Trois archevêques racontent leur visite ad Limina à Rome
Vendredi 30 novembre, le Pape a reçu en audience le troisième groupe d’évêques de
France effectuant leur visite ad limina à Rome. Les 35 évêques du Sud-est de l’hexagone,
des provinces de Clermont, Lyon, Marseille, Montpellier et Toulouse, ont débuté vendredi
23 novembre au Vatican leur visite ad limina qui s’achèvera ce lundi 3 décembre. Leur
dernière visite ad limina remontait à 2004 et avant cela à 1997. A l’occasion de
leur venue à Rome, un point presse s’est tenu ce jeudi auquel ont participé Mgr Hyppolite
Simon, l’archevêque du diocèse de Clermont et le vice président de la conférence des
évêques de France, Mgr Georges Pontier, l’archevêque de Marseille depuis 2006 et Mgr
Pierre-Marie Carré, archevêque de Montpellier depuis 2011.
Quels
changements constatez-vous par rapport à vos précédentes visites ad limina ?
Pour Mgr Simon, la grande différence avec sa première visite ad limina à Rome,
en 1997, tient au fait qu’alors les évêques participaient à une messe dans la chapelle
privée du Pape et déjeunait ensuite avec lui. En 2004, ce ne fut plus possible en
raison de l’état de santé de Jean Paul II, et ce n’était pas le cas cette fois ci
non plus, sans doute pour alléger l’emploi du temps chargé de Benoît XVI, âgé de 85
ans. Pour ce même motif, les évêques venant à Rome pour leur visite ad Limina ne sont
plus reçus en tête à tête par Benoît XVI, mais par province. Ce changement était «
redouté » affirme Mgr Simon qui finalement s’est réjouit d’un « échange libre » avec
le Pape.
Ensuite, poursuit l’archevêque de Clermont, le « genre littéraire
» d’une visite ad limina se caractérise par quatre points distincts. Il y a d’abord
la vie fraternelle entre évêques, un « moment rare » qui nous « rajeunit », nous rappelant
l’ambiance du séminaire. Ensuite, il s’agit d’un pèlerinage, avec des temps importants
comme les célébrations dans les basiliques ou la visite et le temps de recueillement
sur le tombeau de Saint Pierre. Puis, l’audience avec le Pape et enfin les rencontres
dans les différents dicastères. « Nous n’attendons pas de réponse » de ces visites,
mais nous partageons nos préoccupations. Il y a aussi la dimension universelle. A
ce sujet, Mgr Simon affirme avoir été impressionné par ce que leur a expliqué le cardinal
Kurt Koch, président du Conseil pontifical sur l’Unité des chrétiens, au sujet du
dialogue avec les orthodoxes ou encore par le rapport entre foi et culture mis en
avant par le cardinal Ravasi, président du conseil Pontifical de la Culture.
Mgr
Hyppolite Simon raconte sa visite ad Limina et parle du Pape « fragile » et de sa
grande humilité
A
cette question, Mgr Carré a également souligné la percée d’internet. Cela n’existait
pas en 1997 et aujourd’hui il constate une communication quasi en temps réel, puisqu’il
peut envoyer des messages et des vidéos depuis Rome sur le site de son diocèse ; des
interventions commentés par les fidèles de son diocèse. En outre, a-t-il expliqué,
le premier dicastère à nous avoir accueilli fut le Conseil pontifical pour la Nouvelle
Evangélisation. L’archevêque de Montpellier, qui fut aussi en octobre dernier le secrétaire
spécial du Synode consacré à ce thème, y a vu « un signe et un appel à placer notre
ministère sous cet éclairage ».
Quel accueil dans les dicastères
?
En posant cette question aux trois archevêques, le sous-entendu des
vaticanistes présents à ce point presse était clair : y a-t-il encore une certaine
supériorité de la part de la curie face aux évêques français ? La réponse de Mgr
Carré ne tergiverse pas : « On l’a connue, mais on ne l’a pas sentie cette fois-ci
». Les français ne sont plus les « mauvais élèves ». « Nous avons rencontré avant
d’autres des difficultés qui touchent maintenant tout le monde », analyse l’archevêque
de Montpellier.
Mgr Georges Pontier décrit sa visite ad limina
dans le dialogue et avec moins de jugement de part et d'autre
«
Rome a changé et nous aussi », poursuit Mgr Pontier. Quant à l’archevêque de Marseille,
il souligne que plusieurs facteurs rentrent en ligne de compte : quand le chef de
dicastère connait la langue française, le dialogue est plus convivial. Ensuite, c’est
une question de tempérament. Certains « occupent le terrain » et parle tout le temps,
sans doute pour se sécuriser.
Quelles thématiques ont émergé lors de
ces rencontres dans les dicastères ?
Les baptisés sont les acteurs
de la foi. Par rapport à de précédentes visites, les évêques soulignent qu’au
Vatican, on parle moins des communautés nouvelles « comme solution au problème ».
« Aujourd’hui la Nouvelle évangélisation n’est pas le fait des nouvelles communautés,
mais de tous », ont-ils souligné évoquant le congrès Ecclesia 2007 qui réunit à Lourdes
plus de 7000 participants pour parler de la parole de Dieu dans la société et de la
responsabilité catéchétique de toute l'Église. « Le petit reste peut devenir le terreau
de demain », affirme Mgr Pontier. « Il faut se réveiller aux contacts des catéchumènes,
leur découverte redonnent confiance à ceux qui les accompagnent », poursuit Mgr Simon.
« Il ne faut pas se considérer comme les derniers de l’expérience précédente mais
les premiers de la génération suivante », expliquent les archevêques.
Comment
témoigner de manière renouvelée ? Il y a une rupture de civilisation. Il n’y a
plus de consensus en Europe sur la notion de la conception de l’homme, constate Mgr
Pontier. « La production et l’utilisation d’internet a eu des conséquences anthropologiques
», explique-t-il pour conclure : il y a une perte d’identité et cela concerne chacun,
l’église, l’Europe, et même le monde. Mais attention, met en garde Mgr Pontier,
« notre premier job, ce n’est pas de défendre des valeurs ou des idées, mais la relation
avec Dieu », lui redonner sa place dans la société, dans les familles (il déplore
une perte de la prière en famille) et accompagner les jeunes générations dans l’expérience
de la foi. Là encore une difficulté existe : « Il faut trouver les mots audibles
et compréhensibles pour reconstruire la société d’aujourd’hui », car l’archevêque
de Marseille déplore un « éclatement du vocabulaire ». « Nous n’avons plus de fonds
commun de vocabulaire. Est-on compris ? Quand je suis avec des jeunes, je prends le
temps de répéter plusieurs fois la même chose avec des mots différents », affirme
Mgr Pontier.
Les évêques rejettent le pessimisme, car la reconstruction
est en marche. Evoquant sa Manche natale, Mgr Hyppolite Simon recours à une métaphore
maritime : « Parfois on voit des bateaux avancer malgré de très forts vents dominants
contraires. Ils sont poussés par des cours sous-marins ». Parmi les philosophes à
la mode, on remarque un « fond d’humanisme chrétien ». Ils revendiquent un contenu
chrétien en disant qu’ils sont athées, alors là ça se vend, conclue-t-il.
Mgr
Pontier regrette cependant qu’il n’y ait que peu de grandes figures catholiques de
référence. Mais est-ce à l’Eglise de les mettre en avant ou aux laïcs de promouvoir
l’église ? La réponse de Mgr Simon
«
Nous avons été confortés dans notre démarche de dialogue », affirment les prélats
Au sujet du mariage pour tous, il faut « parler à l’intelligence
des élus » et quand il y a des provocations, la meilleure réponse est d’aller à la
rencontre des provocateurs. « S’ils attaquent les symboles, il faut comprendre quelles
sont leur attentes profondes. La « pédagogie » de l’Eglise de France semble avoir
été bien accueillie au Vatican, bien sûr nuancent les archevêques, nous n’avons pas
encore les résultats de cette pédagogie.
Mgr Pontier évoque cette pédagogie
à la française
Le
dialogue concerne également la Fraternité Saint Pie X. A ce propos, « on attend
encore leur réponse », explique Mgr Simon. La Congrégation pour la doctrine de la
foi et la Commission « Ecclesia Dei » chargée de la réintégration des traditionalistes,
tiennent-ils le même discours ? Tout à fait, répond l’archevêque de Montpellier. «
Le Pape s’est exprimé pour dire comment interpréter non seulement le Concile, mais
tout le magistère qui en découle », la Fraternité doit le prendre en compte, poursuit
Mgr Simon. Selon lui, « la situation est mieux comprise qu'autrefois ; on comprend
au Vatican que ce n'est plus seulement une question de liturgie, on comprend mieux
la complexité de la question ».
Enfin il s’agit également du dialogue avec
l’Islam. Les évêques de France partagent la vision du Pape. L’archevêque de Marseille
( ville où vivent 200 000 musulmans) a affirmé qu’il se retrouvait parfaitement dans
la ligne de Benoît XVI, celle exprimée lors de son voyage récent au Liban : Etre en
dialogue de la vie pour se connaître, explique Mgr Pontier, mais aussi avec un partage
au niveau spirituel avec un souci commun du respect de la liberté religieuse et contre
le fondamentalisme. Mgr Simon précise enfin que cela sous-tend un Etat de droit
solide, garantissant le respect de la liberté religieuse.
Témoignage de
Mgr Pontier sur le dialogue avec l’Islam à Marseille, mais aussi sur la situation
de violence que connait sa ville
Les
archevêques de Clermont et Marseille sont interrogés par Marie Duhamel.
Photo
: Mgr Hyppolite Simon est au premier plan à gauche du cardinal Barbarin. Mgr Pierre-Marie
Carré est le deuxième à la gauche du Pape, le troisième est Mgr Georges Pontier (deuxième
en partant de la droite).