Les veilleurs réveillent tranquillement les consciences
Le rendez-vous est devenu habituel, presqu’incontournable. Depuis huit jours maintenant,
des centaines de jeunes opposants au « mariage pour tous » se retrouvent chaque soir,
sur la pelouse des Invalides, à Paris.
Assis calmement, ces « veilleurs »
ont fait le choix de la non-violence et de la résistance pacifique. Le silence observé
n’est pas celui de la passivité ou du découragement, mais celui de la détermination.
Ici, on lutte avec l’esprit ; on lit Aragon, Bernanos, Hugo, et autres auteurs de
tout siècle et de toute sensibilité. L’art, la culture et la littérature : voici leurs
armes pour réveiller les consciences.
Ce mouvement spontané, en marge de la
« manif pour tous » fait des émules en province : Lyon , Toulouse, Toulon, Nantes…Cette
« Révolution tranquille » fait son chemin, et le vote définitif de la loi sur le mariage
pour tous n’y changera rien.
Regards croisés de Marie, jeune étudiante «
veilleuse », et de l’abbé Pierre-Hervé Grosjean, prêtre du diocèse de Versailles.
Leurs témoignages sont recueillis par Manuella Affejee :
Marie
: Alors l’esprit c’est vraiment de montrer notre résistance et notre détermination
face à ce projet de loi pour le mariage pour tous, mais pas seulement… Face à tous
les projets de loi que notre gouvernement veut faire passer et qui contribuent à détruire
les fondements de notre société, à détruire la famille, à détruire tout ce qui est
fondé sur la complémentarité des sexes… Et c’est contre cette idéologie, -parce que
c’est vraiment une idéologie-, qu’on veut résister… Mais par la non-violence, par
la force de l’esprit, par la culture, par une sorte de force intérieure que rien ne
peut nous enlever.
Abbé Grosjean : En tant que prêtre, je suis extrêmement
ému et touché de voir la générosité de ces jeunes, la conviction de ces jeunes, qui
sont prêts à s’engager, à prendre du temps, pour défendre ce qu’il y a de plus beau
! Non pas des intérêts particuliers, non pas un salaire, ou un emploi, mais l’idée
même de la famille, des droits de l’enfant, le modèle de société dans lequel ils veulent
vivre, dans lequel ils vont eux-mêmes construire leurs propres vies.
Marie
: C’est d’abord le silence de l’écoute, puisque c’est pour nous mettre à l’écoute
des textes, de la musique aussi. Donc c’est ceux qui acceptent d’écouter, d’apprendre
et de recevoir, d’abord. Et puis c’est aussi un silence de résistance et de détermination.
C’est montrer notre force, en fait, de rester silencieux. Ne pas se laisser entrainer
par le bruit, les cris qui nous entourent.
Abbé Grosjean : Il suffit
d’assister à ces rassemblements pour comprendre combien ce silence est parlant, paradoxalement.
Le gouvernement a essayé de caricaturer la mobilisation de ces jeunes, le gouvernement
a essayé de ne parler que d’agités d’extrême-droite… Et les journalistes, quand ils
viennent, s’attendent à voir cela. Et qu’est-ce qu’ils voient ? Des centaines et des
centaines de jeunes assis avec des petites lumières, en silence, dans la nuit, entourés
de CRS lourdement armés, casqués, boucliers, matraques… Il y a comme un contraste
saisissant !
Marie : Alors, les premiers soirs, ça a été très tendu.
Je pense qu’ils ont eu du mal à comprendre ce que représentait notre mouvement. Ils
n’ont pas l’habitude d’être confrontés à une masse de jeunes qui restent pacifiques.
Je pense aussi qu’ils devaient obéir à des ordres, qui ne correspondaient pas forcément
à ce qu’il fallait faire. Mais les derniers soirs, ça s’est bien passé. Les CRS étaient
là, mais ils nous ont laissés faire notre veillée en paix. Et nous nous sommes dispersés
à minuit et demie, comme tous les soirs.
Abbé Grosjean : On voyait
bien les CRS, les gendarmes, très gênés, très embêtés, quand il faut évacuer de force
ces jeunes. On ne peut pas les suspecter, on ne peut pas les caricaturer (…) Et on
voit bien que ça embête beaucoup les forces de police et le gouvernement, parce que,
autant quand vous avez des excités qui balancent des choses sur les policiers, et
bien ça justifie la répression, et elle est légitime. Mais quand vous avez des jeunes
assis en silence, avec des petites bougies simplement…Comment justifier la répression
? Comment les faire taire… alors qu’ils se taisent déjà ? Comment les caricaturer
? Alors qu’ils ne font que rejoindre l’immensité des mouvements non-violents qui ont
pu exister dans l’Histoire, et qu’aujourd’hui on est tous en train d’exalter ? C’est
un vrai défi, je pense, envoyé à ceux qui nous gouvernent.. Comment réprimer la non-violence
? C’est compliqué quand même, pour un gouvernement…
Marie : En fait
c’est étonnant, mais vous voyez, depuis quelques mois, peut-être un an ou deux, à
Paris, je sens parmi les jeunes qui nous entourent, un renouveau des consciences.
C’est difficile à expliquer, mais en tous cas, autour de moi, il y a beaucoup de
jeunes, chrétiens ou non, qui veulent s’impliquer dans la vie de leur pays, qui réfléchissent,
et je crois que ce qui se passe aujourd’hui, c’est comme dans la continuité de quelque
chose qui s’est préparé de manière souterraine en nous. Et je crois qu’aujourd’hui
dans notre jeunesse, il y a une aspiration à quelque chose d’autre que ce que proposent
nos dirigeants.