A l’Angélus, avec les fidèles rassemblés à midi sur la place Saint-Pierre, le pape
François a profité de la présence de l’archevêque de Bangui venu recevoir le pallium
pour encourager le peuple centrafricain durement éprouvé à cheminer avec foi et espérance.
Poursuivant sa réflexion sur le sens de la fête des saints Pierre et Paul, il a souligné
que c’est parce qu’elle est fondée sur le martyre de ces deux apôtres glorieux, que
l’Eglise de Rome est devenue, spontanément, dès le début, le point de référence pour
toutes les Eglises du monde. Non pas en vertu du pouvoir de l’Empire mais en vertu
de la force du martyre, du témoignage rendu au Christ. Le Saint-Père a chaleureusement
salué la délégation orthodoxe venue de Constantinople, il a invité les catholiques
à prier pour le Patriarche Bartholoméos 1er et pour son Eglise.
Une
préoccupation du Pape qui fait écho au message de l'épiscopat centrafricain
Nous
vous en parlions en début de semaine sur notre antenne, les évêques de Centrafrique
ont adressé un message aux chrétiens et aux hommes de bonne volonté au terme de leur
session ordinaire qui s’est tenue jusqu’à dimanche dernier au Siège de la Conférence
Episcopale Centrafricaine à Bimbo, au sud-ouest de Bangui. Un message pour le moins
inquiet dans lequel les évêques s'alarment de la situation dans le pays, où la rébellion
Séléka a pris le pouvoir fin mars. Les prélats évoquent notamment « la grande souffrance
de la population » qui subit « une énième escalade de violence politico-militaire
».
"Jamais, soulignent-ils, nous n’avons connu sur notre terre un conflit
aussi grave. Jamais une rébellion ne nous a drainé une aussi forte présence de combattants
étrangers. Jamais une crise ne nous a fait courir un tel risque de conflit religieux
et d’implosion du tissu social". Parmi les signataires, l'archevêque de Bangui
Mgr Dieudonné Nzapallainga, l'archevêque de Bangui. Écoutez son témoignage
Voici le texte
intégral de leur message :
INTRODUCTION
Chers frères et sœurs
dans le Christ et vous tous femmes et hommes de bonne volonté. Du 12 au 23 de ce
mois qui s’achève, Nous, Pasteurs de l’Eglise, sommes réunis en session ordinaire
au Siège de la Conférence Episcopale Centrafricaine (CECA) à Bimbo. Nous avons saisi
l’occasion pour partager au sujet des questions relatives à la vie de l’Eglise, portion
du peuple de Dieu en Centrafrique. Nous avons, par ailleurs, échangé sur le cours
des événements qui font l’actualité politique, économique et social au niveau de la
Nation. Par notre diverse provenance, nous constituons autant de fenêtres sur les
horizons de notre cher pays. Ainsi, tour à tour, il nous avait été donné d’entendre
le témoignage des Pères Evêques sur la grande souffrance imposée à nos compatriotes
par cette énième escalade de violence politico-militaire. Dans les affres de cette
rébellion, nous manifestons notre compassion à toutes les familles et aux personnes
qui sont affectées dans leur âme et dans leur chair. Nous les assurons de notre solidarité
dans la prière, la proximité et les différentes initiatives que nous avons prises
depuis le commencement de cette crise.
I) REALITES PRESENTES, LES EFFETS
ET LEURS IMPACTS
« Du jamais vu ! » Voilà les mots qui disent le sentiment
général du peuple face au déferlement des éléments de la SELEKA.Jamais l’on n’a connu
sur notre terre un conflit aussi grave dans son ampleur et dans sa durée. Jamais aucun
trouble militaro-politique ne s’était disséminé avec autant de violences et d’impacts
sur l’ensemble de notre territoire. Jamais une rébellion ne nous a drainé une aussi
forte présence de combattants étrangers. Jamais une crise ne nous a fait courir un
aussi grave risque de conflit religieux et d’implosion du tissu social. Un spectacle
« du jamais vu » sur tous les plans.
1) Sur le plan social
Sur
le plan social, on n’a pas fini de dresser le bilan en terme de perte de vies humaines,
de viols, de pillages, de villages incendiés, de destruction de champs, de violation
et spoliation de domiciles privés, des familles illégalement expropriées de leurs
maisons qui sont occupées de manière indue par un homme fort ou une bande armée. Le
tissu social a été complètement déchiré. Les valeurs et repères sociaux ont été travestis.
Le peuple a été soumis à un énorme traumatisme dont les conséquences sont manifestes
dans les cas de suicides et de dépressions.
2) Sur le plan économique
Sur
le plan économique, jamais une crise n’avait engendré une destruction aussi systématique
et programmée de ce qui restait du faible tissu industriel et économique du pays.
Quel héritage allons-nous légué à la génération montante ? L’envie d’assouvir des
intérêts égoïstes et mesquins ne saurait justifier l’irresponsabilité dont nous faisons
aujourd’hui montre dans la gestion irrationnelle de nos ressources.
3)
Sur le plan politico-administratif
Sur le plan politico-administratif,
jamais le peuple n’a compris l’obstination avec laquelle les combattants de la coalition
SELEKAont détruit les archives de l’administration publique et des collectivités locales.
Que se cache-t-il derrière cette volonté de destruction et d’annihilation de la mémoire
nationale ? Jamais le peuple n’a compris leur acharnement sur les représentants du
gouvernement ainsi que sur les agents de l’Etat en mission dans les écoles, leshôpitaux
et les divers services administratifs sur toute l’étendue du territoire. Ces actes
ont porté atteinte à l’existence même de notre Nation. L’autorité de l’Etat est mise
en questionpar des groupes armés qui ont établi une administration parallèle dans
différentes localités de l’arrière-pays.
4) Sur le plan éducatif et scolaire
Sur
le plan éducatif et scolaire, le risque d’une année blanche est réel. En dépit des
montages faits par les techniciens du Ministère de l’Enseignement et des appels répétés,
lancés par les autorités compétentes, la reprise des activités scolaires s’est faite
très timidement dans certains établissements de l’Enseignement Catholique Associé
de Centrafrique (ECAC) à Bangui, Bangassou, Kaga-Bandoro, Bouar, Berbérati et dans
quelques autres établissements publics. Un programme d’examens (concours d’entrée
en sixième, BC, BAC) vient d’être communiqué par les services d’Examens et Concours.
Que fait-on de la majorité des écoles saccagées et de celles qui restent encore fermées
?
5) Sur le plan sécuritaire et militaire
Sur le plan sécuritaire
et militaire, l’armée nationale et républicaine a cédé le pas à un agrégat de factions
en mal de cohésion, manquant d’éthique et de déontologie professionnelles. Ces éléments
continuent à se comporter en rebelles. Ils défient toute hiérarchie et donnent uniquement
allégeance à « leur chef militaire ». Ils prennent avantage des armes en leur possession
pour imposer leurs lois. En dépit des pillages et des nombreuses exactions qu’ils
ont commises sur la population, ils refusent de se faire désarmer. Par ailleurs les
mercenaires exigent encore d’être payés. Tel est le cas des Soudanais qui occupent
à ce jour la caserne des sapeurs pompiers. Même si un début de sécurisation est perceptible
à Bangui, il n’en est pas le cas dans l’arrière-pays où le cantonnement des éléments
de SELEKA devient un souffre-douleur pour la population livrée à leur merci. Ces hommes
supposés assurer la sécurité des personnes se transforment en leurs bourreaux. Ils
s’arrogent le droit de commettre toutes les exactions. La vie du Centrafricain n’a
désormais aucun prix.
Ces éléments de SELEKA, pour la plupart des Tchadiens
et des Soudanais, peuvent impunément tuer, violer, piller, saccager, incendier des
maisons, des greniers, des villages entiers, en représailles à la légitime défense
opposée par les populations. Nous déplorons la dissémination, à travers le pays,
des armes de tout calibre, qui augmente le sentiment et le fait d’insécurité. Alors
que nous venons de célébrer le dimanche 19 juin 2013 la Journée de ‘l’Enfant Africain’,
nous condamnons la pratique des enfants soldats qui ne crée aucun climat propice à
l’épanouissement de l’enfant et de la jeunesse en Centrafrique.
6) Sur
le plan religieux et cultuel
Sur le plan religieux et cultuel, l’ardeur
et la déterminationavec lesquelles les éléments de SELEKAont profané des lieux de
culte chrétien et se sont pris de manière ciblée aux biens des chrétiens, ont ébranlé
les fondements de notre cohésion sociale. L’unité du peuple centrafricain est ainsi
mise à rude épreuve surtout à la vue des comportements de complicité que nous déplorons
chez certains de nos frères musulmans. Ces attitudes répondent-elles à un agenda caché
comme certains éléments le laissent présager ? Toutefois nous exhortons les autorités
politiques à tout mettre en œuvre pour ne pas exacerber ces tensions dont l’implosion
causera beaucoup de mal à notre pays. Nous réitérons notre attachement au principe
de laïcité qui a façonné notre pays. Par ailleurs nous compatissons avec certaines
communautés musulmanes qui ont été prises en otage et doivent la sécurisation de leurs
biens, grâce à un système d’omerta qui consiste à verser, par anticipation, une rançon
aux éléments de SELEKA avant que ces derniers n’entrent dans une ville.
II)
NOUS SOMMES TERRASSES, MAIS PAS ANEANTIS (2 Co 4, 9)
1) Dépositaires
de la Bonne Nouvelle du Salut
Chers frères et sœurs dans le Christ et vous
tous, femmes et hommes de bonne volonté, face à cette situation nouvelle qui génère
tant de souffrances, nous sommes plus que jamais invités à rendre compte de la foi
et de l’espérance qui nous habitent. Dépositaires de la BONNE NOUVELLE DU SALUT, continuons
à annoncer l’Evangile et à en vivre à la manière de la première communauté chrétienne.
Le livre des Actes des Apôtres raconte, en effet, le récit de la persévérance des
Apôtres, nos Pères et Modèles à la suite du Christ, dans les épreuves. Alors que les
autorités juives tentaient d’éliminer le CHRIST RESSUSCITE et d’empêcher la pratique
de la foi, les Apôtres n’ont jamais reculé. Bien au contraire, ils ont exhorté à la
conversion et à la connaissance du Christ. Avec patience et courage, ils ont proclamé
Jésus-Christ, Vainqueur de la Peur et du Mal (cf.Ac 5, 40-42).
2) Témoins
de l’Evangile
Chers frères et sœurs dans le Christ, vous ne pouvez plus
vivre votre foi aujourd’hui comme vous l’aviez fait par le passé dans la tiédeur et
sans ferveur. Les problèmes nouveaux auxquels nous sommes confrontés constituent autant
de défis qui vous appellent à un plus grand attachement au Christ et à une plus forte
affirmation des valeurs chrétiennes qui nous caractérisent. Nous vous exhortons, vous,
en tant que témoins authentiques de l’EVANGILE, à investir, conformément à votre engagement
chrétien, les champs politique, économique et social. Telle est la vocation qui vous
est propre selon les termes du Décret pour l’Apostolat des Laïcs au n° 7:Les laïcs
doivent assumer comme leur tâche propre le renouvellement de l’ordre temporel. Eclairés
par la lumière de l’Evangile, conduits par l’esprit de l’Eglise, entraînés par la
charité chrétienne, ils doivent en ce domaine agir par eux-mêmes d’une manière bien
déterminée. Membres de la cité, ils ont à coopérer avec les autres citoyens suivant
leur compétence particulière en assumant leur propre responsabilité, et à chercher
partout et en tout la justice du Royaume de Dieu. L’ordre temporel est à renouveler
de telle manière que, dans le respect de ses lois et en conformité avec elles, il
devienne plus conforme aux principes supérieurs de la vie chrétienne et soit adapté
aux conditions diverses des lieux, des temps et des peuples.
Il vous revient
donc la gestion du temporel, l’animation de la vie politique et la conduite des affaires
publiques. Ainsi votre lumière est appelée à rayonner au cœur des pratiques douteuses
qui constituent un frein au développement de notre pays et affectent, par ailleurs,
notre cohésion sociale. Il s’agit notamment du népotisme, du régionalisme, du clientélisme,
de la corruption, de l’impunité, de l’accaparement ou la destruction des biens publics,
de la violation des droits de l’homme, des détournements … que nous ne cessons de
déplorer.
Pris dans les structures de péché, nous semblons avoir cédé à la
haine, à l’envie de vengeance personnelle en privilégiant plutôt des intérêts égoïstes
et mesquins. Nous manquons d’ambition et de vision claire pour la Nation toute entière.
Chers frères et sœurs et vous, femmes et hommes de bonne volonté, qui animez la vie
politique nationale, nous tenons à vous rappeler que la foi comporte une dimension
socio-politique. Quelles sont nos responsabilités individuelles et collectives dans
les crises qui affectent notre pays ? Combien de temps encore allons-nous nous laisser
manipuler par des puissances étrangères qui nous utilisent, nous infantilisent et
font de nous des prédateurs contre notre peuple ? Par patriotisme, nous vous exhortons
à la vigilance.
3) Vers un chemin de réconciliation et de reconstruction
sociale
Par ailleurs, nous saluons et encourageons la mise en place de
la plateforme des leaders religieux, catholiques, protestants et musulmans, et tout
le travail qui s’y fait en vue de la décrispation de la tension religieuse qu’on a
voulu nous imposer. Solidaires de cette initiative, nous vous appelons, chers frères
et sœurs dans le Christ, à ne pas céder à la tentation d’une confrontation avec nos
frères musulmans. Ne brisons donc pas la bonne harmonie qui a caractérisé nos différentes
communautés religieuses. En effet, catholiques, protestants et musulmans ont toujours
cohabité de manière conviviale en Centrafrique. Telle est l’exhortation que le Pape
Benoit XVI a lancé aux fidèles à l’endroit « des musulmans qui adorent le Dieu Un,
vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre,
qui a parlé aux hommes » (AM n° 94).
En cette année de la foi, chers frères
et sœurs, l’occasion nous est accordée de nous affermir dans le témoignage de la charité.
En effet, « la foi sans la charité ne porte pas de fruit et la charité sans la foi
serait un sentiment à la merci constante du doute. Foi et charité se réclament réciproquement,
si bien que l’une permet à l’autre de réaliser son chemin » (Lettre apostolique Porta
Fidei, n° 14). Ce témoignage est rendu possible par l’attachement personnel de chaque
fidèle au Christ.
Confions notre pays à la grâce et à la miséricorde de Notre
Dieu qui est Père, Fils et Saint-Esprit, par l’intercession de l’Immaculée Conception,
Reine de la Paix et Mère de Centrafrique.
Donné en l’année du Seigneur, le
23 juin 2013 au Siège de la CECA