Aoua Keita, figure de proue dans la lutte pour l’émancipation de la femme africaine
Les femmes africaines ont joué un rôle méconnu mais fondamental dans la construction
de l'Afrique indépendante. Dans les années 60, au moment où plusieurs pays du continent
accédaient à l’indépendance, les femmes ayant repoussé les limites qui leur étaient
jusqu’alors assignées, ouvraient des voies nouvelles pour l’émancipation du genre
féminin en prenant une part très active au sein des mouvements de contestations pour
les indépendances. Elles ont même servi d'avant-garde pour conquérir l'indépendance,
mais le combat pour leur liberté s'est toujours heurté à des difficultés. Dès la période
coloniale, les femmes africaines ne restèrent pas inactives dans le jeu politique.
Elles se battirent aux côtés des hommes avec leurs armes propres et laissèrent des
traces même si celles-ci sont souvent moins visibles que celles des hommes. En
Afrique de l’ouest, par exemple, on peut citer le rôle décisif joué par les femmes
sénégalaises et maliennes lors de la grève des cheminots du Dakar-Niger de 1947, notamment
le combat mené par la première femme syndicaliste du Mali, première femme députée
de ce pays combat qui visait « à mener la vie des hommes et des femmes à la dignité,
c'est-à-dire à la liberté et au travail » il s’agit de Mme Aoua Keita ; une vraie
combattante pour l'indépendance du Mali Née en 1912 à Bamako, elle est la fille
de Karamoko Keïta, un militaire originaire de Kouroussa, en Guinée, et de Mariam Coulibaly.
A l'âge de onze ans, son père l'inscrit à la première école de filles ouverte au Mali
par l'administration coloniale et, en 1928, elle est admise à l'Ecole de médecine
de Dakar d'où elle sort avec un diplôme d'infirmière. Elle travaille ensuite comme
sage-femme, déménageant d'un endroit à l'autre au gré de ses affectations. Son travail
auprès des femmes de diverses régions de la colonie française d’Afrique marque le
début d'une évolution importante dans le domaine de la santé, de l'hygiène et des
soins apportés aux nourrissons. Toutefois, c'est surtout l'activité politique
d'Aoua Kéita – et plus tard, son élection comme Députée au Parlement – qui marque
l'histoire du Soudan français, l’actuel Mali. L'intérêt d'Aoua Kéita pour la politique
commence en 1935, l'année où elle épouse Daouda Diawara, un jeune docteur qui partage
ses idées politiques avec sa femme. En 1945, le couple s'engage dans l'Union Soudanaise
– Rassemblement Démocratique Africain et bien qu'Aoua ne participe pas aux réunions
qui, dit-elle, dans son autobiographie, « se passaient alors entre hommes », elle
est régulièrement informée de ce qui se passe par son époux qui, ajoute-t-elle, «
m'a toujours considérée en égale ». Son militantisme politique commence d'abord
par le syndicat. Elle a milité au sein du Syndicat des travailleurs du Soudan français,
dans les années 50. Elle jouera un rôle politique de premier plan, aux côtés de
Modibo Keïta jusqu'au coup d'état militaire de 1968. Elle a notamment été la seule
femme à prendre part, en 1962, à l'élaboration du Code Malien du mariage et de la
tutelle qui fut une grande avancée pour les droits de la femme au Mali Elle représente
le Mali en juillet 1959 à la rencontre constitutive de l'Union des Femmes de l'Afrique
de l'Ouest, à Bamako. Elle est à l'origine de la Journée Internationale de la Femme
Africaine, promulguée par l'ONU et l'UA le 31 juillet 1962. La même année, elle
participe à la conférence des femmes de Dar- es-Salam qui donna naissance à l'Organisation
Panafricaine des Femmes. En 1975, elle publie Femme d’Afrique : La Vie d’Aoua Keïta
racontée par elle-même. Infatigable et convaincue de ce qu'elle faisait, elle continue
à se battre pour la liberté, la démocratie et la paix universelle. Mais, le régime
du premier président Modibo Kéita est renversé par un coup d'Etat militaire organisé
par Moussa Traoré en 1968. Cela marqua la fin de la carrière politique d'Aoua Kéita
qui rejoignit son second mari au Congo-Brazzaville en 1970 et ne rentra au Mali qu'en
1979, un an avant son décès, le 7 Mai 1980 à Bamako Aoua Kéita a été honorée de
plusieurs distinctions: Médaille d'or de l'indépendance du Mali, Mérite de la Croix-Rouge
de l'Empire de l'Ethiopie. De plus, elle a été élevée au rang de Grand Officier de
l'Ordre National du Sénégal, de Grand Commandeur de l'Ordre de l'étoile d'Afrique
du Libéria et d'Officier de l'Ordre National du Dahomey actuel Bénin. L'autobiographie
d'Aoua Kéita, publiée en 1975, est un ouvrage fascinant qui retrace les aléas du
parcours politique et professionnel de l'auteure, de 1930 à 1960. Cet ouvrage permet
de découvrir la vie d'une intellectuelle africaine soumise à la double influence de
la colonisation et des traditions africaines, deux formes de pouvoir qui étaient loin
de répondre aux aspirations des femmes de l'époque et incitèrent quelques pionnières
à prendre en main leur destinée. Rappelons aussi que les idées progressistes d'Aoua
Kéita, ses opinions politiques et ses activités n’ont pas uniquement été combattues
par une élite politico-traditionnelle dominée par les hommes ; il y eut aussi de femmes
qui ne partageaient pas ses vues et refusent d'embrasser les changements sociaux qu'elle
préconisait. Les sages-femmes traditionnelles, par exemple, trouvaient contraire
à leur déontologie de partager avec une jeune femme célibataire et sans enfants, un
savoir qui se transmet traditionnellement de mère en fille. Dans son autobiographie,
Aoua Kéita raconte qu’elle n'était pas femme à se décourager facilement et elle était
convaincue que seule une solidarité féminine bien structurée pouvait conduire à des
changements durables. Marie José Muando Buabualo