennes
de secours médicaux, sur les quelque 1300 victimes, plus de 500 personnes sont mortes
par arme chimique. Régulièrement en contact avec ses collègues en Syrie, il raconte
ce qu’ils ont vu après l’attaque.
"Les collègues
qui sont présents sur place, ont constaté qu’il y avait en même temps une attaque
bien organisée, bien préparée, mais surtout ils ont été frappés par l’arrivée massive
des dizaines, des centaines de blessés, qui souffraient surtout de troubles respiratoires,
de détresses respiratoires, sans qu’il y ait de blessures. Il n’y avait pas du tout
de sang. Ils ont commencé par les prendre en charge et ils ont rapidement suspecté
une attaque par arme chimique ou par gaz respiratoire toxique. Ces suspicions ont
été confirmées cliniquement par les signes cliniques qu’ils ont constatés et surtout
par les améliorations dès qu’ils ont mis l’oxygène, dès qu’ils ont injecté un antidote.
Le constat le plus dur, c’était après l’arrêt des bombardements quand les secouristes
se sont rendus dans les quartiers bombardés et quand ils ont trouvé des familles entières
mortes dans les maisons sans qu’il y ait de bombardements, sans qu’il y ait des dégâts
matériels. Malheureusement les enfants ont été les plus touchés, parce qu’ils n’ont
pas besoin de respirer une grande quantité de gaz et surtout car cette attaque est
arrivée dans la nuit, la majorité des gens dormaient, ils avaient une respiration
assez spontanée, donc ils n’ont pas eu le temps de se protéger".
Qu'est-ce
qui fait que cette attaque est différente ?
"C’est
son ampleur. Au niveau des attaques chimiques, on a constaté qu’il y a eu 31 attaques
par arme chimique confirmées. Sur les 31 attaques, il n’ y avait que 75 morts. Là
c’est quand même quelque chose de plus important, car nos médecins ont recensé 1188
morts à la suite des bombardements et on peut confirmer qu’il y a plus de 540 personnes
qui sont mortes après avoir respiré du gaz toxique. Sur plus de 500 personnes, il
n’y avait absolument aucune trace de sang, il n’y avait pas du tout de lésions cutanées
ou de lésions traumatiques qui peuvent justifier le décès".
Qu'est-ce
que vous pensez des vidéos où on voit les victimes ?
"Ces vidéos
ont été montrées à des experts ici en France et ces experts sont formels : à partir
de signes cliniques qui sont montrés sur les vidéos, l’utilisation de gaz toxique
est évidente. Pour qu’on soit sûr, il faut qu’il y ait des analyses dans des laboratoires
spécialisés, c’est pour ça qu’on a demandé à tous nos collègues de nous envoyer des
échantillons de sang, d’urines, des vêtements, ou encore du sol. Tout ça est conservé
dans des endroits adaptés et ces échantillons seront acheminés vers des pays occidentaux
qui possèdent des laboratoires spécialisés pour qu'ils soient analysés assez rapidement
et dans des conditions correctes. A ce moment-là, on pourra affirmer que des armes
chimiques ont été utilisées. Mais nous médecins, à partir des signes cliniques, on
peut dire qu’il y a une forte suspicion sur l’utilisation d’armes chimiques".
Que
pensez-vous de l'attitude de la communauté internationale après ces attaques ?
"Depuis
deux ans et demi que ça dure, il y a eu plus de 120 000 morts. Est-ce qu’on a encore
besoin de preuves, de milliers de morts supplémentaires pour que la situation soit
alarmante ? Tous les 3 mois la communauté internationale s’alarme parce qu’on a suspecté
l’utilisation d’armes chimiques. Tous les jours il y a plus de 150 à 200 morts, tous
les jours il y a des massacres qui sont commis, tous les jours il y a des crimes qui
sont commis par des bombardements classiques. Est-ce que la communauté internationale
a encore besoin de quelque chose pour la choquer, pour la traumatiser ? Ça fait deux
ans que ça dure : 120 000 morts, 400 000 blessés et plus de 5 millions de réfugiés,
qu’est-ce que la communauté internationale attend pour faire quelque chose ? On ne
demande pas une intervention militaire, mais au moins plus de pression sur le régime
pour au moins autoriser l’accès aux soins, car malheureusement ce droit n’est pas
du tout respecté en Syrie".
Oubaida Al Moufti, médecin franco-syrien
et porte-parole de l’Union des organisations syriennes de secours médicaux (UOSSM),
interrogé par Audrey Radondy
(avec agences)
(Photo :l'offensive
qui a eu lieu le 21 août près de Damas, la capitale, a fait un grand nombre de victimes,
même si le bilan reste imprécis.)