Entretien. Peut-on encore parler de « printemps arabe » ? Que sont devenus les idéaux
de liberté, d’égalité et de justice sociale revendiqués par les révolutionnaires tunisiens,
égyptiens et libyens ? Qu’en est-il du processus démocratique initié dans ces
pays ? Qu’en est-il surtout de leur situation économique, sociale et sécuritaire
? Quelle place pour les chrétiens dans ces nouveaux panoramas ?
Autant de questions
abordées lors d’une conférence donnée par Mgr Michael Fitzgerald, nonce au Caire jusqu’en
septembre 2012, et organisée sous l’égide de l’Institut pontifical d’Etudes arabes
et d’islamologie (PISAI). Témoin privilégié des évènements ayant conduit à la chute
du président Moubarak, Mgr Fitzgerald partage ainsi son expérience, et revient sur
les nombreuses questions soulevées par ces révolutions arabes.
Avant tout,
la liberté d'expression
L’un des apports principaux de ces révolutions
a été la liberté d’expression. « Au moins en Egypte, affirme Mgr Fitzgerald, les personnes
n’ont plus peur de s’exprimer, on entend toutes les opinions ». La presse et la télévision
sont devenues les lieux privilégiés où s’exerce cette liberté conquise. C’est une
véritable prise de conscience : « la société civile pense qu’elle a quelque chose
à dire », souligne Mgr Fitzgerald.
Les peuples sont-ils pour autant pleinement
satisfaits des résultats immédiats de ces diverses révolutions ?
« Je
ne crois pas », avoue Mgr Fitzgerald, et de citer le cas spécifique de l’Egypte. «
Les gens sont déçus par le gouvernement, ou plutôt par le manque de gouvernement »,
affirme-t-il. L’inertie gouvernementale, et l’absence de mesures, exacerbent une situation
économique désastreuse. Les touristes, peu rassurés, préfèrent les stations balnéaires
de la mer Rouge, délaissant le Caire, Louxor, ou Assouan, qui dépendent essentiellement
de l’industrie touristique.
D’une manière générale, c’est la confiance qu’il
faut redonner aux investisseurs, découragés par l’instabilité, et « le manque d’ordre
». « Mais ce n’est pas la fin! », tempère Mgr Fitzgerald, se référant aux prochaines
élections législatives qui devraient se tenir au mois d’octobre. « On peut exercer
son droit à voter contre le gouvernement qui est là », ajoute-t-il. « Ceux qui sont
du bord des Frères musulmans sont plutôt contents ! » de la situation, reconnait-il
avec humour, « mais ils ne sont pas la majorité dans le pays », prend-t-il soin de
spécifier, tout en déplorant les divisions patentes entre les différents partis et
factions non islamistes, cette véritable « fragmentation des forces », qui « affaiblit
l’opposition au gouvernement actuel ».
Quelles sont donc les perspectives
pour l’Egypte ?
Pour Mgr Fitzgerald, « le processus démocratique est entré
en jeu, et il faut l’encourager ». Les chrétiens, quant à eux, ne doivent pas oublier
le cœur du message du synode des évêques pour le Moyen-Orient, -qui avait eu lieu
avant les printemps arabes-, et qui les invitait au courage, à l’espérance et à l’engagement.
L’heure n’est pas à la fuite, mais à la lutte « démocratique », insiste Mgr Fitzgerald.
« Ce message est difficile » , reconnait-il, mais le voyage de Benoît XVI au Liban
en septembre 2012, ainsi que les contacts qu’il y avait établis avec les musulmans,
ont, toujours pour Mgr Fitzgerald, « renforcé ce message » synodal. « Oui l’avenir
n’est pas très brillant pour le moment, mais je pense que notre foi et notre espérance
doivent continuer », conclue-t-il.
Ecoutez l'intégralité de l'entretien,
réalisé par Manuella Affejee :