Finance éthique ? "Tout dépend des valeurs et priorités de ses acteurs"
Un système financier orienté vers le bien commun. Le Saint-Siège souhaite que la société
civile, les Etats et les multinationales agissent de concert pour mettre en place
un tel système. C’est le président du Conseil pontifical Justice et Paix, le cardinal
Peter Turkson, qui l’a affirmé lundi 13 mai à l’ouverture d’un colloque sur l’éthique
bancaire réunissant au Vatican banquiers, chefs d’entreprise et économistes.
La
finance pour le bien commun. Autrement dit : la finance éthique. Une finance qui prend
en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Et dans cette
finance se trouvent évidemment les marchés. Des marchés « au service du bien commun
», c’était l’un des thèmes abordés lundi.
Pour ce bien commun, les marchés
et les acteurs financiers ont-ils besoin de règles ou peuvent-il s’autoréguler ? «
A partir du moment où des personnes interagissent », comme c’est le cas sur les marchés,
entre épargnants et investisseurs, « tout dépend des valeurs et des priorités de ces
personnes ».
Règles et autorégulation, il faut donc les deux, répond Pierre
de Lauzun, l’un des animateurs du colloque, directeur général adjoint de la Fédération
bancaire française et délégué général de l’Association française des marchés financiers.
Il a accordé un entretien à Radio Vatican, il est au micro d’Antonino Galofaro
:
Des règles pour
réguler la finance et ses acteurs sont indispensables selon l’économiste. « Si vous
ne comptez que sur la moralité des gens, évidemment, les bandits font ce qu’ils veulent.
» Démonstration par l’exemple : sur la route, « si vous ne comptez que sur les policiers
et que tout le monde conduit n’importe comment, ça ne fonctionne pas. » Pour Pierre
de Lauzun, il y a donc à la fois un besoin « d’intériorisation des règles », donc
d’un « changement culturel le plus large possible. » Mais pour lui, il faut dans le
même temps des règles pour « limiter les excès ».
Une autorité supranationale
Finance
globalisée oblige, faut-il une autorité supranationale pour édicter ces règles ? L’idée
avait été avancée par le cardinal Peter Turkson lui-même, en 2011. Pierre de Lauzun
semble adhérer à cette idée, car pour lui, « si vous régulez correctement le marché
dans un pays A et que le pays B autorise n’importe quoi, tout le monde va aller dans
le second pays. » Le marché va donc se déplacer là où il est le moins régulé, « ce
qui n’est pas bon ».
Mais l’économiste se veut réaliste : « prenez l’Union
européenne et les Etats-Unis. Ils définissent leurs règles chacun de leur côté. Il
n’est donc pas facile de les obliger à se mettre d’accord sur des règles internationales.
» Selon le cardinal Peter Turkson lundi, l’idée d’une supervision des banques, notamment
européennes, a perdu de sa force.
Le président du Conseil pontifical Justice
et paix propose donc une politique des petits pas : commencer par favoriser la supervision
des systèmes bancaires au niveau national, par pays.
Le concept de finance
éthique et ses limites
Un ancien analyste ISR (Investissement socialement
responsable) pour une agence de notation américaine, Gaëtan Mortier, la dénonce dans
son livre « Finance éthique : le grand malentendu ». En résumé, cette politique économique
n’est qu’une image, comme peut l’être le greenwashing, ce procédé marketing qui a
pour but de se donner une image éco-responsable.
Pour Pierre de Lauzun, il
y a bien une partie « de façade », mais « le fait qu’il y en ait une a l’avantage
de l’hypocrisie : reconnaitre qu’il y a un certain bien à faire quelque part ». L’éthique
donc, mais avec les réalités du milieu : il est clair pour lui que si on investit
sur les marchés, « c’est pour avoir un certain rendement, sinon ce n’est pas un investissement.
» C’est donc là où il faut être responsable, poursuit-il. « Mais attendre un rendement
zéro, c’est accepter de gaspiller de l’argent, ce qui n’est pas bien non plus. Produire
est un bien commun, pas gaspiller. »
« Il y a donc aussi une attitude éthique
à avoir par rapport à ce que l’on attend en terme de résultats. »
Une journée
de colloque, un pas sur une route encore longue, encore d’ailleurs « au début du processus
». De plus, reste une question, et une question centrale : « comme le rappelait Benoît
XVI, se souvient Pierre de Lauzun, quand on parle d’éthique, faut-il encore savoir
de quoi on parle ? »
« Si l’éthique, c’est uniquement l’environnement ou le
travail, conclut-il, c’est très bien. Mais ce n’est pas du tout suffisant. Il faut
regarder la manière dont on traite l’environnement politique, la société autour, les
clients, les fournisseurs, les produits, et ainsi de suite. »