2013-06-22 18:22:27

Aoua Keita, figure de proue dans la lutte pour l’émancipation de la femme africaine


Les femmes africaines ont joué un rôle méconnu mais fondamental dans la construction de l'Afrique indépendante. Dans les années 60, au moment où plusieurs pays du continent accédaient à l’indépendance, les femmes ayant repoussé les limites qui leur étaient jusqu’alors assignées, ouvraient des voies nouvelles pour l’émancipation du genre féminin en prenant une part très active au sein des mouvements de contestations pour les indépendances.
Elles ont même servi d'avant-garde pour conquérir l'indépendance, mais le combat pour leur liberté s'est toujours heurté à des difficultés. Dès la période coloniale, les femmes africaines ne restèrent pas inactives dans le jeu politique. Elles se battirent aux côtés des hommes avec leurs armes propres et laissèrent des traces même si celles-ci sont souvent moins visibles que celles des hommes.
En Afrique de l’ouest, par exemple, on peut citer le rôle décisif joué par les femmes sénégalaises et maliennes lors de la grève des cheminots du Dakar-Niger de 1947, notamment le combat mené par la première femme syndicaliste du Mali, première femme députée de ce pays combat qui visait « à mener la vie des hommes et des femmes à la dignité, c'est-à-dire à la liberté et au travail » il s’agit de Mme Aoua Keita ; une vraie combattante pour l'indépendance du Mali
Née en 1912 à Bamako, elle est la fille de Karamoko Keïta, un militaire originaire de Kouroussa, en Guinée, et de Mariam Coulibaly. A l'âge de onze ans, son père l'inscrit à la première école de filles ouverte au Mali par l'administration coloniale et, en 1928, elle est admise à l'Ecole de médecine de Dakar d'où elle sort avec un diplôme d'infirmière. Elle travaille ensuite comme sage-femme, déménageant d'un endroit à l'autre au gré de ses affectations. Son travail auprès des femmes de diverses régions de la colonie française d’Afrique marque le début d'une évolution importante dans le domaine de la santé, de l'hygiène et des soins apportés aux nourrissons.
Toutefois, c'est surtout l'activité politique d'Aoua Kéita – et plus tard, son élection comme Députée au Parlement – qui marque l'histoire du Soudan français, l’actuel Mali.
L'intérêt d'Aoua Kéita pour la politique commence en 1935, l'année où elle épouse Daouda Diawara, un jeune docteur qui partage ses idées politiques avec sa femme.
En 1945, le couple s'engage dans l'Union Soudanaise – Rassemblement Démocratique Africain et bien qu'Aoua ne participe pas aux réunions qui, dit-elle, dans son autobiographie, « se passaient alors entre hommes », elle est régulièrement informée de ce qui se passe par son époux qui, ajoute-t-elle, « m'a toujours considérée en égale ».
Son militantisme politique commence d'abord par le syndicat. Elle a milité au sein du Syndicat des travailleurs du Soudan français, dans les années 50.
Elle jouera un rôle politique de premier plan, aux côtés de Modibo Keïta jusqu'au coup d'état militaire de 1968. Elle a notamment été la seule femme à prendre part, en 1962, à l'élaboration du Code Malien du mariage et de la tutelle qui fut une grande avancée pour les droits de la femme au Mali
Elle représente le Mali en juillet 1959 à la rencontre constitutive de l'Union des Femmes de l'Afrique de l'Ouest, à Bamako. Elle est à l'origine de la Journée Internationale de la Femme Africaine, promulguée par l'ONU et l'UA le 31 juillet 1962.
La même année, elle participe à la conférence des femmes de Dar- es-Salam qui donna naissance à l'Organisation Panafricaine des Femmes.
En 1975, elle publie Femme d’Afrique : La Vie d’Aoua Keïta racontée par elle-même.
Infatigable et convaincue de ce qu'elle faisait, elle continue à se battre pour la liberté, la démocratie et la paix universelle. Mais, le régime du premier président Modibo Kéita est renversé par un coup d'Etat militaire organisé par Moussa Traoré en 1968. Cela marqua la fin de la carrière politique d'Aoua Kéita qui rejoignit son second mari au Congo-Brazzaville en 1970 et ne rentra au Mali qu'en 1979, un an avant son décès, le 7 Mai 1980 à Bamako
Aoua Kéita a été honorée de plusieurs distinctions: Médaille d'or de l'indépendance du Mali, Mérite de la Croix-Rouge de l'Empire de l'Ethiopie. De plus, elle a été élevée au rang de Grand Officier de l'Ordre National du Sénégal, de Grand Commandeur de l'Ordre de l'étoile d'Afrique du Libéria et d'Officier de l'Ordre National du Dahomey actuel Bénin.
L'autobiographie d'Aoua Kéita, publiée en 1975, est un ouvrage fascinant qui retrace les aléas du parcours politique et professionnel de l'auteure, de 1930 à 1960. Cet ouvrage permet de découvrir la vie d'une intellectuelle africaine soumise à la double influence de la colonisation et des traditions africaines, deux formes de pouvoir qui étaient loin de répondre aux aspirations des femmes de l'époque et incitèrent quelques pionnières à prendre en main leur destinée.
Rappelons aussi que les idées progressistes d'Aoua Kéita, ses opinions politiques et ses activités n’ont pas uniquement été combattues par une élite politico-traditionnelle dominée par les hommes ; il y eut aussi de femmes qui ne partageaient pas ses vues et refusent d'embrasser les changements sociaux qu'elle préconisait. Les sages-femmes traditionnelles, par exemple, trouvaient contraire à leur déontologie de partager avec une jeune femme célibataire et sans enfants, un savoir qui se transmet traditionnellement de mère en fille. Dans son autobiographie, Aoua Kéita raconte qu’elle n'était pas femme à se décourager facilement et elle était convaincue que seule une solidarité féminine bien structurée pouvait conduire à des changements durables.
Marie José Muando Buabualo







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