France : manifestation contre la montée de l'islamophobie
Environ 150 musulmans ont manifesté, lundi 12 août, près de Lyon pour dénoncer « l’islamophobie
montante ». Ils ont répondu à l’appel de Kamel Kabtane. Le recteur de la Grande mosquée
de Lyon a pris cette initiative après l’arrestation d’un militaire proche de l’extrême
droite, qui voulait tirer sur la mosquée de Vénissieux, le jour de l’Aïd, la fête
qui met fin au jeûne du Ramadan.
Plusieurs musulmans présents pendant la manifestation
ont confié s’inquiéter de ce « climat d’islamophobie » qui pour le recteur de la
Grande mosquée de Lyon, rappellerait même l’antisémitisme des années 30.
Le
père Christian Delorme, ex-curé des Minguettes, était aussi présent lors du rassemblement.
Engagé dans le dialogue islamo-chrétien, il nuance les propos du recteur
« Il a bien
sûr de l’exclusion, du rejet et on sent de plus en plus les tentations du rejet, notamment
par rapport aux femmes voilées, mais il y a aussi beaucoup de gens et c’est la majorité
en France, qui cherchent à construire une société pacifique et pacifiée. Et quand
je regarde les sorties des écoles alors je vois des femmes voilées et pas voilées,
maghrébines et pas maghrébines, musulmanes et pas musulmanes, qui parlent ensemble,
qui rient ensemble et c’est ça qui est important. C’est pour ça d’ailleurs, que pour
moi c’était important d’être hier au rassemblement de la mosquée El Forkane à Vénissieux,
c’est important pour dire, on n’est pas dans une société où les gens veulent se dresser
les uns contre les autres, ne laissons pas croire ça non plus. Il y a du racisme,
il y a de l’islamophobie, il y a de l’hostilité à l’égard des Roms, il y a etc. pleins
d’autres phénomènes, aussi parfois des phénomènes de rejet des Chrétiens ou des Européens,
ça arrive, tout cela existe mais la majorité de la société française veut vivre autrement
et c’est ça qu’il faut absolument préserver ensemble. »
Et pourquoi selon
vous, les religions, les minorités cristallisent toutes ces angoisses que peuvent
ressentir les Français ?
« On observe
et ce n’est pas d’aujourd’hui, que dans toutes les périodes de crise, les gens se
sentent insécurisés et lorsqu’il y a de nouveaux modes de vie qui apparaissent, les
gens peuvent parfois se sentir agressés. Je crois, que le fait d’être insécurisé par
la présence de l’autre, n’est pas un crime en soi. Ce qui devient un crime, c’est
lorsqu’on passe de la peur au rejet et à la haine. Mais aujourd’hui c’est sûr que
dans la période de grande insécurité économique mais aussi identitaire que les gens
rencontrent, dans ce contexte de la mondialisation, beaucoup croient que le salut
est dans la crispation sur son identité, plus ou moins rêvée d’ailleurs, et dans la
méfiance à l’égard des autres. C’est tous ensemble que nous devons affronter les nouvelles
problématiques du monde, c’est tous ensemble que nous en sortirons et non pas les
uns contre les autres. »
Vous avez parlé aussi de rejet vis-à-vis des Chrétiens.
C’est vrai qu’on parle beaucoup d’islamophobie en ce moment mais est-ce qu’on peut
parler aussi de christianophobie ?
« En France,
non, on n’est pas dans un cadre de christianophobie. Ce qui peut se passer en revanche,
ce sont des phénomènes de ressentiment, non pas à l’égard des Chrétiens mais à l’égard
des Européens de manière plus globale. Et dans certains quartiers parfois, des églises
ont fait l’objet d’actes de dégradation, même de profanations, mais au même titre
que des centres sociaux, que des MJC, que des commissariats. Les gens qui ont commis
ces actes-là, souvent des jeunes, ont plutôt visé des symboles d’une société française
et pas le christianisme en particulier. »
Mais ne donne-t-on pas, de l’importance
à un cas isolé ?
« Le
cas de ce projet d’attentat sur Vénissieux n’est pas isolé. D’autres événements se
succèdent depuis plusieurs années en France où il y a des agressions contre des musulmans
et sur des personnes qui ont une pratique ostentatoire, notamment des femme voilées
avec des « résultats » dramatiques. Il n’y a pas très longtemps en région parisienne,
à Argenteuil, une jeune femme enceinte a perdu son bébé à la suite d’un agression.
Elle a été agressée parce que voilée. Ce drame a été très peu médiatisé. On en a beaucoup
parlé dans les milieux musulmans, sur les sites musulmans, mais peu dans la presse
française, ce que je regrette parce que c’est un drame de nature à faire réfléchir
les gens. La plupart des gens, heureusement, lorsqu’ils apprennent qu’une femme a
perdu son enfant, ils sont émus. Une femme voilée peu nous paraître quelqu’un d’étrange
quand on est pas musulmans, mais lorsqu’une femme connait une telle souffrance, eh
bien à ce moment-là elle devient proche. »
Est-ce que des Chrétiens vivent
des situations similaires ?
« Je pense
que ce n’est pas tout à fait du même ordre, mais il ne faut pas nier le fait qu’il
peut y avoir dans des établissements scolaires_ et il faut alerter les autorités musulmanes
et les familles musulmanes_ il peut y avoir des jeunes chrétiens qui, parce qu’ils
sont très minoritaires, se font mettre en quarantaine, ou sont moqués parce qu’ils
portent une croix, on ne peut pas dire « ça n’arrive pas », cela arrive. Mais je pense
que la différence, c’est qu’il n’y a pas de grand mouvement musulman en France contre
les chrétiens. Les musulmans ont une opinion positive des chrétiens. C’est pour cela
que lorsqu’on parle de ces phénomènes-là, il faut faire attention à ne pas faire trop
d’amalgames. Il faut essayer d’avoir la mesure du phénomène. D’où l’importance de
l’existence d’enquêtes un peu scientifiques sur la montée des phénomènes de rejet,
de racisme ou d’intolérance. »
Et qu’est-ce qui pourrait être fait pour
apaiser cette situation, ce climat ?
« Il faut
écouter plus les gens. Je pense par exemple qu’il y a une fixation qui se fait sur
le voile depuis plusieurs années. La question du voile est très complexe parce que
les femmes et les jeunes filles qui portent le voile, le font pour des motifs diverses
et il ne faut pas voir de l’intégrisme partout ou y a du voile. Je pense qu’il
faut plus écouter ces femmes, se méfier de toutes les opérations politiciennes ou
maladroites comme ce projet pour interdire le voile dans les université. Je pense
qu’il s’agit d’une stigmatisation des musulmans qui n’est pas nécessaire. »
Et
est-ce que vous pensez qu’un gouvernement qui pense à des initiatives de ce genre,
peut ensuite se saisir de ce malaise pour y mettre un terme ?
« Non justement,
il y a un certaine incohérence et c’est là que le gouvernement doit être vigilent.
Dans un gouvernement, il y a des gens très différents et on sait très bien qu’il y
a toujours, plus ou moins, des tensions entre les ministres de l’Intérieur, de la
sécurité et les gens chargés des politiques d’intégration, des politiques sociales,
de la justice… Ça fait partie du jeu des institutions, du jeu républicain »
Version
intégrale de l'entretien accordé par le père Christian Delorme, ex-curé des Minguettes,
à Audrey Radondy