L'Eglise des Philippines dénonce les "dynasties politiques"
Mardi 29 janvier, à l’issue d’une assemblée plénière de trois jours, les évêques de
l’Eglise catholique des Philippines ont publié une « Déclaration pastorale au sujet
de certains problèmes sociaux actuels ». Dans ce texte de cinq pages, ils interpellent
le président Aquino et l’ensemble des responsables politiques du pays. S’appuyant
sur l’Evangile et la doctrine sociale de l’Egliseils appellent à la mise en place
de véritables réformes afin de lutter contre des maux connus de longue date mais auxquels
les différentes administrations qui se sont succédé à la tête du pays n’apportent
pas de réponse satisfaisante. « Nous prenons la parole à la place de ceux qui souffrent
», expliquent les évêques.
Le document, signé de Mgr Jose Palma, archevêque
de Cebu et président de la Conférence épiscopale philippine (CBCP), commence par évoquer
les typhons Sendong et Pablo qui ont dernièrement causé de très lourds dommages dans
le pays. Si ces catastrophes sont naturelles, l’ampleur des dégâts qu’elles provoquent
ne l’est pas, écrivent les évêques : « La destruction de nos ressources naturelles,
de nos forêts et de nos fleuves », résultat « d’une activité forestière et minière
sans limite », nous amène à « examiner et à interroger la sincérité, la qualité et
l’efficacité de la politique pratiquée par nos dirigeants ».« La longue litanie des
tempêtes, pas nécessairement naturelles », que doit essuyer le pays est, de fait,
importante.
Culture de la mort, corruption, abus de pouvoir
Sorti
vaincu de la bataille qu'il vient de livrer contre l'administration Aquino au sujet
du vote d'une loi "sur la santé reproductive " (RH Bill), l’épiscopat place en tête
de ses préoccupations « la promotion d’une culture de mort » dans la société, en raison
de « la soumission de nos dirigeants politiques et économiques aux pratiques issues
des pays occidentaux ».
Il poursuit par une dénonciation de « la corruption
et des abus de pouvoir » constatés au sein de l’administration et voit comme un facteur
aggravant le fait que l’actuel gouvernement freine le vote au Congrès d’une loi sur
le droit à l’information (Freedom of Information Bill), calquée sur la FOIA américaine
qui oblige les agences fédérales de ce pays à transmettre leurs documents à quiconque
en fait la demande. « Pourquoi auraient-ils (les gouvernants) peur de confier aux
citoyens la vérité concernant leur gouvernance ? », interrogent les évêques.
Non
à la tradition des dynasties politiques
Sur le même ton sans concession,
l’épiscopat met en cause un des traits caractéristiques de la vie politique aux Philippines,
à savoir la permanence à travers le temps de grandes familles – « les dynasties politiques
» – qui trustent les offices électifs et gouvernementaux et dominent la sphère économique.
Ces dernières décennies, quels que soient les régimes en place, le Congrès philippin
(Sénat et Chambre des représentants confondus) a compté entre 60 et 75 % de membres
issus de ces grandes familles (les Magsaysays, Cayetanos, Villars, Angaras, Revillas,
Belmontes, Pacquiaos, Jalosjoses ou bien encore les Aquinos, famille de l’actuel président
Benigno).
A l’approche des élections de mai prochain (les mid-term elections
qui verront le renouvellement de milliers d’élus, du niveau le plus local jusqu’au
Congrès), l’épiscopat n’hésite pas à dénoncer un système « qui nourrit la corruption
et l’inefficacité » en bridant l’arrivée de sang neuf au sein du personnel politique.
Il dénonce notamment le fait que les législateur bloquent sans cesse le vote d'une
loi qui pourrait empêcher l'accaparement du système politique par une poignée de grandes
familles.
Impunité et injustice sociale
Vient ensuite le problème
de l’incapacité, voire de l’obstruction que manifestent ceux qui sont au pouvoir à
instaurer plus de justice sociale (« De nouveaux ‘droits’ sont mis en avant alors
que les droits les plus basiques sont ignorés ! », soulignent les évêques faisant
allusion au récent vote de la RH Bill), puis la question de la culture de l’impunité
(les évêques dénoncent les crimes impunis, dont les auteurs ne sont jamais poursuivis
en justice s’ils sont « puissants »), et enfin « les souffrances jamais apaisées des
pauvres » et « le fossé considérable qui sépare les riches et les pauvres demeure
», dénoncent les évêques).
Lors de la conférence de presse qui a accompagné
cette déclaration, Mgr Palma a précisé que l’épiscopat philippin n’entretenait aucune
vindicte personnelle à l’encontre du président Aquino du fait de son soutien à la
RH Bill. Reconnaissant que les évêques philippins avaient leurs propres « imperfections
» et ne souhaitaient pas jouer les « donneurs de leçon », il a précisé qu’« en tant
que bergers, [ils] estimaient qu’exprimer les sentiments des gens faisait partie de
[leur] devoir ». Il a également ajouté que son Eglise ne cherchait pas « à condamner
» mais à « faire prendre conscience à chacun de ces réalités et, si possible, contribuer
à y apporter des solutions ».
L'Eglise a le droit de s'exprimer et de défendre
les faibles
Devant les journalistes, Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire
de Manille et président du Secrétariat national pour l’Action sociale - ’Justice et
Paix’ de la CBCP, a déclaré que les évêques ne « prenaient la parole que pour défendre
ceux qui souffraient ». Quant à l’attitude de l’Eglise face au gouvernement, Mgr Gabriel
Reyes, évêque d’Antipolo, a ajouté qu’en tant que citoyens, les évêques avaient le
droit de s’exprimer, surtout lorsque les problèmes affectant le pays concernaient
« [leurs] fidèles ».
« Si le gouvernement agit bien, nous collaborerons toujours
avec lui, mais si le gouvernement agit mal, nous le critiquerons et nous opposerons
à lui », a-t-il conclu.(Eglises d'Asie)
(Photo: une manifestation à Manille
contre la RH Bill)