Enlèvements et tortures dans le Sinaï, une religieuse témoigne
Entretien. Les autorités égyptiennes ont envoyé lundi des renforts policiers
dans le Sinaï, après l'enlèvement de membres des forces de sécurité et de nouvelles
attaques contre les forces de l'ordre dans cette région en proie à une instabilité
croissante. Au Caire, la présidence a indiqué « ne pas avoir négocié avec les criminels
» ayant kidnappé trois policiers et quatre soldats jeudi, en affirmant que « toutes
les options sont envisageables » pour obtenir leur libération.
Sept soldats
et policiers enlevès
Lundi à l'aube, des hommes non identifiés ont tiré
à l'arme lourde sur un camp de la police, dans le Nord-Sinaï, sans faire de victime.
Plus tard dans la journée, des inconnus ont ouvert le feu sur un poste-frontière avec
Israël réservé aux marchandises, Al-Ouga, à proximité d'un autre camp de la police
égyptienne.
Ces incidents interviennent après l'enlèvement jeudi dans le Sinaï
de sept soldats et policiers, qui dans une vidéo depuis retirée du site de partage
YouTube ont indiqué que leurs ravisseurs exigeaient la libération de « militants politiques
» bédouins détenus.
Les réfugiés, premières victimes des ravisseurs
D’autres
destins tragiques sont également en jeu dans le Sinaï. Cette région est en effet le
théâtre d’une tragédie qui dure depuis des années : le trafic systématique, les enlèvements,
et la torture des réfugiés dans le désert avant leur entrée en Israël. Des histoires
insupportables de douleur physique et émotionnelle, des histoires de mort que la sœur
Azezet Kidane entend au quotidien.
La religieuse combonienne vit à Jérusalem
et lutte depuis des années contre le trafic des personnes dans le Sinaï. Elle a reçu
en 2012, le Prix des Héros de la part du département d’Etat américain. Mari Duhamel
l’a rencontrée, elle revient sur cette histoire tragique qui continue de se dérouler
sous les yeux d’une communauté internationale irresponsable selon elle. Écoutez sœur
Azezet Kidane
Au
début ça a commencé par le trafic d’êtres humains, des passeurs promettaient beaucoup
de choses à ceux qui voulaient se rendre en Israël, en échange ils devaient payer
entre 1 500 euros et 3 500 dollars. Le trajet pour venir en Israël se faisait dans
des conditions extrêmes. Les migrants étaient entassés dans des camions, ils étaient
échangés à d’autres trafiquants en cours de route, c’est horrible. Régulièrement,
certains passeurs arrivaient avec plusieurs jours de retard à un rendez-vous. Les
migrants devaient attendre sans nourriture, ni eau, beaucoup mourraient. Mais
surtout ces derniers temps il y a eu une augmentation de la torture en échange d’argent,
ça a commencé lorsque le nombre de candidats à l’émigration s’est réduit.
Les
passeurs ont dû trouver d’autres solutions, alors ils ont commencé à kidnapper des
personnes en Ethiopie et en Erythrée. Ils les emmènent de force dans le Sinaï et ils
les torturent, par exemple, le 13 février dernier, une femme a été tuée. Ils lui ont
coupé la langue et l’ont tellement torturée qu’elle en est morte. Elle était handicapée.
Ils ont envoyé un message à son frère mais personne ne pouvait payer pour elle. Les
ravisseurs demandaient 13 000 ou 14 000 dollars. Avez-vous
déjà parlé avec les preneurs d’otages ?
Quelques fois, ils m’ont
appelé mais je leur ai dit que je ne voulais parler à personne. Je ne l’ai jamais
fait, je ne veux pas les rencontrer. Ce sont des criminels, plus on s’implique et
plus les otages seront torturés parce que les kidnappeurs pensent que nous sommes
une grosse organisation et qu’on peut les aider. C’est pour cette raison qu’on ne
doit pas être en contact avec eux.
Mais nous savons qui sont ces
kidnappeurs ?
Amnesty international a une liste avec tous
les noms des ravisseurs et des bourreaux. Les victimes également nous disent qui sont
les kidnappeurs et où ils se trouvent, mais la communauté internationale reste silencieuse
bien que les médias en parlent régulièrement. Des gens meurent, personne ne fait rien,
c’est ma plus grande peine. Nous avons pourtant fait parler des centaines de victimes
devant des journalistes de tous les pays du monde, mais personne ne fait un pas en
avant pour venir en aide à ces personnes qui souffrent et qui continuent de mourir.(Entretien
réalisé par Marie Duhamel)